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pour la compajjion du pauvre peuple * fait augmenter
fon duché de Bourgogne du comté d'Auxerre &
de la feigneurie de Bar-fur^Seine * au nord > du
comté de Mâcon * au midi : fe fait céder de plus*
du côté des Pays - Bas * le comté de Ponthieu ,
conquis fur les Anglais, & toutes les places de
la Somme 3 & même quelques places plus voifines
de Paris de ce côté-là * telles que Roye & Mont-
didier. A la vérité* les places de la Somme étoient
déclarées rachetables moyennant quatre cent mille
écus. Toutes les terres cédées au duc de Bourgogne
furent affranchies de la fuzeraineté de la
couronne* mais feulement pour la vie de Philippe*
qui fe fit encore payer cinquante mille écus pour
les équipages & joyaux qu'on avoit pris à fon
père quand on F avoit afîafliné. Il fallut que les
Princes du fang & les Grands du royaume fe ren-
difTent garans envers Philippe d'un traité fi onéreux.
Leduc de Bourgogne* Jean* avoit commencé fa
carrière par des malheurs qui auroient bien dû
adoucir fon caractère. Il n' avoit que vingt-deux
ans lorfque les cris de l'Empire d'Orient & de
l'Empire d'Occident* l'un écrafé * l'autre menacé
par le terrible Bajazet* Empereur des Turcs * fe
firent entendre à la France. La Hongrie * près d'être
attaquée par ce conquérant * implora le fecours
des Français & l'obtint. L'élite de la nobleffe française
alla périr * en 1396* aux champs de Nico-
polis j elle étoit commandée par ce prince Jean *
depuis duc de Bourgogne* alors comte de Nevers.
Bajazet* vainqueur* fit égorger* aux yeux de Jean*
les prifonniers chrétiens j il ne lui laiffa la vie que
par Bravade* & en l'exhortant fièrement à prendre
la revanche. Les Chrétiens avoient donné aux Infidèles
l'exemple de cette cruauté} ils avoient les
premiers égorgé les prifonniers turcs : au refte *
ils avoient foutenu * à Nicopolis * la gloire de leurs
armes. La perte des vainqueurs y fut dix fois plus
grande que celle des vaincus * & le comte de Ne-
vers s'y étoit diftingué.
JEAN DE GELEEN* ( ffijl. des Anabapt.) * un
des chefs des Anabaptiftes * un des difciples de
Jean de Leyde ( voye^ l ’article fuivant) * avoit été ;
envoyé par fon maître en Hollande avec des trou- ;
pes anabaptiftes pour réduire les principales villes
de cette province. Geléen agit d'abord pour de
Leyde* enfuite pour lui-même* &* n'ayantréuffi à
rien * il alla tomber aux pieds de Ta reine de Hongrie*
foeur de Charles-Quint* gouvernante dès
Pays-Bas* qui lui accorda fa grâce* à condition
qu'il trayailleroit à réduire les Anabaptiftes des
Pays-Bas & de Munfter. 11 promit to u t } il vint à
Amfterdam* mit fur fa porte les armes d'Efpagne*
&* fous prétexte de fervir Charles-Quint & la gouvernante*
il lia des intrigues pour fe former dans
Amfterdam un petit royaume anabaptifte, indépendant
de Munfter & de toute autre puiffance.
Leq>rojet fut découvert & prévenu 3 mais il en
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coûta beaucoup de fang. Les Anabaptiftes vendirent
cher leur vie 5 Geléèn fe réfugia dans une tour;
mais * ayant paru à une fenêtre * il reçut un coup
de moufquet qui le précipita du haut de la tour en
bas (en 1535. )
JEAN DE LEYDE. ( Hifi. des Anabapt.') Jean
Belcod* dit Jean de Leyde* dû lieu de fa naif-
fance* tailleur d'habits, un des chefs des Anabaptiftes*
fuccéda en 1435 à Jean Mathieu, m m
^'article fuivant). 11 époufe dix-feptfemmes. Dans
une aflèmblée du peuple * une voix s'élève pour
blâmer cette excemve polygamie : Jean de Leyde
faifit le téméraire cenfeur* & lui fait couper la
tête. Jean de Leyde régnoit à Munfter comme
Jean Mathieu y avoitrégné. L'évêque de Munfter*
François de Waldek * afliégeoit toujours fa ville*
dont il étoit le fouverain légitime* fous le domaine
de l'Empire. Des gens fages voulurent la lui livrer
: Jean de Leyde promit le ciel à ceux qui leur
ferviroiënt de bourreaux. On peut croire qu'iln'en
manqua point.
Jean de Leyde étoit Roi j il voulut en avoir le
titre * il court tout nu dans les rues * en criant :
Le roi de Sion vient *• puis il retourne dans fa mai-
fon : le peuple y vient en foule pour favoir ce
que c'eft que ce roi de Sion* & pourquoi cette
nudité. Jean de Leyde ne répond rien 5 il écrit
que Dieu lui a lié la langue pour trois jours* & le
peuple comprend que Jean ae Leyde eft Zacharie*
Au bout des trois jours il préfente à l ’aflemblée
du peuple un orfèvre de Wormdorp * nommé
Tufcocniérer * qu'il avoit formé aux révélations.
Voici3 dit-il* un prophète *• qu i l parle. Le prophète
parle * & crie : Ecoute * Ifraèl ! voici ce que l'Eternel
ton Dieu t'ordonne $ vous dépojere^ V évêque , les juges
, les minières *• vous ckoifire£ dou^e ignorans pour
annoncer ma parole au peuple. Et toi * dit-il à Jean
de Leyde en lui mettant à la main une épée nue,
repois cette épée que le Père te donne * il t'établit Roi
pour gouverner a Sion & dans toute la terre. Jean de
Leyde fefoumet* & exerce avec éclat la puifîance
royale j il fait battre monnaie * & fur fa monnaie
on lifoit ces paroles de faint Jean : Si Vhomme ne
renaît de Veau & de l'efprit * i l ne peut entrer dans le
; royaume de Dieu. Il célèbre la cène avec tous.fes
fujets * que le prophète'avoit fait armer pour cette
; folennite j le Roi leur diftribue le pain * en leur
^ difant : Preneç3 manger 3 annonce^ la mort du Seigneur.
La Reine* c'eft-a-dire* celle defes dix-fept
femmes * à laquelle Jean de Leyde donnoit ce
titre* parce qu'elle étoit la veuye de Jean Mathieu
fon prédécefieuf * préfenta la coupe à l'af-
femblée* en difant aufli : Buve% * annonce£ la mort
du Seigneur. Au milieu du feftin* Jean de Leyde fe
lève brufquement pour aller trancher la tête à un
prifonnier* & il revient fe remettre à table.
Cependant le fiége continuoit * les vivres man-
quoient* les pauvres fouffroient. Une des femmes
du nouveau Roi témoigna quelque compaftion
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pour tant de malheureux fi cruellement trompés :
la fenfibilité eft un crime aux yeux de la tyrannie.
Jean de Leyde cite là coupable à l'aftemblée du
peuple : elle paroît accompagnée de fes parens*
il la fait mettre à genoux devant lui * & lui tranche
la tête à leurs yeux. Ses autres femmes* plus dociles
* chantent & danfent avec lui & avec tout le
peuple autour du cadavre de cette malheureufe.
Jean de Leyde avoit fouvent promis au peuple
une prompte délivrance * & fes prophéties ne s'ac-
compliflbient pas. Voici comment il s'y prit pour
les accomplir j il feignit d'être bien malade pendant
fix jours j au bout de ce tems il parut dans la
lace publique* monté fur un âne aveugle* em-
lême alfez frappant du peuple qu'il conduifoit :
Le Père célefie * dit-il aux habitans * ma chargé Jeul
de tous vos péchés y vous êtes purs maintenant & libres
de tout vice, & voila la délivrance que je vous ai
promife. Ce n'étoit pas tout-à-fait celle-là que le
peuple attendoit.
Enfin Munfter fut forcé* & Jean de Leyde pris
par la trahifon d'un transfuge. Quelques jours auparavant*
les afliégeans avoient offert la paix à
des^ronditions honnêtes. Jean de Leyde avoit répondu
: Mettes bas les armes, implore£ ma miséricorde,
& je pourrai vous faire grâce.
On le promena de cercle en cercle dans l’Allemagne
pour l'expofer à la rifée publique. De tous
les chefs qu'avoient eus les Anabaptiftes* c'étoit
certainement le plus fingulier & le plus hardi.
L ’évêque de Munfter lui ayant demandé quel droit
il avoit eu de lui prendre fa ville ? Et vous * lui
répondit Jean de Leyde * quel droit avieç-vous d'en
être évêque &feigneur?— Le chapitre, dit Waldek*
m'a élu évêque *• le peuple * dit de Leyde * ma élu
Roi.— Comment * ajouta l 'évêque* pourras-tu jamais
reparer le dommage que tu as caufé? — Fort aifément *
répondit de Leyde : mette^-moi dans une cage de fer
bien couverte * & preneç un liard par tête pour me faire
voir ; vous fere% non-feulement indemnifé * mais enrichi.
Il demanda fa grâce * promettant qu'à ce prix il
rameneroit à l'obéiffance de l'Eglife une multitude
d'Anabaptiftes répandus dans les Pays-Bas &dans
l ’Angleterre : on rejetala propofition > il fut condamné
à mort*, attaché à un poteau* & tourmenté
pendant plus d'une heure avec des tenailles ardentes
j ilfouffrit très-patiemment* & donna toutes
les marques d'un pieux repentir} enfin on eut pitié
de fon ame* & pour ne le pas jeter dans le défef-
poir * on abrégea fes tourmens * en lui perçant le
coeur d'un coup d'épée. Le jour de fon exécution
fut le 22 janvier 1 y 36. Il n’avoit pas vingt-fix ans.
Il avoit voulu être mis vivant dans une cage de
fer j il y fut mis après fa mort, & expofé dans cet
état au haut d’une tour : plufieurs de fes compagnons
périrent auffr dans les fupplices î leurs corps
frirent expofés au deffous de leur Pioi.
JEAN-MATHIEU* (Hifi.des Anabapt.),m des
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chefs des Anabaptiftes. Après la guerre & la défaite
des payfans anabaptiftes d'Allemagne, en
l y i f ( voye\3 dans le Dictionnaire* l'article Mun-
cer) * cette feéte étant réduite aux vifions & aux
révélations* on vit paroître le livre intitulé Du
Rétablijfement* où toute l'Apocalypfe venoit au
fecours des Anabaptiftes. Jean-Mathieu * boulanger
d'Harlem * qui en étoit l'auteur* fe fit évêque
d'Embden > il étoit Moïfe * il étoit Enoch * il étoit
tout ce qu'il falloit être > il envoya fes difciples
dans toutes les provinces des Pays-Bas * voinnes
de l ’Allemagne i il alla lui-même à Munfter* où
il fut reconnu pour le Grand-Prophète ; il fe cacha
d'abord * & fon parti groffifloit en filence. Bientôt
on vit Jean - Mathieu courir avec fes principaux
feétateurs dans tous les quartiers de la ville*
criant à haute voix : Faites pénitence * & foye£
rebaptifés * car le jour du Seigneur approche. C e n'étoit
encore qu'un avertiflement : on pafla bientôt
à la menace : foyeç rebaptifés * difoit-on * ou forte£
d’ici. Enfin on prit les armes * & on cria : Soye^_
rebaptifés 3 ou moure£. On chafla l ’évêque & les
magiftrats : l'évêque fut obligé d'affiéger Munfter.
Alors Dieu ordonna * fous peine de mort *
par la voix de Jean-Mathieu * à tous les habitans
de -Munfter * d’apporter dans la maifon du Prophète
ce qu'ils avoient d'argent & de pierreries.
Tout fut apporté. Il ordonna enfuite de brûler
tous les livres * excepté la Bible : tout fut brûlé.
Un ferrurier nommé Trutelinge fit fur cela une plai-
fanterie très-innocente : Jean-Mathieu le mande *
& en préfence du peuple le tue à coups de hallebarde.
Le Saint-Efprit diète à Jean-Mathieu des
lois qu'il fait écrire fur des tables & afficher aux
portes de la ville. Il eft tué dans une fortie en
U 3JJORDAN.
(Hiß. litt. mod. ) Charles-Etienne
Jordan* Brandebourgeois favant, homme delettres
& philofophe* attaché au grand roi de Prüfte* Frédéric
II * en qualité de confeiller-privé * naquit à
Berlin le 27 août 17CO* d'une famille françaife *
originaire du Dauphiné * expatriée pour la religion.
Magdebourg * Berlin , Laufanne concoururent
à l'inftruétion de fon enfance. Revenu à
Berlin en 1721 * ce fut le favant la Croze qui
inftruifit à fond fa jeunefîe. Il fut quelque tems
pafteur ou vicaire d'une petite paroifle : il y fit du
bien & s'y fit aimer * mais il n’ aimoit que le repos
& les lettres 3 il quitta fa cure* & ne voulut plus
vivre que pour l’étude. C e goût le rendit recommandable
a Frédéric * alors Prince royal * qui 1»
prit à fon fervice en 1736 * & qui* étantmonté fur
le trône en 1740* l'employa utilement à des ré-
glemens de police * à l’extirpation delà mendicité,
à l’ établiflèmentd'hôpitaux & d'ateliersde charité.
Cette fage & politique opération * de transformer
les mendians valides en ouvriers utiles * demande
une main habile & une ame humaine pour
adoucir ce que* dans les détails de l’exécution
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