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Jean-d'Angely mourut en prifon, événement qui
ne juftifia point le Roi dans l ’opinion publique. Brantôme
& Varillas, auteurs médiocrement croyables,
difent que fon fou l'entendit s’a c enfer de ce crime.
Le duc de Bourgogne l ’en chargea hautement dans
un manifèfte infolent , fuivi des hoftilités les plus
affreüfes. L'incéndie fut joint au carnage j la Picar- '
die ravagée 3 fes habitans, cruellement maffaerés,
parurent encore au duc de Bourgogne une trop
foible vengeance d'un attentat fi énorme. Cependant
Beauvais arrêta & confondit fa fureur. Un
affmt général avoit répandu la terreur parmi les
affié'gés: ils fuyaient déjà de toutes parts ; les Bourguignons
avoient déjà planté leur étendard fur la
brèche j une femme intrépide, nommée Jeanne
Hachette, ofa l'arracher & le jeter dans le fofïe
avec l'officier qui l 'avoit planté. Les autres femmes
imitèrent fon courage, &- repoufîerent l’ennemi
en l ’accablant de pierres, de poix réfine & de
plomb fondu. Il fe vengea fur le pays de Caux 5 il
prit Eu & Saint-Valéry, é.choua devant Dieppe &
devantP.ouen, rentra en Picardie, mènaçaNoyon,
& , s'étant retiré à Abbeville, accepta une trêve
que le Roi lui offrit.
• Mais plus ennemi encore du repos que de
Louis X l , le duc de Bourgogne employa cette
trêve à conquérir le duché de Gueldres, & à tenter
du côté de l’Allemagne des projets d'agran-
diffement que Louis XI ne manqua pas de traver-
fer en formant contre lui une ligue puiffante, dans
laquelle entrèrent l ’Empereur , le duc d'Autriche,
le duc de Lorraine, les Suiffes, les villes de Bâle,
de Strasbourg, & c . Louis lui-même fe mit en
campagne auffitôt après l'expiration de la trê v e ,
prit Roy e, Montdidier , ‘Corbie , & détacha le
roi d' Angleterre de 1 alliance du duc de Bourgogne,
ui fut trop heureux d’accepter une prolongation
e la trêve. Son ambition, qui ne pouvoit refter
oifive , s'exerça pendant ce tems à dépouiller le
jeune René de la Lorraine, à former le fiége de
Nancy , à préparer des fers aux indomptables
Suiffes, auxquels on ne pouvoit enlever que la
liberté. La tyrannie autrichienne la leur avoit procu
ré e , parce que
L’injuftice à la fin produit l’indépendance.
Les fureurs turbulentes du Bourguignon ne purent
la leur faire perdre. C e Prince infortuné couroit à
fa ruine jlâfortunefelaffoit de féconder fon intrépidité:
il perdit fucceffivement, en 1476 & 14 7 7 ,
contre ïes'Suiffes & le duc de Lorraine réunis, les
batailles de Granfon, de Morât, & enfin celle de
Nancy , où , devenu plus farouche par le malheur,
incapable de prudence & de confeil, guidé par un
défefpoir aveugle , il ofa combattre une armée de
plus de vingt mille hommes avec douze cents
hommes abattus & découragés. Le perfideCam-
pobaffe', fon indigne confident, lui en enleva près
de la moitié à,è| le commencement de la bataille,
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le laiffant entouré d'affaffins. I f ne put échapper à
tant de dangers : on le trouva mort dans un ruif-
feau prefque glacé, où fon cheval s’étoit embourbé.
On crut du moins le reconnoître à des lignes
certains, & le duc de Lorraine fon vainqueur
lui fit de magnifiques obfèques. Biaa, coufin, lui
dit-il en lui jetant de l’eau bénite, vos âmes ait
Dieu : vous nous aveç fait moult ce maux & de douleurs.
C'éft en'effet la feule oraifon funèbre que
méritent les conquérans. Mais les fujets de Charles,
quil’aimoient d’autant plus qu’il étoit malheureux,
fé livrèrent avec avidité à l’efpérance de le revoir :
efpérance frivole , & qui avoit pour tout fondement
quelque vaine reffemblance qu'on avoir cru
trouver entre lui & un homme inconnu, errant
dans la Suabe.
Ainfi périt à l’âge de quarante-trois ans Charles-
l e - Téméraire, terrible & dangereux rival de
Louis X I , que fes qualités brillantes rendirent admirable,
fes fureurs odieux , & fes malheurs inté-
reffant. il eut dans fa jeuneffe tout l'éclat d’un
héros , & dans un âge plus avancé toute la férocité
d’ un tyran. N’étant encore que comte de Cha-
rolois & gouverneur de Hollande, il s'étoit fait
aimer & refpeéter de fes peuples. Ami de la justice
, il avoit fignalé fa rigoureufe équité par le
fupplice d’ un gouverneur qui, ayant abufé de la
femme d’un criminel, en lui promettant la grâce
de fon mari, la lui avoit enfuite refufée. Le comte
de Charolois voulut que le gouverneur époufât la
veuve pour réparer l’ qutrage fait à fon honneur,
& il envoya ce féduêteur, de l’autel au gibet. Né
violent, mais fineère & généreux, il avoit toujours
paru incapable d’artifice & de baffeffe. C e pendant,
foit que les tromperies continuelles de
Louis X i l’euffent apprivoifé avec la perfidie, foit
qu’il fut pouffé au crime par cette mélancolie
phrénétique où 1 habitude de verfer le fang &
d’exercer des violences le plongèrent fur la fin de
fa vie , il devint moins fcrupuleux fur le choix des
armes dont il combattit fon ennemi j il voulut faire
empoifonner Louis X I , d’abord par Jean Hardy,
qui fut écartelé , puis par un autre fcélérat nommé
Jean Bon, fi pourtant cette accufation ne fut
point un ftratagême de Louis XI pour rendre
Charles odieux.
Charles fut fans doute un dés plus grands capitaines
de fon tems ; aétif, infatigable, vigilant,
portant fur les détails des moindres opérations, un
oeil toujours attentif & toujours éclairé > profond
dans toutes les parties de l’art militaire que l’ on
connoiffoit alors. On l’ a comparé, pour la discipline,
à Annibal j pour la célérité dans les expéditions, à
Céfar & à Alexandre: Il avoit pris ces derniers
pour m odèles, & leur hiftoire étoit fa leélure favorite
5 mais il paroît que c’étoit avec Annibal qu’il
aimoit le plus a être comparé. Mànfeigneur, nous
voilà bien annibalés, lui difoit fon fou en s’enfuyant
avec lui après la bataille de Granfon. Ce
fut ce même fou qui, après la levée du fiége- de
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Beauvais, entendant le duc dire à un ambaffadeur
de France, auquel il fe faifoit un plaifir de montrer
fon arfenal, vous aileç 'Voir les clefs des plus
fortes villes du royaume, fe mit à chercher avec-un
air d’empreffcment 5 & le duc lui demandant ce
qu’il cherchoit ainfi : Je cherche , dit-il, les clefs de
la ville de.Beauvais..
Charles eut la plus belle milice de l’Europe ,
&: les réglemens qu’il lui donna furent trouvés admirables
pour le tems. Ce fut lui qui renouvela
& qui apprit aux Français à renouveler la pratique
des Romains j d’enfermer les troupes dans
un camp retranché. Mais tant de talens n’eurent
dans le monde qu’ un éclat fterile & funefte. Charles
ne fut mettre à profit ni fes vertus, ni fes vices,
ni la bonne ni la mauvaife fortune 5 il fit des conquêtes
& n’en jouit point 5 il fe rendit terrible fans
fe rendre refpeétable : fes caprices fougueux, fes
hauteurs imprudentes aliénoient les coeurs qu’il
avoit le plus d'intérêt de gagner 5 il'connoiffoit
malles hommes, & ne favoit placer ni fa confiance
ni fes foupçons : il difoit avec fureur au
brave & fidèle Cnimai : Vous êtes tout Vaudemont!
voulant lui reprocher l’attachement qu'il lui fup-
pofoit pour le duc de Lorraine, qui étoit de la
branche de Vaudemont ; il faifoit arrêter indignement
la ducheffe de Savoie, qu'une compaffion
génèrëufe attiroit du fein de fes Etats pour le
confoler & le fecourir 5 & il fe livroit aveuglément
à Campobaffe, qui traitoit de fa vie avec
tous fes ennemis. Cependant l'adroit & yigilant
Louis obfervoit toutes fes démarches, travailloit
à les lui rendre funeftes, lui enlevait tous les jours
quelque allié, lui fufcitoit quelque ennemi, déta-
choit de fon lérvicefes plus braves capitaines, fes
meilleurs miniftres 5 les appeloit en France par
des promeffes, les y fixoitpar des grâces , rend oit
Comines auffi nuifible à Charles qu'il lui avoit été ;
utile, encourageoit l’héroïfme naiffant du jeune
René de Lorraine à s'immortalifer par la défaite
d’un fi redoutable ennemi, & prontoit des perfidies
de Campobaffe fans les autorifer. C e traître
lui avoit offert la tête de fon maître, & Louis
J’ avoit refufée > il avoit même averti de. cette offre
le duc de Bourgogne, comme autrefois Fabricius
avoit renvoyé à Pyrrhus le médecin qui devoit,
dit-on, l’empoifonner. Mais le duc de Bourgogne
ne crut point Louis capable d’imiter fincérement
Fabricius > il regarda cet avis comme un ftratagême
inventé pour lui rendre fufpeél un miniftre
fidèle j & Louis ^ content d’avoir fait fon devoir ,
lui laiffa une erreur qu’il n’avoit aucun intérêt de
diffiper, & fur laquelle il avoit peut-être compté.
Quelques auteurs attribuent les trahifons de
Campobaffe au reffentiment d’ un foufflet que le
duc ae Bourgogne lui avoit donné dans un mouvement
de colère. Pierre-Mathieu, dans fon hiftoire
de Louis X I , s'exprime ainfi à ce fujet : « Le
fouÿlet que Campobaffe avoit reçu du duc-de
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» Bourgogne, fouffloit dans fon coeur le feu de la
95 vengeance. «
Si cette anecdote eft vraie, elle eft une nouvelle
preuve de l'emportement & d e l'imprudence
| de Charles.
Quoi qu’il en foit, Louis X I, moins grand, moins
eftimable que fon rival, eut prefquë toujours fur
lui cet afcehdant que le fang-froid, le talent de
connoître les hommes ou du moins de s’en défier,
j l’art de céder au tems, doivent néceffairement
donner fur un courage bouillant, qui ne fait que
combattre & vaincre ou périr.
La bataille de Nancy, où Charles fut tué, eft du
5 janvier 1477.
Marie de Bourgogne, fille unique de Charles,
hérita de fes biens, de fes malheurs & de la haine
de Louis XI. C é fut elle q u i, par fon mariage
avec Maximilien d’Autriche, porta dans cetteheu-
reufe Maifon les grands & beaux domaines de la
Maifon de Bourgogne & des anciens comtes de
Flandre.
Charles avoit peu connu les tendreffes du fang.
Toujours occupé de projets ambitieux, il alarmoit
fa famille par les périls continuels où il^'expofoit,
6 ne la dédommageoit point par les douceurs de
T amitié.
CHARLES DE VA LOIS ( Hiß. de Fr. ) , frère
de Philippe-le-Bel & tige de la branche de Valois,
qui a donné treize Rois à la France. Lorfqu’en
1296 la guerre fe ralluma entre la France & l'Angleterre
, il alla commander en Guyenne contre
les Anglais. Sévère & inflexible comme fon frère,
il commença par faire pendre, fur un fimple foup-
çon d’infidélité , cinquante gafcons-à la vue de la
Réole. Ce fpeâacle répandit la terreur dans la
ville : on s’y défendit foiblement 5 elle fut prife
avec quelques autres places, & le comte de Val ois
fe fut gré de fa févérité 5 mais à peine fut - il forti
de cette province, que toutes ces places rappelèrent
les Anglais.
On ne fait pas bien pourquoi l ’on voit , cette
même année , Robert, comte d’A r tois , commander
en Guyenne à la place du comte de Valois :
les caufes & les motifs échappent à cette diftance.
Si Philippe rappela fon frère de la Guyenne à caufe
de fa dureté qui aliénoit le s "coeurs, c’eft un trait
de politique ferme & fage, qui mérite des éloges 5
cependant le comte de Valois avoit battu Edmond ,
frère du roi d’Angleterre. Edmond , après fa défaite
, s’étoit renfermé dans Baionne, où il étoit
mort.
Dans la guerre contre la Flandre, au commencement
du quatorzième fiècle, le comte de Valois
rendit Philippe-le-Bel maître de Dam, de Dixmude,
& preffa, tellement le comte de Flandre dans la
ville de Gand, que celui-ci crut ne pouvoir trouver
d’aille que dans la miféricorde du vainqueur.
Le comte de Valois s'obligea de mener à Paris ,
aux pieds du R o i, le comte de Flandre avec deux