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voit trop que fa fille eft l’ affaflin ; elle ajoute qu’on
peut s ’en rapporter à elle du ,foin de la punir , Hz
qu'une fille fi coupable & qui la déshonore , -ne
trouvera^point en elle l'indulgence d’une mère. La
faufle Berthe obtienticette grâce du Roi. ( Allez
grande fingularité encore, qu’on charge une mère,
de punir une régicide .qui paroit convaincue.) La
véritable Berthe, interdite s tremblante, ne fachant
fi ce qu'elle voit eft un longe ou une fuite myfté-
rieufe du ftratagême auquel elle a* oit donné lieu ,
eft entraînée fins avoir pu parler; Hz depeur quelle
ne parle , on la fait partir un bâillon dans la bouche.
Margifte'& Tibert répondent d elle 3 Hz aflii-
rent qu’ on n’en entendra plus parler. Pépin prend
feulement la précaution de les faire accompagner
de trois fergens ou ferviteurs fidèles qu'il charge
de prendre les ordres de Tibert : celui-;ci avoit
pris l’ordre de Margifte. On mène Berthe dans la
forêt d’Orléans, & là Tibert ordonne aux fergens
de la tuer. Mais les fergens avoient eu le tems de
voir la patience Hz la douceur de Berthe ; ils en
avoient été touchés; ils ne pouvoient la croire
coupable : non-feulement ils réfiftèrent à l’ ordre
de Tib ert, taais ils l’empêchèrent de confommer
lui-même le crime, comme il le vouloit : onlaifla
la malheureufe Berthe aller où elle pourroit. C e pendant
il falloit rapporter à Margifte une preuve
de fa mort : on lui préfenta un coeur de pourceau
tout fanglant 3 en lui difant que c’étoit celui de
Berthe. Le refte de la vie de Margifte, d’Àlife &
de Tibert reflemble à leur conduite envers la
princefle Berthe. Montés fur le trône en fcélérats,
ils l’ occupèrent en tyrans : leur empire fut une
fuite de vexations & de violences : ils étoient en
horreur au royaume. Pépin, toujours trompé, eut
d’Alife deux fils, nommés Reinfroy & Henri, qui
reftemblèrent, par les moeurs & par le caraélère,
à leur mère & a leur aïeule , & qui partagèrent
avec elles la haine publique.
Cependant la reine de Hongrie , Blanchefîeur,
^voulut venir en France voir fa fille , & jouir du
bonheur que cette Princefle devoit procurer à la
nation , & de l ’amour des Français pour elle. Les
impofteurs frémirent à cette nouvelle ; ils cherchèrent
les moyens de faire périr la reine de Hongrie
aufli bien que fa fille ; ils réfolurent de L1 enherberen
poires ou en cerifes3 c’eft-a-dire, de l empoifonner.
Blanchefîeur, arrivée fur les terres de France, ne
pouvoit reconnoître fa fille aux plaintes qu’elle re-
cevoit de toutes parts fur fon injuftice Hz fa tyrannie
: au lieu des applaudiffemens qu’ elle atten-
d o it, elle n’entendit que des murmures , elle ne
vit quelle la défolation. On lui préfenta fes petits-
fils prétendus ; elle fut étonnée de ne pas fentir
pour eux la moindre tendrefîe : fa fille ne vint
point à fa rencontre ; une maladie lui fervit d’ex-
eufe ; il falloit furtout empêcher qu’elles ne fe
viflent. Margifte eut foin de donner Hz de faire
donner à Blanchefîeur de momens en momens des
nouvelles toujours de plus en plus funeftes de la
fanté de fa fille ; Hz c’étoit toujours la joie qu’elle
! avoit de fon arrivée , qui faifoit ce ravage dans
ifon ame & dans fa fanté. Enfin , lorfque Blanche-
i fleur, qui ne concevoit plus rien à tout pe qu elle
.voyoit Hz à tout ce qu’elle entendoit, defeend au
palais Hz fe préfente à l’appartement de fa fille,
• Margifte vient toute éperdue lui dire que Berthe
eft abfolument hors d’etat d’être vue. Blanchefîeur
veut la v o ir , & entre malgré tous les obftacles.
Alife , enveloppée dans fes couvertures,le vifage
caché par fes cornettes de nuit, dans une chambre
où d’ailleurs on ne laiffoit point entrer le jour ,
fous prétexte que la malade ne pouvoit le foute-
nir , lui dit d’une voix mourante : Reine, n approche^,
pas3 je fuis jaui.e , omme cire. Berthe, même malade,
n’eut point fait cet âçcueil à fa mère. La reine
de Hongrie, à qui toutes ces défaites Hz toutes les
chofesétranges Hz contraires à fon attente, qui l’a-
voient frappée en France, achevoient d’infpirer les
plus violens foupçons, va droit au fait, c*eft-à-dire,
a l ’examen des pieds ; car Alife avoit fur Beyrthe l’ a-
, vantage d’ a.voirles pieds plus petits & parfaitement
égaux. Blanchefîeur s’affure que ce n’en point fa fille
Hz le déclare au Roi. Les coupables font arrêtés :
Margifte Hz Tibert, appliqués à la queftion, a\ ouent
toute l’intrigue : Margifte eft brûlée vive ; Tibert
eft pendu : Alife , en confédération de l’honneur
qu’elle a d’ être mère des fils du Roi, n’eft qu’enfermée
à l’ abbaye de Montmartre.
Mais qu’ étoit devenue la véritable Berthe ? Obligée
de regarder comme une faveur l ’abandon affreux
où elle avoit été laiflee .dans la forêt d’Orléans
, elle avoit long-tems erré à travers les bois
& les champs, mendiant fon pain de village en
village, de province en province, expofée à tous
les dangers, par fa jeuneffe , fa figure Hz fa pauvreté
: enfin , dans la province du Maine, un vieil
Hz faint hermite lui donne un afile , Hz l’adrefiè à
une famille pauvre, mais charitable, qui fe chargea
de fa mifère, Hz qu’ elle en dédommagea en fe mettant
promptement en état de lui être utile par fes
travaux. Simon Hz Confiance fa femme , Ifabeau
& Aiglantine leurs fille s , compofoient cette famille
vertueufe. Berthe, fans s’expliquer ni fe dé-
guifer davantage, fe donna pour une infortunée
qui fuyoit des perfécutions domeftiques : on lui
demanda fon nom ; elle dit qu’elle fe nommoit
Berthe : on remarqua que c’ étoit le nom de la
Réine ; elle rougit, fe tut Hz les fervit. Bientôt elle
devint la fille de Simon & de Confiance , la foeur
d’ Ifabeau & d’Aiglantine. Tou tle monde l ’aimoit :
on la propofoit pour modèle ; fa douceur Hz fa
bonté charmoient tous les coeurs : on admiroit fes
vertus Hz fes talens ; & lorfque l’ aventure de la
faufle Berthe eut éclaté, Simon & Confiance commencèrent
à foupçonner qu’ ils pofiédoient chez
eux la véritable. Mais erthe, attentive à écarter
de telles idé es, s’occupoit uniquement à filer & à
broder, arts qu’elle exerçoit avec d’autant plus de
pluifïr & de fuccès, qu’elle les avoit appris d’Aigîantinê
d’Ifabeau : cependant un air de nobiefle
Hz de grandeur la trahifloit & déceloit une Reine.
B*. Au bout de plufieurs années Pépin, s’étant un
jour égaré à la chafle dans la province du Maine,
Rencontra une jeune payfanne a laquelle il demanda
fon chemin, en lui difant comme Henri IV dans
la Partie de chajfe, qu’ il étoit un officier du R o i ,
qui avoit perdu la chafle : elle s’ ofïrit à lui fervir
de guide. Il accepta fon offre avecplaifir ; & comme
elle étoit jeune Hz jolie , il voulut lui parler d’amour,
& devint bientôt.prenant; maisihommage
adreffé à la payfanne fut repoufle par la Princefle.
Berthe ( car c 'é to ite lle , Hz elle n’ avoit point reconnu
Pépin, Hz n’en avoit point été reconnue )
lui dit avec une fierté qui le déconcerta : *« info-
» lent, vous vous dites ferviteur du roi Pépin ! Vous
» frémiriez, fi vous faviez avec qui vous ofez vou-
*> 1 oir prendre ces impertinentes liber tés ! »»Auflitôt
elle s’enfonça dans le b ois , & elle échappa aux
regards de Pépin. C e lu i-c i, frappé en ce moment
du fouvenir de Berthe, gagna le premier la maifon
de Simon, qu’elle lui avoit d’abord indiquée. A
force de queftionner ces gens fincères Hz véridiques,
qui ne lui cachèrent point leurs foupçons ,
il vit les fiens éclaircis ; il vit que le tems Hz les
circonftances de l’arrivée de Berthe chez Simon
s’accordoient avec l’aventure de fa femme ; il fe
cache pour l’entendre à fon retour Hz pour la fur-
prendre. Elle arrive fort tard, encore très-émue
de la rencontre qu’ellej avoit faite dans le bois :
on la calme, on.lui fait entendre d’abord qu’ on a
mis cet officier dans fon chemin, & quelle n’a
plus rien à craindre. Infenfiblement on la remet
fur 1 hiftoire de fes malheurs , que par délicatefle
.thème on n’avoit jamais bien approfondie : on
finit par lui avouer le foupçon qu’ on avoit de la
vérité : « Non non , dit-elle en pleurant de ten-
Éjdrefie, je n’ ai plus, je ne veux plus d’autre pè re
»ïque Simon, d’autre mère que Confiance 9 d’ au-
»[tres^ foeurs qu’Aiglantine & Ifabeau ; j ’en fuis
aimée , je les aime , J aime Dieu furtout ; il m’a
»» tout donné en me donnant à eux ..... — Il vous
<» a donné de plus un mari, s’écrie Pépin en pa-
»» roifiant tout à coup Hz en tombant à fes pieds ;
M un mari dont le deftin eft de vous aimer en tout
fH jH i en toutlieu, fous toutes les formes, lors
»^même qu’il vous méconnoît & qu’il s’ oublie,
•»[mais qui n’ a jamais pu vous faire agréer fon em-
*» preffement ni comme mari ni comme amant* » |1 La reconnoiffance fe fait: on regrette feulement
que Blanchefîeur n’en foit pas témoin : afîurément
il [ne tenoit qu’ à l’auteur, qui pouvoit à fon gré
ou avancer le tems de cette reconnoiffance, ou
retarder celui du retour de Blanchefîeur en Hongrie.
Pépin mande fes courtifans & les préfente à
leur Reine : il voulut tenir cour plénière, pendant
trois jours, dans la maifon même de Simon ; il fit
de cet homme bon Hz fage fon confeiller ou mi-
Ûfftre. Confiance fut Dame d’honneur de la reine
Berthe ; Aiglantine & Ifabeau furent fes Dames du
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palais. La Peine cultiva toujours avec le même
goût les arts qu’ elles lui avoient appris ; elle fila
des habits pour les pauvres, & Berthe la fiU ufe n’efl
pas moins connue dans les romans, que Berthe la
débonnaire Hz Berthe au grand pied. Elle fut mère dé
Charlemagne : les princes Reinfroy & Henri moururent
avantleur p ère, Hz n’ eurent rien à contefter
à leur frère.
Girard ou Girardin d’Amiens, écrivain du treizième
fiècle , qui vivoit fous faint Louis ou fous
Philippe-le-Hardy, Hz qui eft le quatre-vingt-qua-
torzieme des anciens poètes français dont le
préfident Fauchet a fait mention, eft auteur d’ un
roman de Charlemagne , qui contient les faits &
gefies de ce Prince , décrits en vers alexandrins.
Dans ce roman, les deux princes Reinfroy Hz Henri
furvivent à Pépin. Henri ou Hendri veut empoi-
fonner Charlemagne ; Reinfroy lui fait la guerre :
tous deux ont la tête tranchée ; ce qui peut faire
aUufion à quelques-unes des confpirations dont le
règne de Charlemagne ne fut pas exempt.
Le roman efpagnol, intitule Nockés de invicrno3
ne fait pas la reine Berthe tout-à-fait fi fage : elle
aime, au lieu de Pépin, un jeune feigneur de grande
Maifôn, nommé Dudon de L y s , qui a été chargé
d’aller la demander en mariage pour le R o i, Hz de
l’ amener à Paris : c ’eft même cette inclination qui
favorife le ftratagême de la faufle Berthe , laquelle
eft nommée ici Fiamette. Berthe lui confie le chagrin
qu’elle a d’être obligée de donner à la grandeur
ce qu’elle eût voulu ne donner qu’ à l’amour.
Fiamette lui offre de prendre fa place à la faveur
de la reffemblance. « Pour vous , ajoute-t-elle ,
»> vous vous retirerez par un efcalier dérobé , au
»» pied duquel vous trouverez Dudon prêt à vous
99 enlever, Hz à vous conduire dans un de fes châ-
»9 teaux. 99 Au lieu de Dudon , ce font les afîaffins
qu elle trouve , & qui l’enlèvent. Le refte de l’hîf-
toire eft affez conforme au roman d’Adenés. Pépin
retrouve la véritable Berthe fur les bords du Magne
ou la Magne , qu’ on croit être la Mayenne ; il
y célèbre de nouveau fes noces avec Berthe , & à
la fin de cette fête champêtre il fe retiré avec elle
dans un grand chariot couvert qui leur fervit de lit
nuptial, Hz dans léquel fut conçu Charlemagne,
dont le nom, félon cet auteur, vient dGcaro (char
en efpagnol ) , Hz. de Magno, nom de la rivière de
Mayenne, étymologie bien forcée , tandis que la
véritable eft fi naturellement & fi évidemment compofée
de fon nom propre, & d’ un ftirnom qu’il a
mérité à tant de titres.
20.L hiftoireromanefque d’ une autre Berthe, fille
de la précédente, & foeur de Charlemagne, &mère
du paladin Roland , n’eft pas moins intéreflante
dans l’ ouvrage efpagnol d’Antonio de Eflava J intitule
Los Amores de Milon de Anglante. Mais ici
la vérité hiftorique eft encore plus altérée , & les
moeurs qu’on y donne à Charlemagne font entièrement
oppofees à l’idée qu’en donnent les hifto-
riens. Rien n eft plus connu dans l’Hiftoire, que