
le projet d’ un mafiacre général des Bourguignons ,
qu’il alloit exécuter lorfque ceux -c i Surprirent
Paris.
Le duc de Bourgogne ÿ fit fori entrée un mois
après l’i]e-Adam * & le carnage recommença. Quiconque
étoit Soupçonné d’avoir de l’argent, ou
quiconque avoit un Bourguignon pour ennemi,
étoit maflacré comme Armagnac. Les corps, précipités’du
haut des* tours, étoient reçus Sur les
pointes des épées & des javelines. Le bourreau Se
mit à la tête des affaflins : il Se faiSoit amener les
prisonniers, prétendant que le droit de les égorger
lui appartenoit 5 il toucha , en ligne d’ alliance &
d’ amitié, dans la main du duc de Bourgogne, qui,
ne le connoilfant pas, le prenoit feulement pour
un Bourguignon zélé. C e Prince, en même teins
qu’il excitoit Sous main ces émotions par Ses
émiflaires, feignoit de vouloir les appaiSer , & de
ne pouvoir y réuflir > il prodiguoit plus que jamais
à cette féroce & vile populace les carefles &
la familiarité. Les bouchers, les écorcheurs, les
bourreaux , vengeurs ardens de la querelle de ce
Prince, en ufoient avec lui comme .firent dans la
Suite les Seize avec le duc de Mayenne , d’abord
lès créatures, enfuite Ses tyrans. Le duc de Bourgogne
finit aufli par en ufer avec eux comme
Mayenne avec les Seize, c*eft-à-dire, par en faire
pendre quelques-uns. 11 s’ apperçut du danger de
faifler prendre au peuple cette habitude de la révolte
& du meurtre ; il Sentit que la continuité
de ces défordres pouvoir à la fin tourner contre
lui-même 5 il voulut en arrêter le cours j il éprouva
quelque réfiftance > il fit prendre les. armes aux
troupes ', & il crut qu’ il feroit d’un bon exemple
d’envoyer au Supplice quelques-uns de- ceux dont
les mains s’étoient le plus Souillées de Sang. Ce
-même bourreau (Capeluche), qui avoit traité avec
lui d’ égal à é g a l, méritoit d’être diftingué parmi
les affaflins : il fut décapité aux halles. Son valet,
qui lui trancha la tête , n:avoit jamais fait d’exécution
de cette efpèce. Capeluche , pour Son intérêt
, prit foin de l’infeu Ire lui-même ; il lui prescrivit
les mefures néceflaires pour ne pas’ le manquer
> il Se mit enfuite à genoux, & reçut le coup
mortel avec la même tranquillité qu’il le donnoit
autrefois.
Le peuple, ne murmura point, & on vit que le
duc de Bourgogne n’avoit pas moins de facilité
à le contenir qu’ à l’ émouvoir. Une démarche bien
dangereufe lui aflura les coeurs des habitans de
Paris i il leur rendit les chaînes & les armes que
le connétable d’Armagnac leur avoit ôtées. Le
courroux célefte fembla fe joindre à la rage des
hommes pour dépeupler Paris. La pefte, fuite naturelle
de tant de maflacres, emporta, en quatre
mois , plus de quarante mille perfonnes.
De Melun le Dauphin s’étoit retiré à Bourges,
puis à Poitiers. Ses partifans tâchoient d’ arracher
quelques lambeaux de ce miférable royaume , déchiré
par les guerres jnteftines & par les. armes
des Anglais. C eux -c i, grâce aux fureurs 8c au délire
des Français , faifoient des progrès effrayans.
Leur R o i, fans interrompre fes conquêtes, trai-
toit a la fois avec le Dauphin & avec le duc de
Bourgogne , 8c chacun de cès deux Princes traitoit
aufli à la fois avec les deux autres. La crainte d ’un
: accommodement"entre la France & l’Angleterre,
dont les conditions euflent pu être fatales au Dauphin
3 engagea celui-ci à vaincre ou à diflimuler fa
haine > il annonça une parfaite réconciliation avec
le duc de Bourgogne, il y e u t , à cette occafîon,
deüx entrevues de ces deux Princes ; l’une à Poilly-
le-Fort, entre Melun & Corbeil j l’autre enfin fur
le. pont de Montereau-Faut-Yonne, où le duc de
Bourgogne fut aflafliné le 10 feptembre 1419 ,
■ par les feigneurs de la fuite du.Dauphin. Les vraies
circonftances de ce nouveau crime font ignorées :
on peut croire qu’elles font bien différemment racontées
parles Armagnacs.& parles Bourguignons,
& peut-être eft-il encore permis de conferver des
doutes favorables au Dauphin. Les uns veulent
que cet aflaflinat ait été prémédité de fa part,
qu il ait employé l’intrigue pour attirer le duc de
bourgogne dans le piège 5 qu’il ait gagné la dame
de G iac, maîtrefîe du duc de Bourgogne , & que
celui-ci ne foitvenu au rendez-vous, malgré des
répugnances afîez fortes , que foumiflion par un.effet de fa aveugle à toutes les volontés-de-cette
femme. Les autres difent que le duc de Bourgogne
s’ attira fon fort par un ton infolent & des geftes
menaçans ou au moins fufpe&s , qui mirent les
feigneurs de la fuite du Dauphin dans la néceflité
de le défendre. D’autres enfin imaginent qu’ il y
eut un mal-entendu réel ou affeété , fondé fur ce
que le duc de Bourgogne , qui s’étoit mis à genoux
devant le Dauphin, porta , en fe relevant,
la main fur fon épée , qui s’étoit embarraflee dans
Les habits. Quoi qii’il en foit, voici les feules cirpcoonféf.
t ances certaines de cet événement. On avoit des barrières pour la fureté refpeèlive.. gens Lés- du Dauphin les avoient conftruites } ceux du-
duc de Bourgogne vinrent les reconooitre. Le
Dauphin étoit maître d’ un des bouts du p ont, le
duc de Bourgogne de l’autre. La fuite des deu-x
Princes étoit la même pour le nombre j elle étoit
| compofée de part & d’autre de dix perfonnes. Du
coté du Dauphin, étoient Tanneguy - Duchâtel *
Narbonne, Louvet, Nafllac, Loiré, Layet, Frot-
; tie r , Bataille, Bouteiller & du Lau. Du côté du
duc de Bourgogne, Charles de Bourbon, Noailles, Fribourg, Néufchâtel, Montaigu , de Vienne ,
• de Vergy , d’Outray , de Giac & de Pontarlier.
Pour tuer le Du c , il fallut fauter par-deflusla bar-
: rière > Noailles fut tué en le défendant} les autres
; feigneurs de la fuite du duc de Bourgogne furent
faits prifonniers, excepté Montaigu, qui franchit
: làe s barrières, Comment fe laifle-t-on prendre ainft nombre égal ? L ’inégalité étoit - elle dans le s
armes ou dans le courage ? Les feigneurs de la
fuite du duc dç Bourgogne rendirent-ils quelque
combat?
combat? Y eut-il quelques bleflesde part 8c d’autre?
Voilà fur quoi l’Hiftoire n’ offre rien de certain.
On a les dépofitions de trois des feigneurs de
la fuite du duc de Bourgogne., Vienne, Vergy &
Pontarlier : elles donnent peu de lumières. Segui-
nat, fecrétaire du Duc , & qui étoit entré à fa
fuite fur le pont, dit que Vergy fe mit en défenfe,
& qu’il fut blefîe. Une circonftance pourroit expliquer
le peu de réfiftance des amis du Duc. Le
nombre de la fuite des deux Princes, fur le pont,
étoit absolument égal} mais hors du pont le Duc
n’avoit que cinq cents hommes d’armes, dont une
partie occupoit le château de Montereau : le Dauphin
avoit une armée que des auteurs font monter
a vingt mille hommes. Peut-être les feigneurs de
la cour du duc de Bourgogne crurent-ils que toute
l ’armée du Dauphin alloit fondre fur eux. Peut-
être y avoit-il des intelligences entre les feigneurs
du parti du Dauphin & quelques-uns de ceux du
duc de Bourgogne : ce qui pourroit le faire pen-
fe r , c’ eft la promptitude avec laquelle Giac & fa
femme 3 après cet événement, embraflerent le
parti du Dauphin. Le corps du duc de Bourgogne
refta fur le pont : on emporta le Dauphin éperdu,
épouvanté, prefque fans connoiffance. Cet effroi,
fajeuneffe, fa douceur, fa foiblefle même & l’é-
loignement qu’il eut toujours pour le crime déponent
en fa faveur. L’opinion qui nous paroît la
plus raifonnable eft q ue, fi les feigneurs de fa fuite
avoient formé ce complot, ils ne le confultèrent
pas pour lui rendre un fi affreux fervice. En effet,
les miniftres, fes généraux, & nommément quelques
uns de ceux qui l ’accompagnèrent à Montereau
, ne le confultoient pas toujours fur la manière
de le fervir : il eft vrai qu’il ne défavoua
point les meurtriers du D u c , & qu’il ne leur ôta
point fa faveur> ce qui prouve feulement qu’ils le
gouvernoient. Peut-être crovoit-illeur devoir beaucoup
pour un crime dont ils avoient pris fur eux
la honte & le danger , en lui en laiflant le fruit :
peut-être eux-mêmes penfoient-ils ainfi.
C e fut principalement Tanneguy-Duchâtel que
la voix puolique accufa du meurtre du duc Jean :
on difoit même qu’ il confervoit comme un monument
précieux la hache dont il s’étoit fervi dans
cette occafîon. 11 protefta toujours qu’ il n’avoit
eu aucune part à ce crime. Barbazan, qui fut ac-
cufé de l’avoir confeillé, quoiqu’il ne fût pas du
nombre des dix feigneurs qui accompagnoient le
Dauphin fur le pont, non-feulement s’ en défend
it, mais, félon quelques auteurs, il protefta hautement
qu’on avoit perdu & déshonoré le Dauphin
en voulant le fervir. Louvet & Loire font
nommés dans les dépofitions > Layet & Frottier le
font dans la relation de Monftrelet.
On eflaya de perfuader à la nation que le duc
de Bourgogne avoit infulté le Dauphin, & qu’ il
n’avoit fait que porterda peine de ion infolence :
on engagea le Dauphin à publier ce fait dans un
manifefte. C ’étoit profiter, contre le ducdeBour-
Hiftoire. Tome V T Supplément.
gogne, de quelques vraifemblances que fournifloit
fon cara&ère * mais elles étoient détruites par une
vraifemblance plus grande, c ’eft que le duc de
Bourgogne n’étoit pas le plus fort a Montereau.
Les partifans du Dauphin voulurent forcer Séguinac
à dépofer contre fon maître j ils le retinrent long-
tems en prifon î ils le menacèrent de la queftion :
rien ne put ébranler ce ferviteur fidèle.
Le premier fruit qu’on voulut tirer de la mort
du duc de Bourgogne, fut de foumettre le château
de Montereau. On mena Vergy au pied des murailles,
& on le chargea de lignifier à la garnifon
un ordre de fe rendre fous peine de mort. Un des
compagnons du Duc, entre les mains des Dauphinois,
difoit affez qu’ il étoit arrivé au Duc quelque
chofe d’extraordinaire : la garnifon demanda un
ordre du Duc par écrit. Vergy, n’ofant dire qu’il
venoit d’être aflafliné, de peur apparemment d’of-
fenfer les Dauphinois , fe contenta de montrer la
terre du doigt. La garnifon n’ entendant point ou
feignant de ne pas entendre , il fallut parler plus
clairement. Le défaut de vivres força la garnifon
de capituler.
C e fut là le feul fuccès du Dauphin, & bientôt
il apprit que le fruit le plus certain du crime eft la
honte & le malheur. Qu’avoit gagné le duc de
Bourgogne à l’aflaflinat du duc d’Orléans ? Douze
ans de honte, de remords & de terreurs, fuivis
aufli d’ une mort violente. Que gagnoit le dauphin
Charles à avoir puni,par une perfidie & une cruauté,
ce Prince perfide & cruel ? L’exhérédation, la malédiction
paternelle, le foulévement du royaume ,
. la néceflité de conquérir un trône que la naiflance
lui dëféroit. Le comte de Charolois, nouveau duc
de Bourgogne, avoit à venger un père ; Ifabelle
de Bavière avoit, pour la troifîème fois, à venger
un amant, & , pour la fécondé fois, à le venger fur
un fils : Anglais, Bourguignons, Français, tout fe
réunit contre le Dauphin. Charles VI prend pour
gendre Henri V î la couronne de France eft tranf-
portée au roi d’Angleterre par le traité de Troye.
Lorfqu’enfin Philippe, duc de Bourgogne , rendit
la paix à la France par le traité d’Arras , il
n’oublia , ni de venger la mémoire de fon père ,
ni de fe dédommager des frais de la guerre. Le
Dauphin , devenu le roi Charles V I I , & que le
: duc de Bourgogne voulut bien reconnoitre pour
| te l, fut obligé de défavouer le meurtre du duc
Jean j il proipit de faire punir les meurtriers, dont
le duc Philippe donneroit la lifte j de faire élever-
une croix fur le po$t de Montereau-Faut-Yonne ,
à l’endroit où le duc Jean avoit été aflafliné > de
fonder dans cette ville une chapelle , dont la collation
appartiendroit aux ducs de Bourgogne 5 d y
bâtir un couvent de Chartreux, & de fonder, dans
l’églife des Chartreux de Dijon , un fervice perpétuel
pour le fèu Duc. Vo ilà pour la réparation :
voici pour l’indemnité. Philippe , qui s’intitule
par la grâce de Dieu , duc de Bourgogne , & qui déclare
qu’il pardonne , pour révérence de Dieu , fr