
elle peut avoir de rigoureux & de contraire en apparence
à la liberté naturelle de l’hoftime. M. Jordan
fut s’en acquitter à la fatisfaélion générale.
Lorfqu’en 1744 fe fit le renouvellement de
l ’Académie royale desfciences & belles-lettres de
Berlin, M. Jordan fut élu vièe-préfident de cette
compagnie. Il ne jouit pas long-tems de cet honneur.
Il mourut le 24 mai 1745 > à la fuite d’une
maladie longue & douloureufe, dont ilparoît que
le principe tenoit à une mélancolie profonde qu’a-
voit jetee dans fon ame la mort d’ une femme aimable,
qu’ il avoit époufée en 1727 & perdue en
17 3 2 , après en avoir eu deux filles. Il fut l’ami
de tous les gens de lettres de fon tems j il avoit
fait divers voyages littéraires en France, en Angleterre
, en Hollande. On a de lui quelques productions
fayantes, telles qu’une Differtation latine
fur la vie & les écrits de Jordanus Brunus \ un
recueil de littérature, de philofophie & d’hif-
toire jThiftoire de la vie & a e s ouvrages dufavant
la Croze fon maître \ mais c’eft par fa correfpon-
dance avec le roi de Pruffe qu’ il eft le plus connu.
On voit par cette correfpondance qui fe trouve
dans les oeuvres de Frédéric , que ce Monarque
le combloit de bontés & l’accabloit de plaifante-
riesj ce qui n’eft pas toujours bonté dans les
Princes. En général, on devroit ufer fobrement
de raillerie, foit par générofité, fi l’ on fe fent
fupérieur parTefprit ou par le rang, foit par prudence
, fi l’on a la conlcience de fon infériorité.
C e grand roi de Pruffe avoit le défaut d’ aimer à
écrire des chofes piquantes & mortifiantes à ceux
même qu’ il aimoit. M. de Voltaire lui reproche
vigoureufement ce défaut dans-une de fes lettres.
L e marquis d’Argens , M. d’Alembert, ont eu quelquefois
à en fournir dans le cours de cette correfpondance
royale. M. Jordan eut auffi à fe défendre
contre cette caufticité avec tout le refpeêt & toute
la foumiffion d’un fujet & d’ un fubalterne. Comment
ce grand Roi ne croyoit-il pas devoir à fes
propres bienfaits, à fa propre eftime , de témoigner
plus d’égards à ceux qui en étoient l ’objet ?
Au refte, la correfpondance de M. Jordan avec
le roi de Pruffe offre diverfes anecdotes littéraires
affez curieufes. Peu de perfonnes, par exemple,
connoiffoient cette épigramme de Jean-Baptifte
Rouffeau contre V o ltaire , fous la forme d’ une
efpèce d’épitaphe que Rouffeau s’étoit faite à lui-
même deux ans avant fa mort.^ .,
De cet auteur noirci d’un crayon fi malin,
Paffanr, veux-tu favoir quel fut le caractère ?,
Il avoit pour amis Titon , Brumoi, Rollin ■>
Pour ennemis, Gacon, Pittayal & Voltaire.
On ne connoiffoit guère non plus cette épitaphe
de M. Rollin ;
Ci gît le très-bigot Rollin,
Qui quitta les plaifirs de l’être
h Et ce qu'on a de plus certain ,
Pour l’efpoir d’un très-grand peut-être.
M. Rollin ne fe permettoit aucune penfée
hardie fur la religion j mais une piété auffi fin-
cère que la fienne ne doit point être taxée de
bigoterie.
On connoît peu encore cette efpèce de madrigal
fur l’édition donnée par M. de Voltaire , de
YAnti-Machiavel du roi ae Pruffe :
Des auteurs peu confidérables
Ont eu d'illuftres éditeurs ;
Et les plus illuftres auteurs,
Des éditeurs très-miférablcs.
L’éditeur & l’auteur font auffi quelquefois
Deux fotsobfcurs qu’unit leur goût pour les fornettesj
Mais ici nous voyons le Prince des poètes
. Editeur du Prince des Rois,
Pour plaire au roi de Pruffe, qui aimoit tant les
vers français & qui en a tant fait, M. Jordan
s’ëxerçoit fouvent à en remplir fes lettres, qui
euffent mieux valu fans cet ornement. Il ignoroit
les règles les plus communes de la verfification
françaife, la néceffité de l’ élifion dans certains
cas connus 5 il fe permettoit des hiatus, & c . H
faudroit cependant, avant de danfer, favoir marcher
& avoir des jambes. M. Jordan donne pour
des vers les lignes fuivantes ;
m ofcroit avoir le coeur
De fe livrer à la fatyre ?
Ma joie re eft point inquiète
Entre Bacchus 8c ma Catin.
Quoi 1 votre illuftre majefté
Va de fang-froid, armée de courage, &c_
Et z7 reffemble à la trompette
Qu’au jugement on entendra des cieux.
Des lettres charmantes
Marquées au coin de Chaulieu.
U fait rimer le mot ombre avec lui-même :
Pareil plaifir n’eft fait qiie pour une ombre ;
Ceux que l’oti goûte fous votre ombre, 8cc.
Il eft vrai que le Roi poète auquel il adreffoit fes
v ers, faifoit à peu près les mêmes fautes*
Sans m’écrire une bagatelle -,
Ou quelques mots en profc ou en vers élégans,
Que prépare à,jamais 8c l'oubli tems, &c.
M. Jordan annonçant au roi de Pruffe, en 1742,
l ’apparition d une comète, lui dit ; La feule
»3 chofe que je crains, c’ eft que d’un coup de fa
m queue elle ne dérange toute l’economie de notre
» pauvre globe. »
Cette idé e, ridiculifée autrefois par Molière ,
qui la met dans la bouche de Triffotin, a été depuis
préfentée plus férieufement par des aftro-
nomes & des phyficiens célèbres.
M. Jordan, q u i, foit pour fuivre fon penchant,
foit pour flatter celui du R o i, avoit quelquefois
paru peu religieux dans fes lettres, s’exprime
d’une autre manière dans fa dernière écrite un mois
avant fa mort.
« Je n’ai plus lieu d’efpérer ma guérifon. Je fens
*> bien, dans la fituationoù je me trouve, lanécef-
m fité d’ une religion éclairée & réfléchie , fans elle
»3 nous fommes les êtres de l’Univers les plus à
»3 plaindre. Votre majefté voudra bien apres ma
a» mort me rendre la juftice, que fi j’ ai combattu
» la fuperftition avec acharnement, j’ ai toujours
»» foutenu les intérêts de la religion chrétienne.
» quoique fort éloigné des idées des théologiens.
33 Comme on ne connoît la néceffité de la valeur
33 que dans le péril, on ne peut connoître l’avan-
»3 tage confolant qu’on retire de la religion que
»3 dans l’état de fouffrance.........J’en fais l’expé-
»» rience. Votre majefté peut m’en croire. >»
JO V IN , ( Hiß. rom.), noble Gaulois, brave capitaine
au commencement du cinquième fiècle,
e ft, ainfi que Sébaftien fon frère, qu’ il avoit affo-
cié à l’Empire, au nombre des tyrans , c’ eft-à-
dire, des concurrens à l’Empire , qui n’ ont pu ou
l’obtenir ou le conferver. Celui-ci l’obtint pour
fon malheur} il fut proclamé Empereur à Mayence
l ’an 4 1 1 .11 avoit dans fon parti Ataulphe, roi des
Vifigoths j mais cet appui lui ayant manqué en
1413 , par la défection d’Ataulphe, Jovin fut
conduit avec Sébaftien fon frère , pour paroître
devant l’empereur Honorius, qui étoit alors à
Ravenne 5 ils ne parvinrent pas julqu’ à lui &
furent tués fur la route.