
doit comme auteur ou comme complice de la per-
fécution qu’elle effuyoit, lui dit avec la hauteur
d’une Prineefife qui veut humilier une favorite : IL
y a long-temps que je ne vous ai fait t honneur de vous
parler, parce que........ Sur ce début, madame de
Maintenon , qui fentoit fa force , fortit brufque?-
ment. Mademoifelle la retint, & prenant un ton
plus dou x , dit qu’elle étoit prête à fe dépouiller
de fes biens , pourvu qu’ on lui permît d’époufer
M. de Lauzun. Madame de Maintenon répéta
le confeil perfide de s’abandonner à la reconnoif-
fance & à la générofité du Roi. Je connois les
générofités de cou r , dit Mademoifelle, & elle
menaça de difpofer de fon bien à fon gré fi on
ne lui permettoit ce mariage. Vous n’ en ferez pas
la maîtrefle, répondit la favorite > le Roi ne fouf-
frira pas une difpofition de vos biens, contraire
à vos promeffes. Mademoifelle éclata en plaintes
fur cette tyrannie véritablement un peu forte : je
donnerai tout aux pauvres, dit-elle 5 nous verrons
fi la piété du Roi lui permettra de leur ravir un
bien légitimement donné. « En ce c a s , reprit ma-
» dame de Maintenon, je ne puis vous repondre
» que M. de Lauzun ne foit pas transféré à la
« Baftille. -
C e propos inique & tyrannique que la fage
Maintenon n’auroit pas dû fe permettre , en rappelle
un femblable que Vittorio Siri dit avoir été
tenu par le duc de Sully , au troifième prince de
C on d é, mari de mademoifelle de Montmorenci.
Henri IV étoit amoureux de cette Princeffe : on
vouloit engager le Prince à faire venir fa femme
à la cour. Le duc de Sully, l’homme le moins
propre à cette négociation, commanda au Prince,
plutôt qu’il ne lui confeilla, de fatisfaire le Roi,
Er la foudre à la main, menaçant fes refus,
ofa bienlui parler de Baftille. Condé répondit que
le Roi étoit trop jufte pour l’avoir chargé de menacer
de la Baftille le premier Prince du fang , &
furtout un Prince innocent. Ne vous fiez pas fur
votre innocence, répliqua Sully rvous ne feriez
pas le premier homme innocent qui eût été mis
à la Baftille fous un Pvoi jufte.
La grande ambition de madame de Maintenon
étoit d’arracher Louis XIV au vice & à l ’adultère,
& de le ramener dans les voies dû falut. C e fut
elle-même qui fut chargée d’annoncer à madame
de Montefpan que le Roi renonçoit à elle. Celle-
c i, dans fon défefpoir, tantôt l’accabloit d’injures
& de menaces, tantôt cherchoit à la gagner par
des exeufes, des larmes, des promeffes. Des promeffes
! lui dit madame de Maintenon} je n’en
veux qu’une de vous , & je la demande au nom
de Dieu, du Roi & de votre propre honneur.
Promettez de renoncer de bonne foi à $otre paf-
fion. Ah ! répondit madame de Montefpan, cefi
pi arracher le coeur.
Au fortir de cet entretien, madame de Maintenon
rencontra un homme de la cour, qui lui dit :
«« Le bruit fe répand, Madame, que le Roi quitte
« les femmes , & que c’ eft votre ouvrage.” Plût a
Dieu ! & mourir fur le champ , répondit-elle.
On délibéra fi madame de Montefpan feroit exilée.
Madame de Maintenon lui épargna ce dernier
coup 5 mais elle l’entoura de directeurs qui
l’exhortoient fans ceffe à s’exiler elle-même ; ce
qu’elle fit enfin de guerre laffe après de longs délais
& d'innombrables dégoûts, & après avoir
effayé par mille intrigues, de renverfer le crédit
toujours croiffant de celle qu’elle regardoit comme
fa rivale. Je faurai me venger, lui dit-elle un jour
à la fuite d’ un entretien fort v if 5 & moi, répondit
madame de Maintenon, je faurai vous pardon-
ner< C e fut celle-ci qui tint parole.
Madame de Montefpan, dans un accès de fureur,
renvoya au Roi les pierreries qu’il lui avoit données.
Le premier mouvement du Roi fut d’ouvrir
la caffette. Madame de Maintenon, craignant qu’il
ne lui fît l’ affront de les lui offrir, l’arrête & l’empêche
d’ ouvrir. Le fécond mouvement du Roi
fut de fe venger de cette in fuite. Madame de Maintenon
lui repréfente que madame de Montefpan.
eft plus digne de pitié que de courroux que
cette imprudente faillie eft la dernière convulfion
d un amour réduit au défefpoir. Et comment la
vanité même du Roi ne le lui difoit-elle pas ? Comment
cette vanité n’ étoit-ellepas flattée de ce vain
courroux d’une amante fi long-tems aimée & fi
cruellement délaiffée ? 11 étoit bien queftion là d’affront
fait au Roi ! C e n’ étoit pas au Roi à venger
les injures de l’amant infidèle.
Au milieu des tranfports jaloux de madame, de
Montefpan & des triomphes d’une femme autrefois
fa protégée, la première propofe à la fécondé
une partie à Clagny. Madame de Maintenon l’ accepte.
On vint lui dire officieufement qu’elle n’y
feroit pas en fureté, que cette fête pouvoitcachèr
des trahifons : mais elle avoit promis y elle y alla ,
& v i t , dit M. de la Beaumelle, qu’un crime eft
bien plus aifé à imaginer qu’à commettre.
C ’ étoit madame de Montefpan qui avoit donné
à Louis XIV l’idée de faire écrire fon hiftoire par
Racine & par Boileau, & dans le tems même de
fa difgrace elle étoit admife aux leélures que ces
deux hiftoriens poètes faifoient à Louis !XIV de
quelques morceaux de cette hiftoire. « Madame
*> de Montefpan, dit M. de la Beaumelle, laifloit
» échapper quelques mots piquans. Le R o i, en
x » fouriant, jetoit furtivement un regard fur ma-
« dame de Maintenon, qui, aflife fur un tabouret
» vis-à-vis de lui, tâchoitd’entendre, fans bâiller,
» les fadeurs des deux hiftoriens. »
Eh ! qui lui a dit que ce fuflent des fadeurs ?
Quand Racine, au tems de la révocation de l’ édit
de Nantes, difoit dans Efther ,
Et le Roi trop crédule a figné cet édit.
étoit - il donc fi fade ? Racine & Boileau ne fav
oient-ils
voient - ils pas louer fans fadeur ? Louis XIV eft
lo u é , flatté, fi l’on veut, dans la plupart des ouvrages
de Boileau j il l’ eft toujours d’ une manière
piquante & très - éloignée de la fadeur. M. de
Voltaire , dans le Siècle de Louis X I V y loue beaucoup
ce Prince en avouant fes fautes , & tout
homme de bon fens, & qui faura l’Hiftoire, le
louera toujours beaucoup. M. de Voltaire eft-il
fade ?
M. de la Beaumelle s’amufe, en paflant, à dire
« que Racine & Boileau s’appliquoient plus à écar-
” ter de la cour tout autre bel-efprit qu’eux , &
” fe rendre maîtres de l’Académie, qu’ à faire un
3» ouvrage digne de la poftérité. ” Quoi ! Racine &
Boileau, dans tous leurs ouvrages , négligeoient-
ils jamais de les rendre dignes de la poftérité ? Ne
diroit-on pas que ces deux beaux génies étoieht
des intrigans fans mérite, q u i, par artifice, écar-
toient de la cour le mérite qui les eût offufqués ?
Boileau avoit-il tort de n’eftimer aucun poète de
fon tems à l’égal de Racine ? Racine avoit-il tort
de n’eftimer aucun critique de fon tems à l’égal
de Boileau ? Et quel écrivain digne d’être mis fur
la même ligne, ou feulement d’ en approcher longo
intervallo , ont-ils donc écarté de la cour? Quant
à leur empire dans l’Académie , qu’auroit-on penfé
de ce corps refpeétable, fi deux hommes tels que
Racine & Boileau n’y avoient pas eu la plus grande
influence ? Quelles legéretés, que toutes ces petites
décifions de caprice ! Et comment cherche-t-on à
fe diftinguer par ces paradoxes & ces jugemens
en l’air, quand on a tant de moyens d’ intereffer, &
par fon ftyle, &par les chofes qu’on avoit à dire ?
Revenons à mefdames de Montefpan & de Maintenon.
Boileau contoit à fes amis qu’ un jou r , au
moment où la leéture commençoit, madame de
Montefpan, qui n’étoit point attendue, entra,
& que madame de Maintenon ne fe leva point. Le
Roi lui dit de s’affeoir , & ajouta : «<=11 eft bien
jufte, Madame, que vous entendiez un ouvrage
” dont vous avez tracé le premier plan. ” Elle
parut très-peu attentive , & de tems en tems interrompit
le leéteur pour dire à madame de Maintenon
: Madame eft-elle contente ? ce Après la lec-
» ture, elle lui fit une profonde révérence, où il y
3» avoit plus d’air que de refpeét, & lui demanda
3» une heure, fous prétexte qu’elle avoit beau- 3» coup de chofes à lui dire. 3» — ce Et moi, répon-
33 dit féchement madame de Maintenon, j’ ai beau-
« coup d’ affaires > quand je ferai libre , je vous le
3» ferai favoir. 33 C ’ eft, dit la Beaumelle, la feule
fois qu’elle fit fentir fa fupériorité à madame de
Montefpan, qui l’ avoit fi fouvent accablée de la
fifenne.
Lorfque madame de Montefpan fe réfolut enfin
à la retraite, madame de Maintenon lui fit donner
une penfion de. deux mille louis par mois. Pour
elle , elle n^eut jamais , & ne voulut jamais avoir
qu’une penfion de 48,000 liv. par an $ auffi difoit-
elle : ce Ses maîtrefles lui coutoient plus en un
Hijloire. Tome V I . Supplément.
33 mois, que je ne lui coûte dans une annee. 33 L t
fur ces 48,000 liv. quel bien ne faifoit-elle pas,
elle qui avoit fu en faire fur yoo liv. de penfioa
que lui faifoit Scarron ?
Une autre amie, une autre bienfaitrice de^ma-
dame Scarron, la ducheffe de Richelieu j e t o i t
devenue jaloufe de madame de Maintenon, s etoit
unie avec madame de Montefpan pour lui nuire ,
n’ avoit ceffé de la calomnier auprès de madame la
Dauphine, dont madame de Maintenon 1 avoit
faite Dame d’honneur , ainfi que de la Reine auparavant.
M. de la Beaumelle dit avec raifon que
la marquife de Maintenon pouvoit dire à la au-
cheffe de Richelieu : Vous m admîtes autrefois al
votre fociété & à votre table y dix ans apres je vous
fis Dame d3honneur de la Reine. Mais ce n eft pas
là ce qu’elle lui difoit. Témoin de tant d’intrigues
qu’elle dédaignoit, & de tant d’ offenfes qu’elle
pardonnoit : Vous ave£ beau faire , Madame , lui
difoit-elle , vous n effacerez point le fuuvenir de vos
bienfaits. C ’ eft au fujet de la ducheffe de Richelieu
quelle dit ce mot fi affligeant & fi conforme
à la trille & trop fameufe maxime de Bias : On efi
tous les jours trompé a des amitiés de trente ans. C e
mot fe trouve auffi dans fes Lettres, autrement
appliqué. Les torts de madame de Richelieu à l’égard
de madame de Maintenon furent fi nombreux
, fi conftans , fi graves, fi manifeftes, que
Louis XIV vouloit la chafïer de la cour > madame
de Maintenon l’en empêcha en lui difant : « Tra-
33 caflière pour tracaflière , celle qu’ on connoit
33 vaut encore mieux que celle qu’on ne connoît
33 pas. 33 . 1
Lorfqu’à l ’occafion du départ des princes de
Conti pour la Hongrie , en 168 y , le marquis
de Louvois fit fi imprudemment & fi tyranniquement
intercepter les lettres de plufîeurs jeunes
• gens de la cour, lettres dont les plus coupables ,
c’efl-à-dire , les plus indiferètes , fe trouvèrent
1 être d’un des fils & du gendre de Louvois même,
il s’en trouva auffi de madame la princeffe de
C o n ti, fille de Louis X IV . Elle difoit qu’elle
avoit pris fort promptement une fille d’honneur ,
de peur que madame de Maintenon ne lui en donnât
une. Elle ajoutoit : Je me promène quelquefois
avec le Roi & madame de Maintenon y juge^ combien
je rnamufe. La PrincefTe, avertie de l’infidélité de
Louvois par la rumeur publique & par un regard
foudroyant de Louis X IV , alla pleurer chez madame
de Maintenon, qui lui dit : « Pleurez, pleur
e z , Madame j car c’eft un grand malheur de
33 n’avoir pas le coeur bon. 33 Quelque temps après
la Princefle étant tombée malade , madame de
Maintenon la fervit avec la vigilance d’une garde
& la téridreffe d’une mère, & fe hâta de la réconcilier
avec le Roi.
M. de la Beaumelle croit qué le mariage de madame
de Maintenon avec Louis XIV eft de la fin
de l’année i6 8 f. Une de fes preuves eft que, dans
un démêlé avec madame la ducheffe de Bourgogne,
E e