
après avoir réfiftë pendant tout ce tems aux tentations
de la gloire, après avoir recherché toute
fa vie l’ obfcurité 8c la pauvreté, Comme les autres
recherchent la réputation & la fortune > après avoir
injuftement livré au feu la plupart de fes productions
,. M. l'abbé Blanchet cède enfin , non fans
beaucoup d'incertitudes & d'agitations, & fous la
conditionne n'être pas nommé il cède à des amis
qui veulent le rendre illuftre malgré lui dans fa
vieillefîe 5 & le moment où fes- Va. ri étés paroilfent
imprimées 8c reçoivent l'accueii le plus flatteur ,
ce moment de fon triomphe eft le moment de fa
mort ; il fembloit qu'il eût été doué du don de
faire jouir les autres, 8c condamné à ne jamais
jouirlui-mêmè : toujours aimable dans la fociété,
à laquelle il fe livroit p eu , fombre 8c mélancolique
dans la folitudë, où il aimoit cependant à
vivre, accablé de vapeurs, dont il fouftroit feul,
8c dont il craignoit toujours de faire fouffrir les
autres : Tel que je fuis , difoit-il, i l faut pourtant
que je me fupporte y mais les autres y font-ils obligés?
L'auteur de fa vie prévoit qu'on lui objectera
cette obfcLirité même à laquellè l'abbé blanchet
s'étoit condamne. Pourquoi, dira-t-oji, occuper
le public d'un inconnu ? Pourquoi ? Pour le faire
connoître puifqu'il a mérité d'être connu, pour
rendre hommage à fes talens, à fes vertus, 8c le
venger des injufticés de fà modeftie.
Non ego te mets
Chartis inornatum filcbo,
Totve iuos paiiar labores
Impun'e , Loi II, carpere liyidas
Obliyiones.
Le caractère de 1 abbé Blanchet eft plein de phv-
nonomie. 8c d'originalité. Perfonne, après avoir lu
fa v ie , ne demandera pourquoi elle, a été écrite.
On parle avec raifon des réputations ufurpéès 5 on
peut dire, que fon obfcürité l'étoit. Bourfault parle
dans fes le ttres,- de 1 abbé T***;,, de l 'Académie
françaife , qui avoit, félon lu i, de grands talens
pour la chaire 5 .il lu i difoit que Dieu lui deman-
deroit compte un jour de ces talens enfouis , 8c
lui diroit : <* Je t'avois donné la grâce, la fo r c e ,
» l'pn&ipn., l'éloquence:, en un mot toutes les
» qualités néceffaîres à un prédicateur, 8c tu as
» féfîfté à ce que je fouhaitois de toi. — Encore
« pafle , répondoit l’abbé j le reproche fera hon-
» nête au Jieu qu'il dira à tant d'autres : De quoi
??• vous êtes-vous mêlés de prêchér ? Je vous avois
»■ donné gratuitement le talent de vous taire , 8c
» malgré moi vous avez voulu parler:. »
C e que l'abbé dont parle Bourfault, étoit pour
la chaire, l'abbé Blanchet l'étoit pour la littérature.
11 compofoit cependant pour fon plaifir , 8c
quelquefois pour celui des autres ; mais il ne pu-,
blioit rien,.
4 Quant à fa fortune, il ne fayoit ni demander ni
accepter > il méprifoit fincérement les richeffes ,
mais fans cynifme, fans jaétance, fans condamner
les autres à s'en palfer comme lui.
Il fallut s'occuper de fa fortune malgré lui. Ufj
induit qu'il tenoit de l'amitié de M. de Chavan-
n es , doyen du parlement, lui ayant procuré un
canonicat, il accepta ce canonicat par reconnoif-
fance, 8c s'en démit peu de tems après. On lé fit
interprète à la bibliothèque du R oi, à condition
de ne rien interpréter j il voulut encore remettre
cette place , mais cette fois-ci ori étoit en garde
contre lui. ce Nous ne recevrons point, lui dit
» M. Bignon, la démifïion de votre place d’inter-
» prête, comme M. de Mirepoix a reçu celle de
» votre canonicat. Ainfi l'abbé fut condamné à
» toucher cent piftoles, qui lui ont été comptées
» jufqu'à la mort. On le nt aufli cenfeur, à con-
» dition de ne rien cenfurer , 8c feulement pour
» le gratifier de nouveau. Cette fois il n’ en eut
» pas le démentij il accepta le titre , 8c refufa la
» penfion. On le fit garde des livres du cabinet
» au Roi > il quitta encore cette place pour aller
» languir 8c mourir à Saint-Germain-en-Laye. »
Ce caractère femble au premier coup d'oeil
offrir quelques traits de conformité, avec celui dè
J. J. Rouftèau > mais l'hiftorien de l'abbé Blartchet
y trouve de grandes différences. «« Jean-Jacquês,
» dit- il, fut conftamment dévoré de l'amour de
» la célébrité} il fé défia de tout le monde, 8cfut
» toujours infociable 5 au lieu que l'abbé Blanchet
» cacha de fon mieux fa vie 8c fes ouvragés, vécut
» avec confiance, 8c mourut au frein de l'amitié:....
...» C et homme,, dont les infirmités précoces
» avoient confidérablement altéré l'humeur 8c di-
» minué l'aéÉvité, retrouva toujours dans le befoin
» de fervir fes amis, un principe de vie qui le ren-
» doit infatigable. Cet homme, qui fe refufoit à
» toutes les grâces 8c à tous les bienfaits, entroit
» dans le raviffement quand fes amis parvenoient
» à quelque chofe d'utile 8c d'honorable. »
M. Dufauîx nous apprend une anecdote qui fait
honneur y 8c à M. l'abbé Blanchet, 8c au célèbre
médecin Bouvard fon ami.
« M. Bouvard, dit-il, étant, il y a environ qua-
» rante ans, à toute extrémité , dit à l'abbé Blan-
» chet : Du caractère dont je te connois, tu ne
» feras jamais rien pour ta fortune : il y a grande
» apparence, mon ami, que je n'irai pas loin, 8c
» quand je ferai mort, que deviendras tu? L'abbé
» vouloit répondre > mais lé malade profitant de
» fon avantage , lui impofa filencè ,• 8c diéta fes
» volontés : — J'entends que ta vie durant tu
» jouilfes dé dix mille é'eus que j'ai gagnés..... Ne
»t'effarouche poin t, le fonds retournera à ma
» famille. Quelque tems après l'abbé raconta ce
*3 trait à madame la ducheffè d'Aumont, qui en
» fut fi ravie, qu'elle le pria de recommencer. —
» Bon ! Madame, ce que je viens de vous dire
» n'eft rien en comparaifon de ce qui fuit : quand
” mon pauyre Bouvard fut hors d'affaire, eft-ce
» que je q e le trouvai pas tout honteux d'en être
» revenu ? »
Voilà pour ce. qui çoncerpe.Iq caractère de
l'abbé Blanchet, '& l'intérêt qu'il prenoit; 8c qu'il
infpiroit à fes aMsl Quant à fes talens , celui d'é-
crjre.en profe avec; beaucoup d'efprit, d,ej>hjlo-
fophre '8c dë goût , èft prouve par fes deux liyres!
des Variétés 8c des Apologues. De plus, l'éditeur
nous apprend que J'abbé Blanchet éft auteur de
plufieurs petits morceaux de poéfîey d'oin goût
exquis pour là plupart, 8c dont quelques-uns,
très-connus, ont été attribues aux meilleurs poètes
du tems, qui nq s'en défendoient pas trop. L'abbé
Blanchet ne l'ignoroit pas, 8c difoit : Je fù$ cfanqé.
que les riches adoptent,mes enfans..
C'eft dé lu i, par exemple, qu'eft ce triolet charmant
àdréfTé à trois foéurs: f j - '
Aimables foeurs, entre vous trois
A qui mojijcqeiir ejoit-is fe rendre?
Il n'a point fait encor de choix,
Aimables foeurs, entre vous trois},
Mais il fe donnerait, je crois,
A la moins fière, à la plus tendre.
Aimables foeurs , entre vous trois
A qui mon coeur doit-il fe rendre ?
M. de Fontenelle, juge fuprême dans le genre
galant, ingéniëux 8c aimable, difoit qu'on ne pou-
voit pas mieux faire dans ce genre, 8c l'on ne peut
qu'être de fon avis. Le fameux triolet de Rancnin :
Le premier jour du mois de mai, &c.
qu'on appeloit le RoTdes triolets, eft beaucoup
moins parfait. L e voici :
Le premier jour.du mois de mai
Fur le plus beau jour de ma vie j
Le beau dejfein que je formai.
Le premier jour du mois de mai !
Je vous vis & je vous aimai,
Et ce deffein vous plut, Sylvie 1
Le premier jour du mois de mai
. Fut le plus beau jour de ma vie.
^ C e triolet, fort joli fans doute, n’eft pas fans
tache. Qu'eft-ce que ce deffein formé d'aimer?
Aime-t-on ainfi par deffein formé ? D ’ailleurs le
vers :
Je vous vis & je vous aimai.
qui rappelle le ut&idi, ut perii de Virgile, exclut
cette idée de deffein 8c d'arrangement. De plus ,
l'à-propos des refrains, qui fait le principal .mérite
des triolets, 8c qui doit être t e l , que les vers répétés
foient non-feulement bien placés-, mais né-^
c.efiaires à l'endroit où on les répète} cet à-propos
nous paroît plus fin, plus parfait, plus abondant
en idees, acceffoires dans le triolet, de l'abbé Blanchet,
que dans celui de Ranchin.
Qu’on ne regarde point ce mérite du refrain
comme frivole} il fait l e plus grand charme de la
poéfie lyrique 8c chantante dans tous les genres}
c'eft celui qui donne le plus fenfiblement 8c le plus
délicieufêniênt au coeur 8c à l ’oreille à la fois
l'idée de la perfection. 1
Quoi de plus joli encore que ce madrigal de
M. l'abbé Blanchet fur ‘une jèiirïë" pèrfonne habillée
en religieufe 1 î
Q^ie cette Veftalc a d'iappas' V
Heureux celui qu’ldie aime 1
Le bandeau ne lui meflied pas’yî î
Il iemble un diadème ; 1
Et s'il étoit deux doigts plus bas A
Ce ferait l'Amour memëi' ' ' ,
Le portrait fuivant, dont le modèle nous eft
inconnu , mérite d,'être - fidèle ; par , les contraftes
même qu’il rafïèmble.
Telle eft rincoùcevable Horterife1,' ' '
Egalemérû'fidelle au caprice, au dev'ôir,! '
Vertncufe fans qu’elle,y penfe j
Et charmante fans lc favqir.
Cette épitaphe de M. le comte de Çifors eft
fimple,, noble, guerrièrey ,8c digne du jeune héros,
qui en eft l’objet.
Content d’avoir fervi ma patrie & mou meure ,
Je meurs au bord du Rhin ;
J’étois déjà Bayard , ne pouvant encore être
Dunois. ni Duguefclin.
« L'abbé Blanchet a célébré, dit M. Dufaulx,
» un illuftre étranger, naturalifé parmi nous, 8c
» qui a auffi bien mérité de la France que de
» l'humanité. »^
N * * * tu fus choifir, tu fus fervir ton Roi :
Avec un efprit jufte , avec un coeur feiifibic,
Tu réparas le mal que Ton fit avant toi j
Tu fis le bien qu’on croyoit impoflible.
Enfin c'eft M. l'abbé Blanchet qui eft l'auteur
d'une énigme, laquelle eft du petit nombre de
celles qu'on remarque. Elle fit du bruit dans le
tems 5 elle occupa ceux même qui s'amufoient le
moins de ce genre , 8c embarraffa ceux qui s'y
exerçoient le plus. ,
On vous annonce une maifon
A louer en toute faifon,
I i