
qui le différoit toujours. Tantôt madame de Mon-
teipan projetoit d’embellir Fontevrault* tantôt
elle trouvoit bien dur de ne pas. voir achever le
château de Verfailles. 11 faut donc* s’écrioit-elle
à travers de longs foupirs d’amour & d’ambition* i
il faut donc quitter ce pays pour toujours ! — Vous
lui faites bien de l’honneur de le regretter ! difoit
madame de Maintenon. Ah ! mon Dieu ! que jem en
vois vous aimer ! s’écrioit quelquefois la pénitente j
puis revenant au Roi * encore* difoit-elle * s’il pouvait
être fidèle à fa douleur préfente ! mais il en
aimera une autre * une autre jouira des plaifîrs &
des honneurs que j’abandonne ! Que vous importe
* difoit madame de Maintenon* que cette
place foit remplie* pourvu quelle ne le foit pas
par vous ? — On voit bien* répliquoit madame
de Montefpan* que vous n’avez jamais aimé un
Roi * pas même un homme peut-être.
Elle partit enfin * & madame de Maintenon refra
pour inftruire le Roi de fon départ & de fes der- .
niers fentimens. Le Roi* qui depuis long-tems
trouvoit madame de Maintenon aimable * fentit
alors pour la première fois combien elle l’étoit :
fon éloquence lui parut plus douce & plus infî-
nuante que celle de Bolfuet 5 il trouva du plaifir
à être confolé & prêché par elle 5 il fe Iaiffa infen-
fiblement conduire dans la voie du falut par cet
aimable guide.
Cependant madame de Montefpan attendoit
impatiemment à Paris madame de Maintenon pour
être inftruite à fon tour des fentimens du Roi. Ne
la voyant pas arriver, & commençant à tout craindre
* même ce qui n’ arriva que long-tems après *
elle courut chez madame de Maintenon* n’y trouva
qu’une femme-de-charge > que madame de
Maintenon* lui dit-elle * vienne chez moi dès le
moment de fon arrivée & fans defcendre de car-
rolfe. Me connoilfez-vous? — Oh ! oui* Madame*
tout le monde fait que vous avez acheté la charge
de madame de la Vallière. — Vous m’infultez* ma
fille * répliqua madame de Montefpan avec cette
douceur * dit M. de la Beaumelle * qui fait tout
pardonner. « Vous m’ infultez* mais vous dites
« vrai* & j'ai mérité pis. »
Madame de Maintenon arriva * dit à madame
de Montefpan mille chofes de la part de la Reine
& pas un mot du Roi. Ce fut par la Reine que
M. Bolfuet & madame de Maintenon voulurent
affermir madame de Montefpan dans fes généreuies
réfolutions : on lui ménagea une entrevue avec
cette Princelfe. Madame de Montefpan embraf-
fant les genoux de la Reine * lui demanda tendrement
pardon* & promit d'expier le fcandale de fa
vie. La Reine* touchée de fes larmes* les elfuy a* 8c
lui défendit de quitter la charge qu’elle avoit dans
fa Maifon. «V o u s avez péché auprès de moi*
lui dit-elle j c ’eft auprès de moi que vous ferez
33 pénitence. »
Madame de Montefpan reparut donc à la cour
par cette imprudente bonté delà Reine. Les deux
amans-s’écrivirent les billets les plus tendres pour
fe jurer qu’ils ne s’aimeroient plus f ou du moins
qu’ ils^ s’aimeroient fans le dire : c’ etoit Bolfuet
lui-même qui portoit avec beaucoup de myftère
ces billets dont il croyoit favoir le contenu. Les
fuites lui apprirent le ridicule duperfonnage qu’on
lui avoit fait jouer dans cette occafion, l’auteur
des Mémoires de Maintenon infinue que ce
fut pour l’én confoler que le Roi lui deltina la
charge de premier aumônier de madame la Dauphine.
Cependant la Reine* toujours trompée* donnoit
l’exemple de la confidération pour fa rivale. « Ma-
» dame de Montelpan palfoit nettement devant
: » toutes les duchefles * & les honneurs qu elle
» avoit rejetés comme des flatteries tant qu’elle
» avoitétécoupable* elle les exigeoit comme des
» droits depuis qu’elle n e l’étoit plus* ou qu’elle
» étoit cenfée ne plus l’être. Tout plioit devant
» une fujète qui* ne paroilfant en public qu’ a-
» vec l’appareil de la royauté * avoit toujours
» quatre gardes-du-corps aux portières de fon
» carrolfe. 33
Des milfionnairesl’avoient remplie de remords.
Un capucin* dit le même auteur * lui avoit ôté.
fes fcrupules en lui nazillant ces paroles : «= Femme !
35 beaucoup de péchés vous font remis 3 parce que vous
33 ave% beaucoup aimé. 33
Mais ces mêmes fcrupules devenoièntplus, forts
chez le R o i, dont toutes ces agitations avoient
ébranlé la tendrelfe j il en faifoit encore a(fez pour
indigner madame de Maintenon, mais pas alfez"
pour latisfaire madame de Montefpan. La vertu ‘
de la première prenoit tous les jours un plus grand
afeenaant. Au fortir d’un fermon du P. Bourda-
loue* dont le Roi avoit été fort touché * ce fut
" madame de Maintenon qui l’ alla chercher madame
de Montefpan alla à Clagni , & le Roi l’ y lailfa ;
il s’en vanta même au P. Bourdalôue lorfque ce
prédicateur vint prendre congé de lui. « Vous
33 ferez bien content de moi * lui dit-il : madame 33 de Montefpan eft à Clagni. — Dieu le feroït
33 bien davantage * répondit le prédicateur * fi
33 Clagni étoit à quarante lieues de Verfailles. *>
Ces voyages de Clagni devinrent plus longs &
plus fréquens : les courtifans briguèrent moins
l’honneur d’en être ; les foibleffes de cette fière
beauté* foliieitée avec moins d ’ardeur* fe répétèrent
moins fouventj fes jaloufies contre madame
de Maintenon * fes querelles continuelles. avec
cette Dame, ne tournèrent point au profit de l’ancienne
maîtrelfe.
L’amour jaloux ou mécontent va au devant de
tout ce .qui peut lui nuire * & fe perd lui-même à
force d’inquiétude. « Madame de Montefpan crai-
33 gnit que la-nailfance du comte de Touloufe ne
33 lui eut laide quelque incommodité qui infpirât 33 au Roi du dégoût. Elle eut l’imprudence de s’ en
33 éclaircir* & le Roi la cruauté d’en convenir. 11
1 " revenoit delà çhalfe 5 il étoit en fueur : madame
de
» de Montefpan encore plus outrée de la froideur
33 avec laquelle on l'infultoit* que de l’ infulte même*
« lui répondit avec emportement* qu’il pourroit
w bien fouffrir fes défauts * puifqu’elle avoit fi long-
33 tems fouffert les liens * 8c lui en reprocha un
m que l’amour ambitieux tolère quelquefois * &
« que l’amour fenfuel ne pardonne jamais. Ce .
« trait perça le coeur du Roi* & n'en put jamais
»•• être arraché. En vain madame de Montefpan à
33 genoux embrafla ces pieds dont elle avoit révélé
» les dégoûtantes odeurs : on la releva fans lui
33 montrer ni haine * ni amour * ni p itié .33
Ici finit * en 1679* le règne de madame de M ontefpan
j elle relia cependant à la cou r , mais elle
n’y éprouva que des dégoûts * & vit croître de
jour en jour le crédit de fa rivale. Ne pouvant fe
dilfimuler la chute du lien* elle chercha long-tems
à la dilfimuler aux autres. Le cheval du Roi s'étant
abattu à la chalfe * qn lui crut le bras calfé : madame
de Maintenon ne put retenir fes larmes >
tout le monde les remarqua. Madame de Mom
tefpan ne les lui pardonna pas * prétendant qu’ il
n’appartenoit encore qu’ à elle de pleurer fi tendrement.
: On ne la mettoit plus des voyages ni des parties
de plaifir que très - rarement* & alors elle, en
avoit l’obligation à la pitié de madame de Maintenon.
Quand le Roi fe fit faire l’ opération de la
fiftule, madame de Montefpan arriva en diligence:
on lui refiifa l’entrée * 8c elle apprit que madame
de Maintenon étoit dans la chambre. « Elle fort
» avec précipitation , 8c remplit l’antichambre de
pleurs 8c de fanglots qui n’ attendrilferjt ni ne
« trompent perfonne.33
Elle foutenoit à tout le monde que fon règne
reviendroit * & avoit le chagrin de n’être crue de
perfonne. Quelquefois * pour fe donner l’air d’un
refte de crédit * elle ne rougilfoit pas de recourir
en fecret à celui de madame de Maintenon j quelquefois
elle fe vengeoit par des mots piquans *
Ï>ar des^eproches amers de l’abandon où on la
ailfoit * & du peu de confidération qu’on avoit
pour elle. « Sire., dit-elle un jour à Louis X IV *
33 j'ai une grâce à vous demander : laififez-moi le
33 foin d’amuferles gens du fécond carrolfe* 8c de
33 préfider dans l’ antichambré. 33
A travers tant de mortifications * elle étoit encore
tourmentée par fes remords > ils l’ agitoient
au point qu’elle ne pouvoir pas relier feule un
moment fans frilfonner* qu’elle ne dormoit jamais,
qu’entre deux femmes * que la nouvelle d’ une mort
lubite la mettoit hors d’elle-même > que quand il
tonnoit * elle faifoit placer fur fon fein* 8c comme
entre le ciel 8c elle * une jeune fille * pour que l’innocence
de cette enfant pût obtenir fa grâce * &
que les traits de la foudre fe détournalfent en rencontrant
une viétime pure.
C ’étoit véritablement un enfant elle-même que
madame de Montefpan * mais un enfant gâté * plein
de fantaifies & dégoûts bizarres. Au milieudesap-
Hiftoire. Tonte F l . Supplément.
pattemens cirés & frottés de Verfailles 8c deMarly
elle aimoit à s’entourer de moutons 8c de chèvres
qui falilfoient tout. Dans fes plus violens chagrins,
elle étoit diftraite* amufée * prefque confolée par
un petit carrolfe de filigrane attele de fix fouris.
Enfin * elle quitta irrévocablement la cour vers
1686 y elle ne venoit plus même à Clagny ( à caufe
de la. proximité de Verfailles ) que pendant les
voyages de Marly. Elle confervoit toujours pour
Louis X IV une forte de fentiment romanefque.
Quand il portoit pour Fontainebleau , elle alloit a
Fetit-Bourg* où* d’ un pavillon placé à l’extrémité
d’ une allée* elle jouilfoit encore du plaifir de voir
palfer ce grand Roi fans en être vue. Elle vivoit
d’ ailleurs à Paris *. fans confidération * avec de
vieilles coquettes ramenées* comme elle* à la dévotion
par 1 âge 8c la difgrace. Altière & impé-
rieufe* elle fe faifoit traiter en Reine* chez elle*
par tout ce qui l'approchoit j fuperftitieufe* elle
fe couvroit d’ un cilice * 8c croyoit expier* par des
macérations* famollefle 8c fes vices ; avare & fans
bienfaifance * elle ne faifoit pas même des prefens
à fes enfans * 8c palfoit fa vie dans la crainte d’être
volée.
Elle faifoit cependant des aumônes * mais fans
goût* fans plaifir * uniquement par devoir & en
efprit de pénitence.
Pour être quelque chofe, elle fe fit Janfenille *
& le parti la comparoit à madame la duchelfe de
Longueville > ce qui auroit dû être indifferent a
Louis XIV* 8c qui acheva de l'indifpofer contre
elle. | ^
Ses confelfeurs exigèrent d’ elle qu’ elle offrît à
fon mari de rentrer fous fon autorité * 8c de lui
confacrer les relies de fa vie j elle obéit * mais elle
fut alfez heureufe pour que le marquis de Montefpan
dédaignât de la punir 8c refufat de la reprendre.
Elle mourut le 28 mai 1707 * à Bourbon * où
elle alloit tous les ans prendre les eaux pour fa
fanté. Une faignée faite mal à propos la mit
bientôt en grand danger. On avertit le marquis ,
depuis duc d’Antin, fon fils. L’auteur des Mémoires
de Maintenon rapporte à ce fujet une anecdote
bien injurieufe au marquis d’Antin * 8c que la le-
géreté de cet hillorien pourroit rendre d’ autant
plus fufpeéte * qu’en cët endroit il ne cite point
fes garans. « Le marquis d’Antin* dit - il * arrive
33 en p o lie , & fans defcendre de fa chaife * fans
33 s’informer comment fa mère fe porte * il de-
>» mande fa calfette. On la lui donne > on lui dit
33 que madame de Montefpan n’en confie la c le f à
33 perfonne, 8c la porte toujours fur elle. 11 monte
« vite dans fon appartement * cherche la c le f dans
33 le fein de fa mère agonifante * vuide la calfette *
33 la referme * 8c part fans donner aucun ordre ,
33 fans témoigner ni curiolité * ni furprife * ni re-
33 gret * ni pitié. Quelques heures après madame
33 de Montefpan expira.33
Sou tellament ordonnoit que fes entrailles fuf-
H h