
»» madame de Maintenon. Je eroyois , difoit dans
» la fuite le duc d'Orléans en rapportant cet
» entretien, je eroyois à tout moment qu'il m'al-
*> loit déclarer fon mariage.
M Les dernières paroles du Roi s’adreftèrent à
90 elle. Après être revenu d'une grande foiblefle,
e* il lui dit : II faut , Madame, que vous ayez bien du
33 courage & de l ’amitié 3 pour demeurer la f i long-
»» tems. Retirez-vous. Je fais tout ce que vous fouffre.^[
33 d‘un pareil fpe5ta.de. Mais j'efpere q u il finira bien-
« tôt. Sa tête s’embarrafta. Il perdit toute connoif-
3J fance. Madame de Maintenon rentra dans fon
*» appartement, pour pleurer en liberté fon Roi,
« fon ami, fon époux......... »
Le 29 août 17 1J , le Roi refpiroit encore.........
Madame de Maintenon fe demandoit fi elle de-
voit attendre le dernier coup de la mort ou épargner
ce fpe&acle à fa fenfibilité. Il lui paroiffoit
honteux de ne pas fermer les yeux au R o i.........
Mais fes foins lui é.toient déformais inutiles : il
avoit perdu J'ufage de fes fens j il luttoit contre
la morts il fouffroit peut-être, mais du moins elle
le voyoit encore. A chaque inftant elle deman-
doit à Fagon des nouvelles du Roi : èlle en alloit
chercher elle-même & n'en trouvoit que d’accablantes.
Ses triftes yeux fe portoient en tremblant
fur ce vifage déjà couvert des ombres du trépas.
Elle envoyoit mademoifelle d'Aumale voir s’il
étoit bien vrai qu'il ne reftât plus d’efpérance. :
Le maréchal de V ille ro i, ténmin de fes agitations
, la conjure de fe retirer. « Ç^eft à moi, lui ré-
pond-elle, à recevoir fon dernier foupir, & il me
» refte encore allez de force & de courage. 3« Ces
derniers mots étoient démentis par fes pleurs..........
ce Voule z-vous , dit le Maréchal, que toute la :
*> France vous voie livrée aux premiers tranfports :
» de votre douleür? Mais, repart madame de ;
?3 Maintenon, il vit encore ; il voudra peut-être j
« me revoir. Si fes derniers regards me deman-
*> doient&nemetrouvoientpas ! ajouta-t-elle en
» fanglôtant ». Le Maréchal lui promit que fi le
Roi prononçoit une fois fon nom, e lleenfero it
promptement inftruite ; enfin il la détermine à -
partir. Cependant elle veut encore que l ’abbé
Briderei fon confefîeur voie le R o i, & l'affure
qu'elle ne lui eft plus bonne à rien. Elle part
pour Saint-Cyr avec mademoifelle d'Aumale. Nous
allons le pleurer, lui dit-elle, & hâter fa gloire dans
le Ciel par nos prières.........
Quand elle apperçut Saint - Cyr : Hélas ! dit-
elle , cette mai fon perd fon père & fa mère. Je vais ]
lui être bien inutile, après avoir pu tout pour elle auprès
de celui que nous pleurons. En entrant .* Je ne
veux plus , s’é c r ia - t-e lle , que Dieu & mes enfa
n s......... I l faudra employer le refte de notre vie a
leur infpirer la piété folide que le Roi avoit acquife.
L e maréchal de Villeroi lui envoyoit d'heure
en heure un courrier pour lui apprendre des nouvelles
de l ’agonie du Roi. Elle pafla la nuit & les
deux jours fuivans à en attendre, à en recevoir 3
à en attendre encore, à fe défefpérer d’en avoir
reçu. Elle pria, pleura, parla du R o i, & ne penfa
pas un inftant à elle-même.
Le Roi étoit mort le^i feptembre, & perfonne
n'ofoit le lui dire. Enfin, le 2 , mademoifelle
d'Aumale entre dans fa chambre & lui dit du ton
le plus lugubre : Madame, toute la maifon consternée
eft a l'églife. Elle l'entend, fe lève & va au
choeur a {lifter à l'office des morts.
■ Les deux plus grands événement du refte de
fa vie font lés vifites qu'elle reçut dans fa retraite,
du duc d'Orléans & du czar Pierre. Le premier
alloit rendre hommage à la vertu de madame de
Maintenon, qu'il appeloit la femmesans faute ;
l'autre, à la célébrité d'une femme qui avoit été
pour Louis X IV ce que Catherine, beaucoup
moins bien née, étoit pour lui.
Elle ne reçut d'ailleurs que la reine d'Angleterre
& quelques évêques. Toute la cour vint fe
préfenter à fa porte, & fut refufée. Le maréchal
de Villars demanda une exception qu’il méritoit
, à tant d'égards, mais furtout par fon fidèle attachement
pour Louis XIV. On lui répondit que
Saint-Cyr étoit inacceffible aux héros comme aux
Princes. Il répliqua qu'il alloit y mettre le fiége.
A ce mot de fi bon goût dans la bouche du maréchal
de Villars, à cette plaifanterie noble &
tendre qui annonçoit toute la perfévérance de
l'amitié, il fut admis & accueilli par l'amitié. Le
maréchal de V illeroi, non moins fidèle à madame
de Maintenon, lui donna le coup de la mort enlui
apprenant la difgrace & la prifon du duc du Maine3
elle courut fe jeter aux pieds des autels, fon feul
afile dansTes douleurs. Elle en revint avec la fièvre
qui ne la quitra plus. E lle mourut le 1 y avril 1719,
à près de quatre-vingt-quatre ans.
Son épitaphe françaife, qu'on lit fur une pierre
de marbre, au milieu du choeur de l'églife de
Saint-Louis à Saint-Cyr, eft de l'abbé de Ver tot:
on y remarquoît ces deux lignes :
Révérée de Louis-le-Grand,
Environnée de fa gloire.
Comme difant & ne difant pas qu'eHe étoit fa
femme. MM. Tiberge & Brifacier avoient propofé
l'épitaphe fuivante, qui ne fut peut-être rejetéé
que parce qu’elle eft en latin, & d'ailleurs un peu
longue.
H ic Jacet
Illuftrijfima Domina , D. Fr a n c i s c a d’A ubigné,
Marchionijfa de M a intenon ,
ChrifiinA Victoria Bavarics, GaUiarum Delphine à
muliebri çultu.
Ludoyico magno tâm conftanter quâm fapienter char a :
Fsmina anfe omnes fui svi , pluriumque rétro f&culç-
rum fAminas
Longé prAftantior !
Nec alla ntagis fimul & minus riatd
Natalibus clara, ingenio, ratione ac prudentiâ cldrior,
Solda virtute &fincerâpietate, fuprà modüm mirabilis,
Bonorumque memoriâ digna.
Summâ apud Regem gratiâ
E s t HER ALTERA.
Continuo ofàtidnis ftudio , & fecejfu cum fuis puellis.
A l t é r a J û d ï t h
Fortuhâ primunï adverfaute fortior,
Eâdem adprodigium favenu, fuperior,
ln opibus liberalitate erga pauperes inops ;
In glorÎA api ce, chriftiariâ modeftiâ 3 kumilis 3
ln medîis deliciarum illecebris 3 Verè aùftera.
In injuriis & catiCmniis nunquajn ulirix 3
Multitm vixit 3 ut quA ampliorem bonorum operum
menfuram impleridam haberet :
Parhm v ix it, ut quA vacuum ingens in iis quA féliciter
implébàt 3 réliqnit.
Dorftum hanc egentibds 3 fed nfo'bilibus ducentis quin-
quaginta puellis in vèrpetüum educandis 3 fplendidifi-
mam, /iiijfirham 3 toti regno ac religioni utilijfimam 3
inftituit.
In eâque per plures dnnos abdita vivere, rite par ata
mori , abfqiie pompâ fepeliri volait ; tôt caftorum la-
biorum, non laudes 3 fed preces 3 poft mortem exoptans ,
Citius ad Deum perventura.
Les cinq vers fuivans, pour être mis au bas du
portrait de madame de Maintenon, font parfaitement
juftes.
L’eftime de mon Roi m’en acquit la téndrefle :
Je l'aimai trente ans fans foiblefle;
Il m’aima trente ans fans remord :
Je ne fus Reine ni maîtrefie 5
Devine mon nom & mon fort.
11 nous refte à la confidérer comme écrivain.
On a d'elle quelques v e rs , mais des vers de fo-
ciété feulement. Dans le tems q ue , pauvre &
obfcure, elle bornoit fon ambition & fes plaifirs
aux entretiens & aux amufeinens des hôtels d'Al-
bret & de Richelieu, où l'on faifoit quelquefois
dés vers & des chanfons, elle fit ces vers fur ce
que l'abbé T ê tu , faifant allufion à fa févérité,
J'appeloit la Geôlière des coeurs.
Ah 1 l’ingrat, le maudit métier
Que le métier de geôlière 1
IL faut être'barbare & fière :
i l faut faire enrager un pauvre prifonnier.
Non, ce 11’eft pas là ma manière.
Tous ceux qui font dans mes liens
D’eux-mêmes font venus s*y rendre j
Je n’ai pas cherché les moyens
De les vaincre ou de les Surprendre.
Prifon où liberté, je leur donne’ à choifir.
Je lé dis donc fans être vaine :
' Je prends mes captifs fans plaifir,
Et je fais les garder fans peine.
Ces vers reftemblent aflez à ceux que Benferade
compofoit vers le même tems pour les fêtes de
la cour. Dans le même tems & auffi dans la même
foc ié té , madame de Montefpan, d’après fon caractère,
en faifoit de pluspiquans contre mademoifelle
de la Vallière, à laquelle elle ne fe fiat-
toit pas encore de fuccéder.
Soyez boîteufe £ ayez quinze ans :
Point dé gbrge, fort peu de fens,
Des parens, Dieu le fait 1 faites, en fille neuve,
Dans l’antichambre vos enfans.
Sur ma foi 1 vous aurez le premier des amans,
Et la Vallière en eft la preuve.
C ’eft fur ce ton malignement gai que madame
la Ducheffe,' fille de madame de Montefpan, chan-
fonnoit diverfes personnes de la cour, à commencer
par fon mari & par fes foeurs.
Nec imbellern féroces
Progenerant aquiU columbam.
M. de la Beaumelle , qui n'étoit point de l'Académie
, & qui auroit pu en être u fes autres ouvrages
avoient répondu au mérite de fes Mémoires
, ou s'il n'y avok pas eu d’autres obftacles,
prétend que madame de Maintenon n'aimoit point
l'Academie, & qu'elle difoit à M. de Fénelon :
N avez - vous pas honte d'être parmi, des gens qui
parlent fur des paroles ? Si le fait eft vrai, cette
femme illuftre aura dit une fois dans fa v ie , pour
la confolation des fots, une bien énorme fottife.
Mais il eft vrai que Scarron l'avoir élevée dans là
haine de l'Académie, qui ne faifoit point de cas
du burlefque.
Quant à fa profe , fon Inftruêbion h M. de Cka-
millard3 qui ne put être inftruit^ & le Recueil de
fes Lettres, fuffifent pour lui faire un nom dans la
littérature. Son ftyle eft noble, précis, élégant.
Sa mélancolie eft phiJofophique, & fon enjouement,
quand elle en a-, eft fpirituel.
A propos des travaux de madame de Mainte-
non: « Les hommes font bien fou s , dit-elle, de
» fe donner tant de foins pour embellir une de-
>3 meure où ils n'ont que deux jours à loger !
33 II n'eft point, dit-elle ailleurs, de dédomma-
33 gement de la liberté.........La philofophie nous
3» met au de'ffus des grandeurs : rien ne nous met
33 au deffiis de l'ennui. >3 Elle peint quelquefois
des héros' d'un feul trait : « M. dé Luxembourg