
K E N K E N
Ï^ .E N T . (Hiß. d Anglet.) Le comte de Kent,
frère d’Edouard I I , roi d’Angleterre, vint négocier
en France à la cour de Charles-Ie-Bel fur des
conteftations qui s’élevoient alors entre les deux
nations, & qui produifirententr’elles une guerre,
laquelle heureufement fut de peu de durée. Il
s’ agiffoit à peu près, comme dans notre avant-
dernière guerre contre les Anglais ( la guerre de
1 7 5 6 ) 3 de favoir fu r ie domaine de laquelle de
ces deux puiifances fe trouvoit un certain fort que
le feigneur de Montpezat avoit fait conftruire en
Guienne. ( Voye%3 dans le Dictionnaire, l'article
Montpezat.) On ne fut pas content en France du
(comte de Kent : on jugea que fes procédés n’é-
toient pas fincères, & qu’ il ne cherchoit qu’ à gagner
du tems. Les Anglais s’ étoient emparés de
la fortereffe, & avoient commis quelques violences,
pour lefquelles Charles-le-Bel demandoit une
réparation. On affure que le comte de Kent, fe
voyant forcé de conclure, ajouta un nouvel outrage
a ceux dont on fe plaignoit. 11 avoit tout accordé
5 ildevoit livrer, & la fortereffe, & le s coupables
5 il demanda quelqu’un pour les recevoir
au nom du roi de France. On lui donna un chevalier
, nommé Jean d’Arablay , qui lé fuivit plein de
confiance jufque fur les frontières de la Guienne.
Alors le comte de Kent, levant le mafque , fy: joignant
aux menaces une dérilïon infultânte , renvoya
Je chevalier, en l ’avertilfant qu’il y alloit delà vie
s’il s’obftinoit à paffer outre. La guerre s’alluma
& le comte de Kent défendit aflfez mal la Guienne
contre le comte de Valais. ( Voyeç, dans ce vo lume
, Charles de Valois. )
Lorfque, dans la fuite, les violences des Spen-
fers forcèrent la reine Ifabelle de France, femme
d’Edouard I I , de palier en France, le comte de
Kent, aufli mécontent du gouvernement de fon
frère & des Spenfers, que la Reine elle-même, vint
joindre cette Princelfe en France, & la fuivit dans
l’expédition d’Angleterre , d’ où s’enfuivirent le
fupplice des Spenfers, le détrônement & la mort
cruelle d’Edouard II. Ifabelle & Mortemer fon
amant, bien plus coupables que ne l’avoient
pu être Edouard & les Spenfers , fe rendirent à
leur tour odieux à la nation. Leur dernier crime
fut de fâire trancher la tête au comte de Kent,
oui les avoit trop bien fervis contre fon propre
frère, mais qui s’en fep en to it, & qui s’elevoit
contr’eux avec une indignation vertueufe. On
trouva aifément des pairs pour le juger : on eut
peine à trouver un bourreau pour l’exécuter 5 ils
le cachoient tous ou refiifoient leur miniftère,
tant ce Prince étoit univerfellement aimé en Angleterre.
Sa fille , qu’on appela la belle vierge de
Kent, & dont la vertu aimable & humaine s’ étoit
nourrie des malheurs de fon père, époufa dans la
fuite ee fameux prince de Galles, ce prince noir,
fils d’Edouard III, & fut la mère du malheureux
roi Richard II.
L A H L A H
J L a HARPE (J. F . de) , de l’Académie françaife.
La différence de nos âges me faifoit efpérer qu’ il
me rendroit l'hommage que je vais lui rendre5 je
comptois fur fon amitié pour couvrir ma tombe
de quelques fleurs, & fur fon éloquence pour
rendre mon nom recommandable à la poftérité.
Je me rappelle toujours avec intérêt ce jour
où le hafara nous offrit l’un à l’autre 3 moi déjà
ancien littérateur & touchant aux portes des Académies
, lui fortant du collège d’Harcourt, premier
théâtre de fa gloire, où les prix publics de
l’Univerfité, accumulés fur fa tête, lui promettoient
tous les prix académiques qu’il a remportés depuis.
J’étois prefque alors le feul homme de lettres qui
le connut. Confident de fes premiers écrits, j’ ap-
pliquois dès-lors à fa carrière littéraire ce que
M. de Voltaire avoit dit de la carrière politique
& militaire du grand Frédéric :
Tout du plus loin que je vous vis,
Je m’écriai : Je vous prédis
A l'Europe toute incertaine.
U a lui-même, dans le dernier & le plus parfait
dé fes ouvrages (le Lycée ou Cours de littérature,
tome i i i , partie ü , pages 158 & 1 5 9 ) , rendu
un témoignage touchant à notre ancienne & conf-
tante amitié, & à ma jufte eftime pour fes talens. '
Comme ce n’eft point un.éloge que je dois
faire i c i , mais un précis hiftorique, je ne difïî-
mulerai rien. M. de Laharpe connut de bonne
heure l’infortune, & l’humiliation pire que l’ infortune
3 il penfa être arrêté dans fa carrière dès
l ’entrée. A peine fes fuccès précoces avoient-ils
averti l’envie, qu’on voulut, pour le perdre, ériger
en crime une efpiéglerie de collège, qui ne méri-
toit que' des pénitences fcholaftiques. Ses compagnons
d’ étude, dont avec raifon il étoit l’oracle,
avoient fait contre quelques régèns qu’ils n’ai-
moient pas, une mauvaife fatyte qu’ils lui communiquèrent.
Son g o û t, dès-lors îevère & intolérant,
ne putTaifler fubfifter des fautes groflières
dont il étoit choqué 3 il les corrigea, fans fonger
à autre chofe qu’ à ôter des fautes. Les pèrfonnes
attaquées dans cet écrit y donnèrent par leurs
plaintes un éclat indiferet 5 ils; portèrent à la police
cette fottife qui n’eût pas dû fortir de l’ombre
du collège. M. de Sartirie, voyant cette affaire
avec le microfcope de la prévention , -vouloit
exercer contre un enfant toute la rigueur de fon
redoutable miniftère : on lui en fit fentir les confé
r e n c e s , on lui fit prévoir le repentir quip>our-
roit fuccéder un jour à cette exceflive féverité 3
il s’ ad oucit, & le coupable en fut quitte pour
quelques mois de prifon. Cette aventure empoi-
fonna les premiers jours de fa jeuneflfe : le v if rel-
fentiment qu’ il en conçut, remplit long-tems fon
ame d’idées & de projets de vengeance contre
les oppreffeurs & les tyrans. Dans tous les fujets
qu’ il traitoit, il donnoit toujours la préférence à
ceux où l’indignation, venant au fecours de l’innocence
& de la foibleffe, rétabliffoit l’humanité
dans fes droits. Peut-être cette première difpo-
fîtion a-t-elle influé fur fon caractère, peut-être
a-t-elle été le principe de cette amertume éloquente
qui animoit quelquefois fon ftyle & qui le
rendoit h redoutable dans le genre polémique 3
car il fut l’Achille de la littérature 3
Impiger , iracundus, inexorabilis, acer.
Peut-être aufli eft-ce par un refte dé cette même
difoofition qu’il avoit d’abord été affez favorable
à la révolution, qu’ il a depuis fi hautement &
fi pleinement abjurée quand il a vu tout ce qu’elle
ajoutoit à la tyrannie.
Ses premiers ouvrages ont été des héroïdes.
C e genre, imité d’Ovide, & qui pouvoit fervir
d'études aux jeunes auteurs qui fe deftinoientau
théâtre, étoit alors cultivé avec affez de fuccès.
L’Epître d’Héloïfe à Abélard., de M. Colardeau 3
l’Epître de Bamevelt à Truman Ion ami, de
M. Dorât 3 l’Epître de Y abbé de Rancé, écrite de la
Trappe à un ami, par M. Barthj & plus encore,
une Epître d’un Religieux de la Trappe a l ’abbé de
Rancé3 par M. de Laharpe, ont donné pendant
uelque tems à ce genre une affez grande faveur
ans le public. M. de Laharpe & M. Dorât parurent
d'abord partager les fuffrages : les gèns du
monde étoient favorables à M. Dorât, qui fe pi-
quoit plus d’être homme du monde qu’homme
ae lettres ; mais la fupériorité de Laharpe. fut
bientôt fi décidée & la balance fi rapidement emp
o r té e , qu’ il n’y eut plus de partage.
! Laharpe s’élance dans la carrière des prix aca-
idémiques. Chamfort, qui l’y avoit précédé, fier'
j d’avoir triomphé avec peine de plufîeurs rivaux
! qui s’étoient mefurés de près avec lu i, & lui
! avoient fortement difputé la viétoire, vient lire à
^Laharpe une pièce deL vers qu’il vehoit d’envoyer
|à un nouveau concours. M; de Laharpe, lui rendant
‘ confidence pour confidence, tiré de fon'
[porte-feuille une pièce qu’ il alloit envoyer au
même concours, & lui en fait la letture. Charn-
;fort, juftement alarmé, emploie fa rhétorique à
tâcher de lui perfuader qu’ il devroit abandonner
les prix de l’Académie & fe réferyer pour le