
pour l’expédition du Milanez, des préparatifs qu'il
ne pouvoit cacher à l’ Europe , mais fur l ’objet
defquels il vouloit du moins qu’elle fe méprît. J1
fut le premier à publier la déclaration des Suifles $
il fe plaignit de leur dureté î il parut alarmé de
leurs «îenaces ,, & il fit faire ouvertement en Bourgogne
des préparatifs qu’on pouvoit croire uniquement
deflinés à la défenfe de cette province.
On ne s’y méprit pas long-tems , & les Suifles ,
ayant le cardinal de Sion à leur tête , allèrent occuper
le Pas de-Suze, pour arrêter les Français au
partage des Alpes. ( V oyt[ ci deifus, à l’ article du
colonel Albert de la Pierre , la querelle que le
Cardinal eut avec ce capitaine, au fujet de la
marche étonnante des Français à travers les Alpes,
laquelle déconcertoit tous les projets du Cardinal
& des Suifles. ) Ces projets étoient vaftes : les confédérés
dévoient partager entr’ euX & leurs amis
les Etats de tous les alliés que la France avoit en
Italie. Le cardinal de Sion devoit être duc de Savoie
5 fon frère, marquis de Saluces ; Profper C o lonne
j qui commandoitla cavalerie du Pape, lequel
n’avoit point encore pris de parti, devoit être
comte de Carmagnole s’il fejoignoit aux Suides
& s’ il les fecondoit bien.
. Cependant le Roi traitoit avec les Suifles par
l ’entremife du duc de Savoie, & toutfe difpoloit
à un accommodement. 'Moyennant une femme
dont on convint, le Milanez devoit être remis
au Roi. Le 8 feptembre î j î y , la fomme étoit
prête} le Bâtard de Savoie & le maréchal de Lau-
trec étoient chargés de la conduire à Bufalora, où
les Suides dévoient fe trouver pour la recevoir.
Mais la haine du cardinal de Sion ne s’endormoit
point : cet implacable ennemi de la France & de
la paix couroit dans tout le camp , y répandoit
fes fureurs, animoit les officiers fuiffes à la guerre
avec cette éloquence impétueufe~que la paffion
infpire & qui infpire la paffion. Il leur propofe de
faifir cet argent qu’ on portoit à Bufalora , de
prendre pour premières victimes Lautrec & le Bâtard
de Savoie, & de fondre fur le camp des Français,
o ù , d’après le traité, perfonne ne feroit fur
fes gardes. Ses violentes-harangues réveillèrent
dans tous les coeurs l’amour de la guerre & l ’avidité
du butin : les Suides fe déterminèrent à fuivre
le plan d’infidélité que le Cardinal leur traçoit.
Etrange pouvoir d’un feul homme fur la multitude
! Ce tte nation, diftinguée dans l’Europe
par fa probité , par fon humanité, croyoit s’illuf- j
trer en égorgeant de fang-froid des hommes qui
lui portoient le prix de la paix, & qui dormoient
fur la foi des traités. Quelques hiltoriens fuiffes
prétendent que cette infidélité ne fut point réfléchie
de la part des Suifles, que le cardinal de Sion
trompa leurs chefs , qu’il leur cacha fon p ro je t,
qu’il fit engager le combat par les Suifles de la
garde du duc de Milan, & par ceux des Suifles
qui lui étoient d’ailleurs dévoués ; qu’ alors les
autres prirent les armes tumultuairement pour
dégager leurs compatriotes & lans autre deflein }
mais 1 hiftorien de la ligue de Cambrai obferve
que ce récit n’ efl: pas conforme à celui des hillo-
riens de toutes les autres nations.
Lautrec & le Bâtard de Savoie eontinuoient leur
marche vers Bufalora , & alloient tomber dans le
piège lorfqu’un efpiori bien payé avertit Lautrec
du danger qui le menaçoit. L’ avis étoit trop important
pour qu’ on s’ amiifât à douter : Lautrec fe
détourna de fa route , mit 1 argent en fureté ,
avertit le Roi de fe tenir fur fes gardes : il étoit
tems. Lés Suifles marchoient pour attaquer le
camp, & la bataille de Marignan fe livra fi promptement,
que Lautrec neput s’y trouver. Madame ,
écrit gaiement François I à fa mère en fortant
de la bataille , vous vous moque re^ de Mejfieurs de
Lautrec & de Lefcuny qui ne fe font point trouvés a la
bataille , &fe font amufés a idppointemem des S uijjïs3
qui fe font moques feux.
Après cette grande -viétoire le Roi marcha vers
Milan : le cardinal de Sion s’y étoit retiré plein de
rage & de terreur en fuyant de Marignan. Au
bruit de l’approche du R o i, il s’enfuit chez l’Empereur
pour l’engager à faire un effort en faveur
des Sforces 5 il. prit la précaution, fatale à la F rance,
de mener avec lu i, à la cour de l’ Empereur, le
jeune François Sforce /"frère puîné du duc Maximilien
, afin que , fi ce dernier tomboit entre les
mains du vainqueur, l’autre pût continuer la que^-
relle en foutenant les droits de fa Maifon : c’eteit
le feul moyen de nuire aux Français qui reliât au
Cardinal. L’affaire de Marignan avoit détruit fon
crédit auprès de fes compatriotes 5 le fuceès.
l’ayant condamné, on ne vit plus en lui que le
fléau de fa patrie : on lui redemanda le fang de
tant de braves foldats, de tant d’excellens capitaines
facrifiés à fa fureur. Peu s’en fallut que les
Suifles ne le facrifiaffent à la leur : le refpeét
qu’infpiroit fa croix de légation lui fut très-utile
en cette occurrence} mais ce refpeét pouvoit avoir
des bornes : le Cardinal le craignoit, & en fe fau-
vant de Milaa chez l’Empereur , ' c'étoit moins,
encore les Français qu’il fuyoit, que fes propres
compatriotes. C e Cardinal relia chargé, envers.
l’humanité, du crime d’avoir fait égorger plus de
vingt mille hommes pour les feuls intérêts de fa
haine.
En 1 y 16 il engagea l’Empereur à.faire , dans
le Milanez, une expédition que le défaut d'argent
fit avorter. Les Suifles, qui étoient en grand
nombre dans fon armée, n’etoient point payés.
Le colonel Stafler va trouver l’Empereur dans fon
l i t , & lui demande de l’ argent de la manière la
plus preflante. L’ Empereur s’ irrite, s’appaife ,
menace, promet, conjure, mais vainement : on
lui déclare que fi l ’on n’eft payé dans l’ inflant, on
acceptera la folde qu’oflroitle connétable de Bourbon
, gouverneur du Milanez pour la France. A
ces mots l ’Empereur eft frappé comme d’un coup
de foudre. Ludovic Sforce, l ’oncle de fa femme,
livré aux Français par les Suifles, fous le irègne
de Louis X I I , en 1 joô , fe retrace à fa mémoire }
il répond en tremblant qu’il ira le foir au quartier
des Suifles avec le cardinal de Sion. C e Cardin
al, alors languiffant, & en apparence voifin du
tombeau, ayant perdu fa force & fa fanté, avoit
confervé toute fa haine pour les Français, & vouloit
mourir en les combattant. L’Empereur fe
lève avec précipitation, & au lieu d’aller au quartier
des Suifles, fë réfugie d’abord dans celui des
Allemands : il envoie le cardinal de Sion porter
aux Suifles feize mille écus , & leur en promettre
beaucoup davantage} en même tems if prend la
pofte & s’enfuit. Telle fut la ridicule iliue d’ une
entreprife qui s’ annonçoit avec un appareil formidable
, & fur laquelle le Cardinal avoit compté
pour réparer l’échec de Marignan & reconquérir
le Milanez.
Cette même année î y 16 , le Cardinal eut encore
le chagrin de voir les Suifles fe fixer à jamais
dans l’alliance de la France , parle traité de Fribourg
ou la paix perpétuelle.
, En ij 18 Charles d’Autriche, roi d’Efoagne ,
élevoit fourdement, à travers mille obuacles ,
l’édifice de fa grandeur. 1 a politique de fon aïeul,
Ferdinand-le-Catholique, lui avoit été favorable/-
en lui tranfmettant la monarchie d’Efpagne fans
démembrement : il falloit, pour couronner l’ ouvrage,
que l’empereur Maximilien, auflî fon aïeul,
lui tranfmît de -même la couronne impériale avec
les Etats héréditaires de la Maifon d’Autriche.
T e l étoit alors l’important objet des négociations
de la cour d’Efpagne.
Elles étoient bien fécondées par le cardinal de
S ion , q u i, voyant malgré lui l ’Europe pacifiée,
& n’ ayant plus d’armée à oppofer aux Français ,
vouloit du moins leur nuire parles intrigues. Il
avoit déjà déterminé l’Empereur à s’aflurer pour
fuccefifeur un de fes petits-fils, en le faifant élire
Roi des Romains} mais le choix de l’Empereur
flottoit encore entre le roi d’Efpagne & fon frère
l’archiduc Ferdinand. Si d’ un côté la politiaue
feniblcit exiger qu’il réunît fur la tête de Charles
la fucceflion d’Autriche à la fucceflïon d’Efpagne,
pour en faire le Prince le plus puiffant de l’Europe,
f our enlever à la France la lupériorité 8c même
égalité de forces , de l’ autre côté il trouvoit quelque
grandeur à partager fa Maifon en deux branches
également puiflantes, dont l’une fût fon ouvrage,
comme l’autre avoit été celui de Ferdinand-
le-Catholique, & q u i, fe perpétuant, l’une en Ef-
pagne & l’autre en Allemagne, mais réunies par
les mêmes intérêts, fe prêtaffent dans l’ occanon
des fecours mutuels, preffaflènt l’ennemi commun
par l’ orient & par l’occident, & puffent fe fup-
pléer réciproquement en cas que l’une ou l ’autre
vînt à s’éteindre. D’ ailleurs, il lui paroiffoitinjufte
& cruel de facrifier entièrement le plus jeune de
ces Princes à l’aîné.
Ces confidérations agifibient puiflamment fur
l’efprit de Maximilien, & alloient le déterminef
en faveur de Ferdinand. Le cardinal de Sion, qui
n’avoit point quitté la cour de l ’Empereur, en fut
inftruit} il connoifloit peu le roi d’Efpagne} il n’ en
étoit connu que par les troubles qu’il avoit femés
dans l’Europe, & par. l’ affront qu’il avoit attiré à
l’ Empereur en 1 y 16 } il s intéreffoit peu à la grandeur
de Charles , mais elle lui paroifloitle plus fûr
moyen d’ abaifler ou d’affoiblir les Français : ce
motif étoit d rminant pour fa haine 5 il ne cefl'oit
de parler en faveur de la réunion } il la propofoit
dans le C on fe il} il l’ infinuoit dans le cabinet de
l ’Empereur} il citoitfansceffe avec éloge l’exemple
de Ferdinand le-Catholique.
Maximilien changsoit aifément de réfolutions.
Le confeil d’Autriche, perfuadé par les raifons du
Cardinal, entraîné par fon éloquence, fatigué par
fes intrigues,fe joignit à lu i,& l'Empereur, déjà
fort ébranlé, céda enfin àr leurs inftances ; il fut
décidé qu’ on travailleroit affaire élire le roi d’ Efpagne
roi des Romains: bientôt ce fut l’Empire
qu’il fallut lui procurer directement, car l’Fmpe-
reur mourut à Lintz le 1 y janvier 1 J19. On ignore
quelle fut l ’influence du cardinal de Sion fur la
grande affaire de la concurrence à l ’Empire, où
Charles-Quint l’ emporta fur François I.
En 1 j2 1 la guerre s'alluma entre ces deux rivaux :
on négocia de part & d’autre auprès de toutes les
Puiffances,“nommément auprès des' Suifles. Le
cardinal de Sion vivoit encore ; il haïfloit plus que
jamais les Français ; il étoit à Zurich doit l’argent, prodiguoitles promeffes, où il répan&
fa dangereufe éloquence} il peignoit François I
comme un febifinatique, comme un ennemi déclaré
déployoit
X du Pape & de l’Eglife,lui parce que le pape
Léon s’étoit déclaré contre . Scheinerrejetoit
fur les Français tous les torts d e l’aggrefllon, 8c il
alléguoit en preuve. la conduite du roi d’Angleterre,
Henri V III, q u i, auflî mécontent queFran-
çois I de n’ avoir pu obtenir l ’ Empire qu’il avoit
auflî demandé, n’ aur oit pas manqué de s’unir avec
lui contre l’Empereur, pour peu que celui-ci eût
pu être regardé comme l’aggrefleür, & qui au contraire
prenoit parti pour celui-ci ; mais on ne di-
foit pas que le jaloux Henri VIII prenoit parti
contre le vainqueur de Marignan en faveur d’un
jeune Prince qu’aucune victoire n’illuftroit encore
dans l’Europe, & que rien n’expofoit à l’envie,
au moins fur l’article de la gloire. Les Suifles,
prévenus d’abord par les difeours du cardinal de
Sion, crurent enfuite voir la vérité du côté du
R o i, & furent très-mauvais gré au Cardinal de
les avoir trompés} ils fe rappelèrent la conduite
qu’il avoit tenue en 151 r , & qui leur avoit attiré
l ’échec de Marignan} ils tinrent une diète à Lucerne
de V é r o li, Ennio, y comparut pour le Pape, &
demanda huit mille foldats. Defréaux, miniltre de
France, y comparut auflî & en demanda encore
plus pour le Roi. L’ ambaffadeur du Pape eut le
au commencement d’août 1521. L’évêque