
» a recevoir Tes opinions ; à cette foule de vérités
33 neuves & , piquantes , fi finement apperçues &
33 fi bien présentées......Jamais ni paflion, ni hau-
33 j ni ton doètoral, ni ce malheureux talent
33 ne faire paroïtre abfurdes les objections qu'on
33 difcute & les opinions qu'on veut détruire. *
33 L auteur j avec des talens égaux à ceux de nos
33 meilleurs écrivains, ne néglige jamais, comme !
33 quelques-uns d’ entr’eux , l’art de plairé & de j ».perfuaderj il paroît toujours folliciter les fuf- j
33 frages & ne les exige point : il entraîne douce-
33 mept par une éloquence infinuante, jointe à une
*3 logique lumineufe. Les hommages qu’ il rend,
33 les louanges qu’il donne au grand-homme à qui
33 *~es Lettres font adreffées , font toujours placés à
33 Pr?P°s & nailfent toujours du fujet ; c’eft l’équité
33 les diète ,. c ’eft l’intelligence & le goût qui
33 les diftribuenti enfin cet ouvrage..... nous pa-
03 ro^ ...un des plus beaux titres dont un homme
“ de lettres puifie fe parer. »
C ’étoit, en d’autres termes, parler de l’Academie,
françaife à M. Bailly : on voulut piquer
d honneur M. d Alembert; on lui propofa d’être
lui-meme 1 introducteur de M. Bailly dans l’Academie
françaife, dont M. d’Alembert étoit alors
fecretaire perpétuel ; & où fon-amabilité perfon-
nèlle, fa gloire, fon zèle pour la compagnie, fes
attentions obligeantes pour chaque membre, lui
donnoient un crédit faffs bornes. On lui difoit :
Qu’il ne foit plus parlé de torts ni de querelles.
Rendez votre première amitié., comme votre efti-.
me, à un homme qui la mérite par fes talens, par
fes travaux, par fon caractère , par fes fentimens
pour vous. Rien ne put le ramener : il lui eut été
trop dur de voir M. Bailly précéder M. de Condorcet
à l’Académie françaife. C ’ étoit cette concurrence
qu’ on prévoyoit & qu’ on auroit voulu
prévenir. La conjoncture étoit favorable. M. de
Condorcet étoit alors arrêté à -la porte de l’Académie
par une difgrace palTagère que fon courage
& fon caraCtère un peu inflexible lui avoient attirée.
Secrétaire de l’Académie des fciences, il
avoit conftamment refufé de faire l’éloge hifto-
rique de M. le duc de la-Vrillière, qui en avoit
été un des honoraires : fa raifon étoit qu’il ne
trouvoit point matière à éloge dans ce miniftre.
INikil invenio caufit in hoc homine. M. de Maurepas
prit pour lui l ’affront que ce refus faifoit à la mémoire
d’un homme de fon nom ; & malgré le voeu
public & le voeu particulier de chaque académicien,
tant que M. de Maurepas vécut il ne fût pas
poflible d’elire M. de Condorcet j c ’eût été l ’ex-
pofer à être exclus par le Roi. Mais cet obftade,
que le miniftre eût dû fe faire honneur de lever
lui même, fut bientôt levé par fa mort. Alors la
concurrence qu’on avoit voulu prévenir eut lieu.
M. Bailly avoit un grand parti5 & malgré la fupé-
riorité peut-être de fon r iv al, malgré l ’amitié ,
aètive & adroite de M. d’Alembert, ce rival tou-
• jours heureux ne l’emporta que d’ une voix , encore
la d u t- il à la foibléffe d’ un des plus zélés
partifàns de M. Bailly, qui ne put refifter aux
preffantes inftances de M. d’Alembert. Il faut tout
dire : M. d’A lembert, en traverfant les vues de
M. Bailly, en empêchant ou retardant fon entrée
a 1 Académie françaife, ne fuivoit point les mou-
vemens d’ une haine aveugle ; üsjugeoit M. Bailly,
& ne croyoit pas que fon heure fût encore venue.
; Son goût, moins indulgent que celui du public,
étoit peu favorable à M. Bailly. Ami du naturel
& de la fimplicité, il lui reprochoit de la recherche,
de l ’affectation, ce qu’ on appelle, dans un
mauvais fens, de la phrafej c’étoit furtout à M. de
Buffon, un des dignes objets de l’admiration de
M. Bailly, qu’ il faifoit- ce reproche : il l’appeloit
le gmnd pkrafier, père de tous nos petits phrafiers.
M. de Buffon ne l’ignoroit pas, & , pour s’ en ven-
geJ i traitoit fa fimplicité de petite manière} fa
gaîté, fes plaifanteries, de lingeries & de bouffonneries.
Les grands-hommes lèroient trop grands
fi la rivalité, fi l’amour d ure gloire exclufive leur
laifioient la liberté d’ê.tre toujours juftes.
Nimium vobis Romana propago
Vifa potens 3 fuperi, propria h&c f i doua fuijfent!
M. d’Alembert a perfévéré jufqu’ à la fin dans
fon opinion fur M. Bailly} & en prenant congé
de nous à l’entrée des vacances dans le cours
defquelles nous l’avons perdu, il nous difoit :
« Je n’efpère plus- de vous revoir 5 vous élirez,
« peut-être à ma place , M. Bailly 5 mais je vous
»» déclaré, pour l'acquit de ma confcience, que
33 fon goût n’eft pas affez pur, & qu'il n’ eft pas
» mûr encore pour l ’Académie. »
Puifqu’il falloit perdre M. d’Alembért, c’étoit
a lui furtout que M. Bailly defiroit de fuccéder,
pour fe venger de lui par un jufte & magnifique
éloge} il n’eut point cette fatisfaCtion, & peut-
être les derniers mots.de M. d’Alembert, que
nous venons de rapporter, en furent-ils la caufe}
/cette place fut donnée à M. le comte de Choi-
feuI-Gouffier, dont le difcours, qui ne pouvoit
être ni plus éloquent, ni plus touchant, ni plus
noblement philosophique, prouva combien il étoit
digne de remplacer M. d’Alembert. M. Bailly eut
la place de M. le comte de Treflan, & ils furent
reçus dans la même féance, 1784. lé jeudi 16 février
Et quel fut l ’académicien qui les reçut ? M. de
Condorcet. Le fort l’ avoit nommé directeur du
trimeftre où mourut M. d’Alembert, comme pour
lui ménager encore un éloge vraiment digne de
lu i , &c déployer en fa faveur toutes les reffources
de l ’éloquence & d e l’amitié.
Il faut rendre une juftice entière à M. de Condorcet,
en ce qui concerne M. Bailly. Toujours
vainqueur dans toutes fes concurrences avec lu i,
il n’avoit fans doute contre lui aucun motif d’aigreur
ou de reffentiment ; mais enfin M. Bailly
lui avoit tout difputé} il lui avoit enlevé la moitié
des fuffrages ; il avoit rendu fa victoire incertaine
& difficile. Que M. de Condorcet s’en fût vengé
par un éloge fin, adroit & un peu équivoque,
on pouvoit abfolument s’ y attendre} & comme
M. Bailly étoit venu le croifefau moment où M. de ■
Condorcet venoit d’ être en butte au gouverne-“
ment, 8c où il lui étoit dû un dédommagement,
les rieurs auroient pu être pour M. de Condorcet
contre M. Bailly. Mais rien de .tout cela : l’éloge
eft franc, loyal} il réunit tous les égards d’ un
confrère, prefque la tendreffe d’un ami. Nulle
trace des anciennes rivalités : le fanCtuaire des
Mufesn’admet que des amis & des frères. «Mon-
w fieur, lui dit-il, uni avec vous depuis quinze ans
*> par les liens de la confratè'rnité, je me trouve
»a heureux dans ce moment d’avoir à féliciter l’Acà-
99 demie qui vient de vous adopter, & de pouvoir
9» lui répondre qu’ elle trouvera dans vous ces ver-
99 tus douces & {impies , ce caractère facile, mais
9» fûr, qui attirent l’amitié en captivant la con-
99 fiance } un zèle confiant pour fêrvir l’humanité
99 par des travaux utiles , ou la foulager par une
9» bienfaifance noble & éclairée j enfin la réunion
99 de l’amour des lettres &>de l ’étude, avec cette
»9 modeftie fincère qui fe fait pardonner les talens
99 & les fuccès. sa
Il caraCtérife enfuite de la manière la plus noble
& la plus favorable les différens ouvrages de
M. Bailly, & quand il~en vient aux lettres fur l’Atlantide,
elles ont, dit-il, « un avantage réfervé
99 prefqu’uniquement aux romans & aux pièces de
99 théâtre, celui d’ avoir pour lecteurs tous ceux
99 qui favent lire. Vous y établiffez votre opinion
»» 'avec tant d’adreffe, vous l’avez tellement em-
»9 bellie par des détails ingénieux, qu’ on a de la
* peine à s’empêcher de l’adopter. On eft de votre
99 avis tant qu’ on a votre livre entre les mains, &
»» il faut le quitter pour avoir la force de fe défen-
93 dre contre vous. En interprétant Platon, vous
99 l’avez imité dans l’ art heureux.de faire aimer les
»a opinions que vous voule’z établir j & fi votre
33 fyftème a jamais le fort qu’ont éprouvé tant d’au-
33 très o p in i o n s ,d o n t le nom ou le génie de
9» leurs auteurs n’ a pu les préferver...... la. pofté-
93 rite Vous pardonnera votre peuple hyperboréen,
39 comme elle a pardonné les atomes à Lucrèce,
s» & les tourbillons à l’ auteur de la Pluralité des
»a Mondes. »3
On ne pouvoit rien dire de plus flatteur à
M. Bailly, ni le mettre en meilleure compagnie.
M. Bailly a depuis été l’auteur ou du moins le
rédacteur du Mémoire fur les Hôpitaux , qui fut
pour lui l’époque & furtout la lource d’ une grande
faveur dans le public 5 je l’ ai entendu lui-même
renvoyer modeftement a M. Tenon les compli-
mens qu’il recevoit fur ce Mémoire. En effet, les
informations, la recherche de tous les moyens
propres à foulager les malades,-les idées d'amélioration,
tout ce dont on favoit le plus de gré à
l’auteur, étoit l’ouvrage de M. Tenon. La forme,
1 ordre & la méthode étoient tout ce qui appar-
tenoit à M. Bailly, qûe les commîffaires avoient
eüx-mêmes nommé pour rédaèleur. il juftifia leur
choix par l’èxàdtitude &.la fimplicité avec laquelle
il rendit leurs idé es, faifant fentir toute leur utilité
& la poffibilité de l’ exécution, fans étalage,
fans fafte, fans exagération. C ’étoit fans doute un
affez grand mérite ; mais le public lui attribua tout,
tte lui fut gré de tout.
C ’eft par une fuite de cette faveur du public,
à laquelle M. Bailly, par fa modeftie même & fa
douceur, joignoit aifément-la faveur des grands &
des miniftres, qu’ il lui a été donné d’ obtenir une
. difiinètion qu’avoit eue le feul Fontenelle parmi
les fimples gens de lettres, diftinêtion que fon
ami M. de Mairan avoit beaucoup denrée. &
n’avoit pu obtenir, celle d’être des trois Académies.
C e t honneur , que n’ ont eu m M. de C o n dorcet
ni M .'d 'À lem be r t, fut pour M. Bailli
comme le contre-poids des avantages que M. de
Condorcet avoit remportés fur lui.
Les exemples de ces tergemini honores font un
peumoinsraresparmi leshonoraires,parcequ’ alors
ils font moins l’ effet d’ un choix libre des Académies,
que des difpofitions de la cour; & encore,
quels font ceux des honoraires qui ont reçu ce
| triplé honneur ? C ’eft le cardinal de Polignac , fi
célébré par l ’univerfalité de fes talens & de fes
connoiffances ; c’eft l’abbé Bignon, l’ami de tous
•les favans, & l’organe par léquel le chancelier de
Pont-Chartrain répandoit fur les lettres les bienfaits
de Louis X iV } c’étoit M. le marquis de
Paiilmy, créateur & poffeffeur de la plus vafte bibliothèque
après celle du R o i, & la mieux connue,
la J) lus employée & la plus communiquée par
fon pofleffeur } c ’étoit enfin M. de Malesnerbes ,
fupérieur à tous : aux gens de bien, par la fimplicité
parfaite , par le naturel, & , quand il le fallo
it, par l’énergie de fes vertus ; aux gens d’ef-
prit, par la pénétration , la fagacité , la vivacité ,
la chaleur & la gaîté du fien; aux favans, par la
multitude, la variété , l’étendue, la fureté de fes
connoiffances, accrues & embellies par les lumières
; & à la différence de tant de favans que leur
favoir accable & abforbe, il avoit tellement converti
le fien dans fa propre, fubftance, qu’il s’en
jouoit pour ainfi d ire, & que fon efprit n’en étoit
pas plus embarraffé, que fon corps ne l ’étoit de
fa maffe , qu’on auroit pu croire pefante , mais à
laquelle il favoit donner beaucoup de reffort &
des mouvemens très-agiles.
Il refte à expliquer,pour 1 intérêt de l’exa&itude
& de la vérité, comment M. Bailly feiil, parmi les
fimples gens de lettres , depuis Fontenelle, eft
parvenu à ce triple honneur académique que n’ ont
pointeuplufieursde fésconfrèreseftimés fes égaux,
ou même fupérieurs à lui. La nature des ouvrages y