
fait peut - être d'aufli importantes réformes que
Guillaume de l'Isle, parce qu'il lès a trouvées toutes
faites, cet éloge eft le premier qui ait été prononcé
dans l'Académie des belles-lettres par fon
dernier fecrétaire, dont il annonça très-avan-
tageufement les talens pour fa, nouvelle place.
« Les anciens , dit cet hiftorien de 1 Académie,
» infpirèrent à M. d'Anville pour la géographie
» ancienne un amour de préférence qu'il a con-
» fervé jufqu'à la fin de fa v ie , foit par ce charme
» inexprimable qui nous ramène toujours vers les
” objets auxquels notre ame doit fes premières
« jouiffances, fcit parce qu'elle lui paroiffoit em-
» prunter quelque chofe de la majefté impofaîite
» des peuples dont elle éclaire l'hiftoire...... Il ef-
63 fayoït de fuivre les Phéniciens dans leurs navi-
33 gâtions, & d'en deviner le fecret j il cherchoit
33 à reconnoitre la trace de ceux q u i, par l ’ordre
» de Né chos, partirent de la Mer-Rouge, firent
33 le tour de l'Afrique, & retournèrent enEgypte
33 par la Méditerranée, après trois ans de naviga-
» tion. Il partoit de Carthage avec Hannon, &
?3 eôtoyoit l'Afrique, en fens contraire, jufqu'au
33 cap des T‘rois-Pointes. Il vifitoit avec Scylax les
33 pays & les établiffemens fitués fur une'partie
33 des côtes de l'E uro p e, de l'Afie & de l'Afri-
33 que rilaccompagnoit Hérodote dans fes voyages
33 en G rè c e , en Italie, en Egypte , en Ane } il
33 pénétroit au-delà de l'Indus avec Alexandre. Il
33 fuivit les Romains dans leurs conquêtes , & leur
33 favoit prefque gré d'avoir fubjugué le monde
33 qu'ils lui faifoient connoître.33
L'énumération des différentes cartes & des divers
ouvrages géographiques d eM. d'Anville nous
meneroit trop loin: on connoît fa géographie ancienne,
rapprochée deLla moderne : fon utilité l'a
mife entre les mains de tout le monde.
La géographie feule exiftoit dans le monde pour
M. d'Anville. « En lifantles plus fublimes écrits,
33 il fermoit le s yeux à tout ce qui ne concernoit
33 pas la géographie : il s'étoit condamné à ne voir
33 dans Homère & dans Virgile que des noms &
33 des pofitions de peuples & de villes.» >
Quique-Rufas Batulumque tenent atque arva
CelennA, & c.
Il fè rapproçhoit affez du goût de l'abbé de
Longuerue fon maître, qui difoit « qu'avec le
?=> recueil des antiquités & des fentences tirées
»s d Homère, on pouvcit très-bien fe paffer de
33 f Iliade & de V Odijfée..... On feroit tenté de
?3 plaindre une pareille infenfibilité, fi on connoif
33 foit moins les plaifirs vifs que procure la dé-
33 couverte d’une vérité à ces hommes utiles qui
» font animés de la noble ambition d'ajouter à la
» maffe des connoiffances humaines d'en recu-
33.1er les limites. 33 1
M- d'Anville avoit un amour-propre naïf qu'il
piontroit à tout le monde fans offenfer perfonne,
& qui avoit chez lui des modifications & des excufes
qu'il n’a pas chez le commun des hommes.
« En parcourant fans ceffe la terre, il s'étoit en
33 quelque façon approprié les lieux dont il avoit
» ngoureufement déterminé la pofitiom II con-
33 temploit avec complaifance ces membres épars
» de fon Empire i & comme fes prétentions lui
33 paroiffoient fondées fur des autorités refpe&a-
33 b lé s , il voyoit avec peine qu'on ofàt lès cbn-
33 tefter, furtout quand il s'agifibit de quelque
33 point de la géographie ancienne , qu'il croyoit
33 avoir plus invariablement fixée, & dont il s'étoit
33 réfervé plus fpécialenient la poffeflion : la criti-
33 que lui paroiffoit alors une efipèce de facrilége
33 contre l'objet même de fon culte } & tranfporté
33 d'une colère religieufe, il s'écrioit quelquefois :
33 On profane toute L'antiquité...... On l'entèndoit
» vanter la perfection de fes ouvrages, & dire de
33 la géographie ce qu'Augufte difoit de Rome :
33 Je l'ai trouvée de brique , & je La laijfe d'or___ C e t
33 enthoufîafine, qui eût fans doute été ridicule
33 dans un homme médiocre, étoit bien excufable
33 dans un vieillard qui n'avoit penfé, qui n'avoit
33 -vécu que pour la géographie, & à qui la douce
33 habitude d'être-applaudi avoit dû donner une
33 grande idée de fes talens. On peut dire même
33 que cet enthoufiafme étoit refpeCtable parles
33 grands effets qu'il a produits. Sans ce reffort
33 puiffant qui fai foit agir M. d'Anville, nous fe-
33 rions vraifemblablement privés d'un grand nom-
33 bre d'excellens ouvrages, & la géographie feroit
33 encore dans l'état où il l 'avoit trouvée.33
. Cette dernière raifon eft fi fo r te , qu'elle couvre
& excufe tout, & qu'elle entraîne le leCteur,
quoique toujours prévenu contre les palliatifs &
les précautions oratoires.
M. d'Anville perdit fa femme après cinquante
ans de mariage, & l'état ou il étoit alors ne lui
permit pas de fentir cette perte. « Heureux alors
33 que la privation des facultés de fon ame'lui ait
33 épargne le fentiment de cette affreufe fépa*
33 ration 1 11 eft du moins defcendu doucement au
33 tombeau : la douleur l'y auroit précipité.;?3
: Il eft mort en 1782. Nous devons ajouter ic i,
pour l’intérêt de la v érité, que , pour prendre
quelqu'inftruétion dans fes très-favans ouvragés,
on a un terrible ftyle à dévorer.
ARMIN1US (Segestes , Flavius , Inguio-
mer) , le premier, beau-père ; le fécond, frère ;
le troisième , oncle d'Arminius. ( Hifioire rom. &
german.) C e roi ou général des Chérufques, dont
nous n'avons dit qu'un mot dans le Dictionnaire,
mérite d'avoir ici un article plus étendu. La fa-
meufe victoire qu’il remporta fur Varus l'an 10
de J. C . ne fut pas l’ouvrage de la feule valeur j
elle fut encore moins l'ouvrage du hafard. Armi-
; nius l ’avoit préparée par beaucoup d'adreffe, par
une grande connoiffance, & du local 3 & de là- dif-
pofition des efprits qu'il avoit lui-même en partie
formée, Élevé a Rome, où Tibère, faifantla guerre
'en
en Germanie cinq ans auparavant, l’avoit en voy é ,
il s’y étoit inftruit à fond dans l ’art militaire j &
la nature lui ayant donné un grand courage , un
efpritremuant & altier, un caractère propre à
former & à exécuter de nobles entreprifes., il vint
employer toutes Ces reffources en faveur de fa
patrie. Son plan, pour attirer les Romains dans le
piège, fut de faire révolter contr'eüx les cantons
de la Germanie les plus. éloignés, & de retenir
les plus voifins dans une foumiflion apparente.
Les Romains, comptant fur les difpofitions de ceux-
ci , s’engagèrent fans crainte au milieu d'eux ; leur
marche fut refpeétée comme celle d'un peuple ami
.& dominateur} nul trouble, nul obftacle à leur
paffagejmais quand ils approchèrent des cantons
révoltés , ceux-ci leur oppofèrent toutes fortes
d'obftaclès, embarraffant les chemins dans les
forêts par des arbres coupés & renverfés, fatiguant
l'armée romaine par des charges irrégulières
de pelotons fugitifs qui difparoiffoient auflitôt pour
recharger d’un autre côté. Dans le même moment
^tous les cantons réputés fidèles levèrent le maf-
q ue, fe-joignirent aux autres, &" les Romains fe
virent de toutes parts environnés d'ennemis} ce
fut dans la forêt de Teuteberg que fe livra cette
bataille fi funefte aux Romains, où Varus fe tua
de défefpoir, où Augufte perdit fes légions, que
dans fa douleur il redemandoit en vain aux mânes
de cet infortuné général. C e Quintilius Varus
s'étoit mal comporté dans fon gouvernement} il
avoit voulu changer & contrarier les moeurs des
Germains} il avoit introduit parmi eux la chicane-
& des formes de jufticequi leur étoient ou inconnues
ou odieufes, & qui devenaient pour-fon
avarice un moyen de tirer d'eux ou des préfens
ou des amendes j il les forçoit de venir plaider
devant;fon tribunal par le miniftère des avocats,
c'étoit encore les affujettir à un nouvel impôt}
aufli fut-ce principalement contre les avocats que
leur fureur fe tourna au jour de la vengeance} ils
les mutilaient horriblement, leur coupoient les
mains, les lèvres, le nez} leur arrachoient la langue
, les yeux, les oreilles 5 enfin 3 vipère, cejfe de
fijfier ! difoit un de ces barbares en tenant dans
fa main la langue d'un de ces avocats romains} ils
firent d'ailleurs toutes fortes d'outrages aux vaincus
, tant morts que vivans } ils expoferent les
têtes des premiers fur des arbres, & ils choifif-
foient parmi leurs prifonniers les plus nobles &
les plus élevés en dignité pour les envoyer garder
Jes vacheè & les pourceaux. On croit qu'après
cette bataille, les Germains auroientpu conquérir
les Gaules s'ils les avoient attaquées, mais ils
aimèrent mieux achever dechaffer les Romains des
forts que ceux-ci tenoient encore dans la Germanie
} ce qui donna le teins à Augufte d y envoyer
T ibère, qui fe contenta d’avoir provoqué
Arminius fans l'avoir combattu, & après Tibëfë
.Germanicus, à qui étoit réfervée la gloire d'être
le vengeur de Varus.
Hifioire. Tome V I . Supplément,
Cette gloire fut d'autant plus grande qu'il avoit
à combattre la jaloufie de l ib è r e , qui ne fouhai-
toit pas que fon neveu eût de plus grands fuccès
dans ce pays-là qu'il n'en avoit euTui-même, &
qui en général ne fouhaitoit point de fuccès à fes
parens ni à fes généraux. Germanicus ne fongea
qu’à vaincre, qu’ à fervir la patrie, fans s'embar-
raffer des chagrins jaloux de fon oncle, fans pa-
rôître les appercevoir. Toujours aétif, vaillant &
fidèle, il pane le Rhin : fon premier exploit fut de
furprendre les Marfes, peuple de la ligue d’Arminius,
au milieu d’une fête qu’ils donnoient pendant
la nuit, & où fe trouvoient la plupart des
rinces & dès nobles du pays, pour qui toute fête
dégénéroit en partie de débauche. La débauche
les lui livra fans dérenfe} le foldat romain en fit
un grand carnage. Cependant les peuples voifins
engagés dans, la même ligue , les Bru&ères , les
Tubantes, les Ufipiens, entendirent les cris de
ceux qu'on égorgeoit} ils virent les flammes qui
ravageoient le quartier des Marfes} ils virént tomber
c e célèbre temple de Tonfana, divinité tutélaire
du pays } ils attendirent le vainqueur à fon
paflfage dans les forêts, & l'inquiétèrent dans fii
marche 5 mais Germanicus , à force de valeur &
d'adreffe, triompha de ces obftacles. Il marche
contre les C atte s , peuplade divifée alors en deux
faétions, dont l’une tenoit pour Arminius, l'autre
pour Segeftes fon beau-père, qui l ’étoit devenu
malgré lu i } Segeftes deftinoit fa fille à un autre
époux. Arminius, fur d’en être aimé, l'avoit enlevée.
La confpiration générale des peuples germains
avoit cependant entraîné Segeftes dans cette
expédition de la forêt de Teuteberg , où Varus
avoit p é r i} mais il n'en étoit pas moins l'ennemi
déclaré d'Arminius, & le partifan fecret des Romains
ou du moins de la paix. Les Cattes, furpris
à peu près comme l ’avoient été les Marfes , furent
aufli taillés en pièces : ce ne fut qu'un carnage
aufli facile qu'affreux. Cependant des ambafla-
deufs de Segeftes, à la tête defquels étoit Segi-
mond fon fils , vinrent implorer le fecours des
Romains contre Arminius, qui tinoit Segeftes af-
fiégé} Germanicus ne fe. fiant point à la foi de ces
peuples barbares, ni dè leurs Princes, & fachant
que Segimond avëit fuivi fon père à cette bataille
de la forêt de T euteberg, & qu'il avoit même alors
montré du zèle contre les Romains, commença par
s'affurer de fa perfonné, & par l'envoyer fous une
fùre garde dans la Gaule belgique ; il marcha en-
fuite au fecours de Segeftes, parce que c'étoit
combattre Arminius, & il délivra Segeftes, mais
il le tint à fa fuite avec fa fille, femme d'Arminius
& qui étoit entièrement dans les intérêts de fon
mari.
La. même divifion qui fe trouvoit dans diverfes
nations germaniques, attachées , les unes au parti
des Romains , les autres à la ligue d'Arminius fe
re trou voit dans la famille d'Arminius : outre Se-
geft.es / fon beau-père & fon plus grand ennemi,