
En entendant de tels vers, où refpîre toute la !
saajefté de la religion, il eft bien malheureux de |
fonger à des parodies.
M. de la Beaumelle dit qu'à Paris on trouva
dans Efther beaucoup de vers foibles. Ces gens-là
étoient bienheureux s'ils avoient droit de trouver
foibles les vers ÜEfther. Où en avoient-ils
donc vu de plus beaux ?
« Le public impartial, dit M. de Voltaire, ne
» vit qu'une aventure fans intérêt & fans vraifem-
» blance, un Roi infenfé qui a paffé fix mois avec
» fa femme fans favoir qui elle eft > & qui, ayant,
fans le moindre prétexte, donné ordre de faire
» égorger toute une nation , fait enfuite pendre
» fon favori tout aufli légèrement. *»
«c Le public, répond M. de la Beaumelle, ne vit
m point cela } car le public étoit chrétien. On lui
» préfentoit un fait intérelfant & miraculeux, d'a-
33 près un livre admis comme divin : il ne difcutoit
» point l ’aétion, parce qu'on ne difcute pas ce
» qu'on regarde comme démontré. »»
ic i M. de la Beaumelle nous paroït avoir complètement
raîfon contre M. de Voltaire, dont la
critique tombe fur la Bible & non fur Racine. 11
en eft de même d'une autre critique du même
M. de Voltaire, critique lï fottement répétée aujourd'hui
par tant d'échos, contre le caractère de
Joad dans Athalie, où l'onne veut plus voir qu'un
prêtre fanatique & féditieux. Voici ce qu'en pen-
foit Boileau, & ce qu'en penfera tout bon juge
refpeélant la Bible.
Tout ce qu’il peut y avoir de fublime, dit-il, pa-
roît raffemblé dans cette réponfe de Joad à Abner:
Celui qui met un frein à la fureur des flots, &c.....
« D’où je conclus que c'eft avec très-peu de fon-
J dement que les admirateurs outrés de M. Cor-
»K neille veulent infinuer que M. Racine lui eft
» beaucoup inférieur pour le fublime, puifque,
*> fans apporter ici quantité d'autres preuves que
as je pourrois donner du contraire., il ne me paroït
» pas que toute cette grandeur de vertu romaine
as tant vantée, que ce premier a fi bien exprimée
as dans plufièurs de fes pièces, & qui ont fait fon
as exceflive réputation, foit au deflus de Tintrépi-
as dité plus qu'héroïque & de la parfaite confiance
as en Dieu de ce véritablement pieux, grand, fâge
as & courageux Ifraëlite (Joad.); as
Mais , dira-t-on, pourquoi choifir fes fujets
dans ûn livre facré, dont g n'eft permis de rien
changer en faveur des convenances théâtrales ? Je
réponds qu'au moins on ne peut faire cette quef-
tion pour des pièces deftînées à Saint-Cyr } que
le fujet d’Efther eft le premier qui a dû y être
traité, qu’il y a beaucoup d'efprit, de goût & de
convenance dans le choix de ce fujet.
Pour Athalie, ce fujet n'eft devenu allégorique ,
qu'aptes coup, fous la régence, par des conjonc- j
tares, que Racine n'a pas. pu avoir le mérite de
prévoir : mais quel fuprême mérite dans l'exécution
! Madame de Maintenon eu t, comme Boileau,
celui de le fentir, & de foutenir à Racine
même, qui croyoit avoir manqué fon fujet, qu’il
n'avoit rren fait de plus beau.
Voici ce qu'elle écrivoit à ce fujet, dix-huit ou
vingt ans après la mort de Racine :
« Dieu veuille que les repréfentations d'Athalie
as (à Paris, fous la régence) faffent quelques çori-
ss verfions ! C'eft la plus belle pièce qu'on ait vue :
s» on y revient, & je Pavois prédit. ”
La direction de Saint-Cyr fut donnée’ aux prêtres
de Saint-Lazare. Quelqu'un s'étonnant qu'on
ne prît pas des Jéfuites pour cet emploi. Je veux ,
dit madame de Maintenon, être maîtrejfe che% moi.
C e mot fait connoître ce qu'elle penfoit des Jéfuites
qu’elle avoit la foibleffe de craindre, &
contre lefquels elle n'ofa foutenir le cardinal de
Noailles fon ami, dont elle connoifioit, & la vertu ,
& la daCtiine } ils étoient fûrs de la faire trembler
avec les mots à’héréfie , de jdnfénifme, de refte de
calvinifme; car ces mots avoient toujours un grand
effet fur l ’efprit de Louis X IV .
Par des raifons femblables elle n’ofa défendre
d'abord contre les injuftes préventions, enfuite
contre l'injufte reffentiment de Louis X IV , l’aimable
Fénelon, pour lequel elle avoit autant d'ef-
tîme & encore plus de penchant. M. dë la Bèau-
melle dit avoir demandé à une femme qui avoit
ïong-tems vécu avec madame de Maintenon &
M. de Fénelon, pourquoi la première avoit eu la
foibleffe de ne pas s'oppofer à la dîfgrace de fon
ami. Voici quelle fut mot pour mot la réponfe :
S i la haute vertu de madame de Maintenon avoit
permis au Roi quelques foupçons jaloux , ils feroient
tombés fur M. de Cambrai. C e m ot, fans juftifier
| entièrement madame de Maintenon, réconcilie
avec elle.
On prétend qu elle aima toujours cet illuftre
malheureux. Lorfque mademoifelle d'Ofmond',
une de fes élèves favorites de Saint-Cyr, époufa
le marquis d’Havrincourt, elle lui donna, entr’ au-
tres inftruCtions, le confeil de voir fouvent l'évêque
d'Arras , que le Roi eftimoit fort} mais ayant
appris qu'Havrincourt étoit dans le dioeèfe de
Cambrai : « Ah ! mon Dieu, ma fille ! lui dit-elle
« d'un ton fetisfait & d'un air myftérieux, que
*> vous êtes heureufe d’être à portée de cet hom-
» me-là \ Faites pour lui ce que je vous ai con-
»3 feillé pour l’évêque d' Arras} mais n'en dites
rien-. »
On l'aime bien moins lorfqu'on la voit écrire à.
madame de Caylus ( le i f avril 1717 ) : ce Je ne me
» foucie point de lire Télémaque. » On conçoit
cependant que ce livre étant regardé comme la
critique du règne de Louis X IV , le refus qu'elle
faifoit de le lire pouvoit être un hommage qu’elle
croyoit devoir à la mémoire de ce grand Roi.
Le Roi & madame dë Maintenon n’aimoient
point le duc d'Orléans, à caufe de fes moeurs }>
mais lorfqu’il fu t accufé d'avoir confpiré ëh Efpa-
gne .contre Philippe V , elle le fervit bien auprès
du R o i, & mieux p eu t-être que le Prince ne le
p en fo it} au fli d ifo it-e lle : Ah ! ft le duc d Orl<
Javoit tout ce qu il me doit J
D'un cô té , la duchefiè de Bourgogne, ennemie
du duc d'O r lé an s , la preffoit de fe déclarer contre
lu i} de l'autre, Madame la prioit de protéger
I Princes un malheur pire que la mort ? E t comment I madame de Maintenon pouvait-elle le dire ?
j 20. M. de la Beaumelle, éditeur des Lettres de
| madame de Maintenon, auroit bien dû faire lui-
j même la vraie réponfe qui eft abfolument péremp-
! toire, c'eft que la lettre de cette Dame à madame
du Pérou eu du 28 juillet 1708 , & que Lille ne
fut prife qu'à la fin d'oêtobre. Les propres termes
de la lettre font: Nos Princes ont couru un péril
plus arand que ri auroit été leur mort. Elle venoit de
parler de la bataille d’Oudenarde. Ce péril étoit
vraifemblablement celui d’être pris. T r è s -grand
malheur en effet pour l’héritier de la couronne,
& pour la couronne dont il doit heriter.
fon fils. Madame de Maintenon ne promettoit que
de la neutralité} elle difoit à la première : Le re f
pecl que je dois au neveu du Roi ne me permet pas de
parler ,• elle difoit à la fécondé : Mon refpecl pour
Philippe V m ordonne de me taire. •
S'il eft vrai qu'on ait accufé M. de la Beaumelle
d'avoir appuyé les bruits calomnieux répandus
contre M. le duc d'Orléans, au fujet de la mort
dès Princes, & fi ce fut la caufe qui fit enfermer
cet auteur à la Baftille, le 24 avril 1753 jufqu au
12 octobre de la même année, ce fut une grande
injuftice, car il réfute très-hautement ces mêmes
bruits} mais il a tort de dire que l'auteur du Siècle
de Louis X IV 3 en rejetant auüi ces calomnies, les
accrédite mieux qu'il ne les détruit.
Le grand mérite des Mémoires de madame de
Maintenon eft d'amener le leCteur par des degrés
' infenfibles & par un récit naturel, à regarder
comme très-probable que l'élévation de madame
de Maintenon ait été uniquement le produit de
fon caractère toujours é g a l, doux, pat-ent, généreux,
M. de la Beaumelle ne s'éloigne pas de penfer
que fi les alliés avoient levé lefiégô de Lille en
1708, madame de Maintenon auroit été déclarée
Reine. Le R o i , félon lui, dit un jour à madame
de Maintenon dans un mouvement de joie. « V os
« prières font exaucées, Madame : Vendôme tient
« mes ennemis. Lille fera délivrée, & vous ferez
33 -reine de France. >3 Ces paroles entendues & répétées
donnèrent lieu à une cabale du Dauphin,
du duc & de la ducheffe de Bourgogne & du duc
de Vendôme pour laiflet prendre L ille } ce futainfi
qu'on interpréta la retraite du duc de Vendôme,
qui parut~àlors difficile à expliquer. « C e bruit fe
« répandit même chez les étrangers. De là ces
93 billets que les ennemis jetoient parmi nous :
93 RaJfure[-vous , Français } elle ne fera pas votre
« Reine. Nous ne lèverons pas lefiège. m
Et ces billets & la cabale des Princes , & le
propos de Louis X IV , ne paroiffent à M. de
Voltaire que des contes dont il fe moque. En
effet, il eft difficile de croire ,f d'un c ô té , que les
héritiers du trône truffent l'Etat en danger pour
empêcher qu'un mariage néceffairement ftérile,
mais dont perfonne ne doutoit, fût déclaré} de
l'autre, que les raifons de déclarer ce mariage ou
de le tenir toujours fecret puffent dépendre du
fuccès heureux ou malheureux d'un fiége.
Mais madame de Maintenon écrivoit a madame
du Pérou, après le fiége de Lille : Nos Princes ont
échappé à un malheur plus grand pour eux que la
mort. \
i° . Eh bien ! pourquoi faut-il que ce malheur
fi grand foit la déclaration du mariage le plus indifférent?
En quoi cette déclaration du mariage
de leur grand-pere, âgé de foixante-dix ans, avec
une femme de foixante-treize, étoit-elle pour les
fans le fecours d’aucune cabale & d'aucun
artifice. Si Ton ne peut pas dire que l’auteur démontre
entièrement cette opinion, il la perfuade
du moins , & le Recueil des Lettres de madame de
Maintenon, & de tous les honnêtes gens de la
cour, la fortifie & la confirme.
Le duc de Saint-Simon accufé madame de
Maintenon d’avoir perfécuté Louis XlV.mourant,
pour lui arracher un teftament favorable au duc
du Maine, fon élève chéri. Les difpofitions tefta-
mentaires de Louis X IV s'expliquent affez par fà
tendre prédilection pour le duc du Maine, par
fon éloignement pour le duc d’Orléans, & par
la crainte qu'il avoit de ce Prince.
Le même duc de Saint-Simon accufé encore,
& très - aigrement, madame de Maintenon d’avoir
abandonné Lous XIV quand elle n’eut plus
rien à en attendre. Il allure que Louis X IV ne celfa
de la demander, & mourut avec la douleur de ne
la pas voir auprès de lui.
Le reproche feroit grave. Vo ic i le récit de M . de
la Beaumelle} il nous paroït la juftifier entièrement.
I
c« Le Roi avoit fait d'un oeil fec fes adieux a tous
33 fesparens & à fes amis. Quand il les fit à madame
>3 de Maintenon, il ne put retenir fes pleurs. Je
33 ne regrette que vous 3 lui dit-il : je ne vous ai pas
33 rendue heureufe y mais tous les fentimens d eftime
33 & d amitié que vous mérite£ , je les ai toujours eus
33 pour vous. Il lui dit devant tous les Princes :
33 L'unique chofe qui me fâche , c'eft de vous quitter\
33 Mais j ’efpère vous revoir bientôt dans, l'éternité.
33 Quand tout le monde fut forti, il lui dit : Qu'a/-
33 1er-vous devenir l Vous ri ave\ rien. Je vous prie,
»3 répondit-elle j de ne point penfer â moi} je fuis
33 un rien. Il s'avança pour Tembrafïèr & fe fen-
33 tant prêt à pleurer, il lui dit d'examiner fi per-
>3 fonne n'écoutoit } mais, ajouta-t-il, on ne fera
ji ,î jamais furpris que je m attendrïjfe avec vous.
, 3î II appela le duc d’Orléans, & lui recommanda