
$ A I S A I
S a ïNT-LAMBERT (Jean-François) , (Hlft.
I itt. mod. ) j gentilhomme lorrain , f un des quarante
d e l'Académie françaife , auteur de ce beau Poème
des Saifons & de plufieurs autres excellen s ouvrages
tant en proie qu'erç v e rs , eft un des écrivains
du. dix-huitieme uècle, dont les talens & les
ipoeurs ont le plus honoré les Lettres. Son père
et oit attaché à ce duc de Lorraine, Léopold, dont
II mémoire fera éternellement en bénédiction dans
l i Lorraine, que Staniflas le Bienfaifant n'a pu faire
oublier-, parce qu'il le rappeloit fans celle par fa
b onté, Sç que M. de Voltaire , dans le Siècle de
Louis X I F 3 a tant fait aimer à ceux même qui ne
l ont jamais connu. M. de Saint-Lambert fut élevé
par fon père dans une petite terre nommée Flac-
co u r , voifine de la terre de Craon, appartenante
à la Maifon de Beauvau-Craon > c'eft à la faveur
de ce voifinage que s’eft formée la conilante &
refpeétable amitié qui l'a toujours uni avec M. le
maréchal-prince de Beauvau , chef de cette illuf-
tre Maifon, moins diftingué par fon rang & par
fes dignités, que par fes talens & fes fervices militaires
, fon amour éclairé p*our les Lettres, fon
amour févère pour la juftice, fes grandes & nobles
qualités n bien aiïorties .à fa haute nailfance
& à fa noble figure. C'étoit déjà une faveur marquée
du C ie l, que ce voifinage qui les offrit l ’un à
l'autre, & qui commença leur amitié :
Notitiam primofque gradus vicinia fecit
Tempore crevit amor.
Les oeuvres de M. de Saint-Lambert préfentent
plus d’un monument de cette amitié qui a duré
toute leur vie.
Les Jéfuites de Pont-à-Mouffon dirigèrent en
partie fon éducation, & , difciple reconnoififant, il
les traite fort bien dans une Epitre badine & très-
agréable furie janfénifme, adreffée au meme prince
de Beauvau :
Indulgente S o c ié té ,
O vous d évots plus raifon nable s,
Apôtres pleins d’urb an ité ,
L e g o û t p o lit v os moeurs aimables ;
V o u s vous occu pe z fagement
D e l’art de penfèr & de pla ire ,
A u x charmes touchans du bréviaire
V o u s entremêlez prudemment,
E t du Y k g i l e , & du V o lta ir e , & c.
M. de Saint-Lambert, dans cette p ièce, fe montre
philofqphe molinifle, mais furtout il fe montré
poète aimable, correét, élégant, plein de goût.
Dès fa plus tendre jeunefîe il avoit donne des
preuves de ce goût exquis, & montré les plus
heureufes difpofitions pour les Lettres ; mais à
l'état d'homme de lettres, il crut devoir joindre
ce qu'on appelle plus particuliérement dans lë
monde un état : ce fut l’amitié qui le détermina
dans ce choix j il prit le parti qu'avoir pris fon il-
luftre ami, & qui ne l’en féparoit point, le parti
du fervice ; il fervit d'abord dans les gardes lorraines.
Le roi de Pologne, Staniflas, le connut,
l'aima, fe l'attacha, <k dans la fuite le fit grandr
maître de fa garde-robe. Diftingué, chéri de tout
ce qui compofoit la cour de Lunéville , c ’eft dans
cette excellente école qu'il acheva de fe former
l’efprit & le goût. 11 put dire comme Voltaire ,
qui lui-même faifoit partie alors de cette cour
choifie :
Je coule ici mes heureux jours
Dans la plus tranquille des cours,
Sans intrigue, fans jaloufîe ,
Auprès d'un Roi fans courtifans,
Près de Boufflers & d’Emilie 3
Je les vois & je les entends :
Il faut bien que je fifle envie.
Il v o y o it, il entendoit de plus l'auteur de ce§
vers, qui n'étoit pas un des moindres ornemens de
h cour qu'il a chantée. M. de Saint-Lambert a
vécu trois ans dans l’intimité à Cirey avec madame
du Châtelet & ce même Voltaire, dont il
fut toujours l’admirateur & l ’ami, fans jamais entrer
dans aucune des tracafieries littéraires où
cette liaifon, d ailleurs fi honorable, pouvoit naturellement
engager. Efprit toujours fage & toujours
décent, il fourioit avec l'indulgence de là
vraie philofophie & de l'amitié à ces faillies piquantes
& malignes dont, par là perfection de
fon goût , autant que par celle de fa raifon, il eût
fupprimé une partie, à ces facéties gaies jufqu'à
la bouffonnerie, qui quelquefois fembloient déroger
à la gloire de ce vieillard admirable, l'homme
du monde qui a le plus fait rire les gens d'efprit,
& le plus fait pleurer les âmes fenfibles. M. de
Saint-Lambert auroit été l'ami le plus propre à Je
contenir dans les boirnes de la fageffe & des bien-
féances, fi ce grand-homme, fait pour dominer
fur les efprits , avoit pu laifler à un autre quelque
empire fur le fien. M. de Saint-Lambert ne fe per-
mettoit de lui offrir pour toute leçon que fon
exemple.
S A I
Toujours guidé par le devoir & l’amitié, il
fuivit M. de Beauvau dans le fervice de France
fans quitter celui du roi de Pologne. Il fut bientôt
diftingué comme militaire par les généraux français,
qui le placèrent conftamment dans l ’état-major
de l'armée. Il fit dans la guerre de 17 J j les campagnes
de Mahon & de Saint-Caft en Bretagne 5
il fit diverfes autres campagnes en Allemagne &
en Italie, toujours cultivant les Lettres, exerçant
fon talent poétique au milieu des camps fans jamais
négliger aucun des devoirs de fon é ta t, &
toujours ami de la paix au milieu de la guerre.
Foye% fes vers fur la paix de 1748.
Dans les intervalles de la guerre, il fut conduit ■.
pair fon ami fur le grand théâtre de la capitale, où
il faut que tous les grands talens viennent fe réunir
& fe perfectionner > il ne tarda pas à' être lié avec
les hommes les plus célèbres, & dans le monde,
& dans les Lettres, les Montefquieu, les Fonte-
nelle, le préfident Hénault, d Alembert, &c.
-Alors fon fort fut fixé à Paris & fon coeur s’y attacha}
il y vécut dans la maifon, avec la famille .&
l'es amis de M. & madame de Beauvau, qu'il fuffit
de nommer pour préfenter 1 idée de tous les charmes
dont la fociété foit fufceptible, & pour donner
une lignification précife & fenfible au mot,
bonne compagnie , fi fouvent employé au hâfard par
la vanité. Son coeur y forma une autre liaifon ,
mémorable dans les faites de l'amitié , dont, pendant
un demi-fiècle, une conformité parfaite de
goûts, de fentimens, d’opinions, de vertus n'a
jamais permis à aucun orage de troubler la paix ,
où l’habitude n'a jamais introduit ni langueur ni
négligence} dans laquelle une ellime profonde 3
un v if defir de plaire, des foins continuels , les
attentions les plus délicates fembloient renouveler
chaque jour la fraîcheur le charme d'une amitié
naiflante, & qui enfin leur a procuré cinquante
ans de bonheur. C'eft à celle qui lui infpira cette
amitié parfaite qu'il paroît dédier fon poème des
Saifons par ces vers charmans :
Et toi, qui m’as choilï pour embellir ma vie.
Doux repos de mon coeur, aimable & tendre amie,
Toi qui fais de nos champs admirer les beautés,
Dérobe-toi, Doris, au luxe des cités,
Aux arts dont tu jouis, au monde où tu fais plaire3
Le printems te rappelle au valloà folitaire j
Heureux fi, près de toi, je chante à fon retour
Scs dons & fes plaifirs, la campagne & l’amour 1
C e feul mot, Doux repos de mon coeur, exprime
mieux le caractère de cette amitié fainte & heu-
reufe, que tout ce que nous en avons dit & que
nous aurions pu en dire encore. Fleureux qui
trouve à repofer fon coeur !
Le privilège des grands poètes eft d'éternifer le
fouyenir des fentimens qu’ils ont ou infpirés ou
S A I
éprouvés , & de ceux qui en ont été l ’objet.
M. de Sàint-Lambert, dans le même poème, a
auffi érigé à fa confiante & reconnoiffante amitié
pour M. & madame de Beauvau, un monument
que le tems refpeétera.
Plaifirs de mes amis , vous remplirez mon coeur 1
Oui, je verrai, Beauvau, ta gloire <56: ton bonheur,
J’entendrai célébrer ta vertu bienfaifante,
Ton ame toujours pure & toujours indulgente,
Ta valeur, ta raifon , ta noble fermeté ,
. Ton coeur ami de l’ordre & jufte avec bonté.
Je verrai là compagne à res deftins unie ,
Embellir ton bonheur, féconder ton génie,
Et pour elle & pour toi croître derjour en jour
Du public éclairé le refpeét & l’amour.
Vos fuccès , vos plaifirs, votre union charmante,
Ce fpeéhicle fi doux de la vertu contente ,
Me tiendront lieu.de tout, &c.
Il avoit acquis, dans la même foc iété, un autre
ami qu'il regrette avec la tendreffe la plus pathétique
& la plus- pénétrante.
Ces vallons fans troupeaux, ces forêts fans concerts,
Ces champs décolorés , ce deuil de l’Univers,
Rappellent à mon coeur des pertes plus fenfibles.
Je crois me retrouver à ces momens horribles
Où j'ai vu mes amis que la faulx du trépas
Menaçoit à mes yeux ou frappoit dans, mes bras*
De Chabot expirant je vois ericor l’image,
Je le vois à fes maux oppofer fon courage,
Penfer, fentir, aimer au bord du monument.
Et jouir de là vie à Ion dernier moment.
Objet de mes regrets, ami fidèle & tendre,
J’aime à porter niés pleurs en tribut à ta cendre.
Malheur à qui les dieux accordent de longs jours !
Gonfumé de douleurs vers la fin de leur cours,
« Il voit dans le tombeau fes amis difparoître
Et les êtres qu’il aime arrachés à fon être 5
Il voit autour de lui tout périr, tout changer}
A la race nouvelle il fe trouve étranger ,
Et lorfqu’à fes regards la lumière eft ravie,
Il n’a p lu s en mourant, à perdre que la vie.
Si ce ne font pas là des plus beaux vers de fen-
timent qu'il y ait dans la langue, il faut renoncer
à parler de poéfie. Les vers de defeription , dans
leur genre, n'y font pas inférieurs. Tous font ce
qu’ils doivent être , pleins, élégans, faciles, harmonieux
, juftes pour l’image , touchans par le
fentiment qui les animé, intereffans par l'expref-
fîpn._Cependant, le croiroit-on ? le mérite aujourd’hui
bien reconnu de ce poème ne l’a pas tou-
I jours été. A fo-naiflànce ,- il y eut une efpèce d#