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emprunter d’elle-même les moyens de la fup-
planter plus finement. Quelquefois cette tendre
amante, fuccombant à fa douleur, s'éloignoit,
quittoit la cour, & préludoit au grand facriSce
qu'elle devoit faire bientôt : un ordre du Roi la
rappeloit ; elle revenoit, non fans fe fouvenir
qu'autrefois en pareil cas le Roi venoit la chercher,
8c qu’à prefent il fe contentoit de la mander.
Fatiguée du fpeâacle des triomphes continuels de
madame de Montefpan, 8c occupée defonprojet
de rénonciation au fiècle : « Quand les auftérités
» de cette vie pénitente, difoit-elle, me femble-
33 ront un peu dures , je me rappellerai ee que ces
*3 gens-ci m'ont fait fouffrir, & je ferai confolée. »
Quand madame de la Vallière fe fut retirée aux
Carmélites, & qu'elle y fut accoutumée, madame
de Montefpan alla un jour la v o ir , 8c de ce ton
étourdi dont le grand monde ne corrige pas toujours
: Tout de bon ! lui dit-elle, êtes-vous aufli
joyeufe qu'on le dit ? — Joyeufe n’eft pas le mot,
Madame, mais je fuis contente. — Pour moi, dit
madame de Montefpan, je ne fuis ni l'un ni l'autre.
En la quittant elle lui dit encore, en vainqueur
refté maître du champ de bataille : Que dirai-
je au Roi de votre pan ? — Tout ce que vous voud
re z , Madame.
Cependant le marquis de Montefpan , qui avoit
vu d'un oeil tranquille le conquérant La us un attaché
à fa femme, trouva mauvais qu'elle fut maî-
trelfe du R oi, 8c s’en expliqua très-maritalement
avec elle. Madame de Montefpan l ’affura que fon
commerce avec le Roi avoit toute l'innocence de
l'amitié , toute la pureté de la vertu. On ne croit
guère à.l'amitié pure d'un Roi de trente ans pour
une belle femme de vingt. M. de Montefpan in-
iîfta : fa femme , avec toute l'autorité d'une maître^,
de R oi, menace & parle d'exil} le mari indigné
répond qu'il ne connoît dans fa maifon d'autre
maître que lu i, 8c lève la main fur une femme
rebelle } i l maimey s’écrie-t-elle alors} frappe^,
f i vous iy fa ; ill'ofa. Les cris de madame de Montefpan
inftruifent toute la maifon de ce fcandale :
on accourt} on la trouve éplorée. Toute la cour,
Jes femmes furtout, à commencer par la Reine,
tonnent contre un mari fi féroce. Louis X IV fe
fou vient du prince de Condé, qui emmena fa femme
en Flandre pour la dérober aux empreffemens
d'Henri IV ; il donne un ordre qu'un Roi amant
n'a pas droit de donner, & qu’ il ne peut guère fe
relufer ; il défend au marquis de Montefpan d’emmener
la femme en province.
Montefpan s'empreffe de publier fon déshonneur
pour détruire la réputation que fa femme
ufurpoit encore 5 il prend le grand deuil comme fi
elle étoit morte, 8c donne à fon reflentiment tout 1 éclat dont il peut s'avifer : on l'exile dans fes
terres. Il pouvoit s'aflurer l ’intérêt qui s’attache
toujours aux opprimes} mais il falloit ne pas vendre
fa honte bt ne pas en reççvoir le prix : le
’ marquis de Montefpan avoit des dettes, cent mille
écus l'appaifèrent.
Madame de Montefpan régna donc fans contrainte
, du moins de la part de fon mari 5 mais elle
eut toujours à lutter contre fes propres fcrupules
& contre ceux de Louis XIV. Les tems de l’année
plus particuliérement confacrés aux devoirs de la
religion furent toujours pour elle des tems de
crife pénibles 8c dangereux à paffer : elle eut même 1 honneur de réfîfter long-tems à Louis X IV } mais
enfin il fallut céder à un tel amant & à un tel Monarque.
Long-tems encoife après fa défaite, elle
.eut le mérite d’en rougir & l'adreffe delà cacher.
Une mode peu favorable à la taille, Sc qu'elle eut
le crédit d'établir , déguifa fes premières groffefles.
La naiffance de fes enfans fut d'abord un myftère}
elle accoucha dans une maifon écartée, avec toutes
les précautions faites pour affurer le fecre't. C lé ment,
célèbre accoucheur, dont les enfans 8c pe-
tits-enfans fe font fait un nom dans la magiftrature,
trouvant le Roi chez l'accouchée, ne le connut
pas ou feignit de ne le pas connoître, 8c fe fit
verfer a boire par lui. Si l'on en croit M. de la
Beaumelle, Clément étoit arrivé les yeux bandés
dans la maifon, 8c madame de Maintenon, alors
madame Scarron, qui confentit avec répugnance à
élever ces enfans, entra chez madame de Montefpan
, & en fortit un mafque fur le vifage.
Madame de Montefpan accoucha une autre fois
( le 31 mars 1670 ) 8c à Saint-Germain. On n’ ofa
pas introduire dans le château madame Scarron }
elle attendit a la porte} ce futLauzun qui reçut 1 enfant ( c etoit le duc du Maine ) : on n’eut pas
le tems de l’emmailloter} on l'enveloppa dans
des langes. Lauzun le prit dans fon manteau,
traverfa ^appartement de la Reine, toujours tremblant
qu il ne criât, & le porta dans le carrofie
de madame Scarron.
Cette complaifante 8c tendre gouvernante des
enfans de Louis XIV & de madame de Monte fi-
pan etoit bien loin d'excufer le vice de leur
naiffance} elle ne ceffoit de reprocher à leur mère
fes foibleffes 8e fes rechutes : madame de Montefpan
redoutoit fes remontrances, fonfilençe,
fes regards. Un jour voulant la voir dans une de
fes couches : “ Je defire, luiécrivoit-elle, 8e j’ap-
» prehende votre préfence. Au nom de Dieu ! que
» vos grands yeux noirs ne tombent pas fur moi
»! dans 1 état où je fuis. »
Elle fe piquoit d’une grande exaélitude à remplir
les devoirs de religion , à obferver les jeûnes
prefcrits par l’Eglife, jufqu'à faire pefer devantelle
le pain de fa collation. Madame la duchelfe d'Uzès
paroiflànt étonnée de ce contrafle de fa foi §c de
fes moeurs, quoi ! dit madame de Montefpan, parce
qu’ on fait un péché, croyez-vous qu’on les faflfe
tous ?
Un jour madame de Montefpan 8emadame Scarron
étant allées enfemble à l'églife , madame de
Montefpan entra dans un confeflional, entendit
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la meffe avec le plus grand recueillement & y
communia. Madame Scarron, tranfportée de joie,
alloit la féliciter fur fa converfion, lorfqu’elle entendit
madame de Montefpan dire gaîment au
cocher : A Verfailles. — Quoi ! madame,après ce
que je viens de voir, 8c en Portant de ce faint exercice
! La coupable fe tu t , foupira, 8e partit pour
Verfailles.
Soit pour éviter, à ce qu’elle croyoit, le fcandale,
foitpour s'étourdir elle-même furie danger
des communions indignes, elle approchoit ainfi de
la Sainte-Table à la faveur de quelques abfolutions
furprifes à des prêtres mercenaires ou ignorans, ou
trompés par des confeflions infidelles.
C e fut furtout en 16-71 qu’éclatèrent hautement
fon crédit 8e fa puiffance, & qu’ elle crut
pouvoir braver la Reine qu'elle méprifoit, la Val-
lière qu'elle effaçoit, 8e la France qu’elle fcanda-
lifoit. La publicité même de fa conduite aver-
tiffoit les confeffeurs d'être févères. Elle effaya
run jour d'extorquer une abfolution à un curé ae
village, dont on lui avoit vanté la facilité. C e t
homme , au premier m o t, s’écria : « Quoi ! vous
v êtes cette madame de Montefpan qui fcandalife
» toute ,1a France ! Allez , Madame, renoncez à
» vos coupables habitudes, & vous pourrez enfuite
« vous préfenter à ce tribunal redoutable. *>
Madame de Montefpan devoit fe rendre juflice,
8c fentir que cet homme faifoit fon d evoir} mais
l'orgueil blelfé d'une femme, d’ une maîtreffe ,
l'emportant fur toutes les confidérations de piété,
elle eut l'imprudence de fe plaindre au R o i , 8c
de lui demander vengeance. Louis XIV étoit jufte}
il féntit d'abord que l’autorité royale ne pouvoit
être interpofée entre une pénitente 8e fon confef-
feur. Il confulta Boffuet, qui ne put que louer
le prêtre d'un courage qu'il n’eût peut-être pas
eu lui-même, dit la Beaumelle, 8c Morttauzier,
qui répondit brufquement que madame de Montefpan
devoit remercier ce prêtre de lui avoir
épargné un facrilége. C et incident ayant ouvert
l'oreille du Roi aux confeils de la religion 8e de
la vertu , 8e un jubilé étant venu à l'appui, Louis
crut avoir, à trente-quatre ans, la force de renoncer
à une femme qu’il aimoit 8e qui avoit tant de refi-
fources pour fe faire aimer } il promit à Boffuet,
ou du moins il lui fit efpérer qu'à fon retour de
l'armée il ne reverroit plus madame de Montefpan
: on parloit déjà de l'éloigner de la cour 5
on alléguoit la néceflité d’une réparation publique
pour une faute publique, la crainte d’une rechute ,
le devoir 'que la prudence impofe de fuir le péril
de la tentation.
Au milieu de toutes ces délibérations madame
de Montefpan parut à la cour : fes rivales pâlirent,
les dévots s'alarmèrent ; le R o i, fidèle à fa parole,
la fuyoit avec un foin marqué ; elle paroifloit aufli
l’éviter, mais fans affectation, cependant ils fe ren-
controient toujours. De graves eccléfiafliques, des
femmes refpeêtables propcfèrent même qu'ils fe
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viffent, mais en leur préfence, 8c que le Roi déclarât
avec douceur 8c avec ménagement à fa maî-
treffe, qu'il renonçoit à vivre avec elle. L’entrevue
en effet eut lieu 3 ils fe rapprochèrent en rougif-
fant, fe parlèrent un moment tout bas dans l’em-
brâfure d’une fenêtre : on les vit s’attendrir 8c
pleurer. Tout à coup le Roi, lui préfentant la main,
fe retira feul avec e lle , en faluant en paffant l'af-
femblée qu'il laiffa dans une confufion affez rifible,
que madame la comteffe de Caylus peint fort
plaifamment dans fes Souvenirs. Mademoifelle de
B lois, qui fut depuis madame la ducheffe d'Orléans
, femme du Régent, fut le fruit de cette
entrevue, 8c madame de Caylus prétendoit retrouver
dans le cara&ère, dans la phyfionomie 8c
dans toute la perfonne de cette Princeffe des traces
de ce combat de l’amour 8c de la dévotion, qui
avoit préfidé à fa naiffance.
Quelques années après les dévots eurent leur
revanche , du moins .pour un tems. Des prêtres
de la Miflion prêchèrent un carême à la cour 8c y
firent une révolution : une femme de confiance de
madame de Montefpan eut des remords, fe crut
damnée , rendit les préfens que fes complaifances
criminelles lui avoient v a lu , 8c par fes agitations
commença d’ agiter à fon tour fa mobile maîtreffe:
celle-ci voulut aller à confeffe à un de ces millionnaires,
8c lui envoya ordre de l'attendre au confef-
fional. « Le millionnaire, dit l'auteur des Mémoires
» de Maintenon , fe promit bien d'apprendre à
» cette impérieufe pénitente à refpecter les mi-
” niftres du Seigneur. «
Elle fortit de l'églife toute en larmes 8c toute
effrayée des jugemens de Dieu> elle envoya chercher
M. Boffuet, lui déclara qu’elle alloit quitter
la cour 8c faire pénitence} elle le chargea d ’en
prévenir le Roi 8c d’obtenir fon agrément. Le
Prélat dit au Roi que madame de Montefpan, qui
fe plaignoit autrefois de la févérité des confeffeurs
, fe plaindroit bientôt de leur indulgence }
que déjà, plus févère que quelques-uns d'entr'eux ,
elle avoit décidé que fon premier devoir étoit
de fe retirer de la cou r, 8c qu’elle le prioit de
vouloir bien, par fon confentement, féconder en
elle l'ouvrage encore imparfait de la grâce. Le Roi
laiffa tomber quelques larmes, 8c chargea le Prélat,
en foupirant, de dire à madame de Montefpan
qu'il l'aimoit trop pour s'oppofer à fon falut.
Madame de Maintenon vint, à l'appui dé B o ffuet,
foütenirla foi chancelante de cette péche-
reffe 3 elle intéreffoit fon orgueil à l'exécution de
fes vertueux projets 8c aux progrès de fa pénitence:
« Toujours viétorieufe de la Vallière , lui
« difoit-elle, cette tendre fille a été quittée pour
« vous , 8c c'eft vous qui avez la gloire de quitter le
oa Roi. »s Elle la vit pâlir au rapport que M. Boffuet
lui fit des dernières paroles du Roi} elle l'entendit
accufer ce Prince d inconftance ou d'infenfibilité.
Boffuet 8c madame de Maintenon fe regardoient
avec inquiétude, 8c preffoient toujours le départ