
» poupée. » C ’étoit l’enfant qui donnoit à la mère
une leçon de convenance.
Madame d’Aubigné racontant à fes enfans les
exploits de Théodore-Agrippa leur aïeul, & fa
faveur auprès d’Henri, roi de Navarre , puis de
France, Françoife déclara qu’ elle vouloit être
reine de Navarre : elle le fut pour le moins.
Elle montra de bonne heure un caractère décidé
& un grand attachement pour fa religion. Cette
religion étoit la proteftante, où elle avoit été élevée
parmadame de Villette fa tante. Madame d’Aubigné
étoit catholique j mais la pauvreté l’ avoit
obligée d’abandonner fa fille aux foins, aux bienfaits
& aux inftruétions de madame de Villette.
Lorfqu’enfuite elle la reprit, elle la trouva déjà
proteftante opiniâtre : Françoife refufa de la fuivre
a la méfié. Vous ne m’ aimez donc pas, lui dit fa
mère : j’aime encore plus mon Dieu , répondit
l ’enfant. C ’eft la réponfe de Polyeuéte à Pauline :
P a u l i n e .
Q u it te z cette ch im è r e , & m’aimez.
P O L Y E U C T E .
Je vous aime
Beaucoup moins que mon D ie u , mais bien plus que
mo i-même.
Françoife, obligée d’ obéir, s’en vengea en fe
comportant indécemment dans l’églife, & en af-
feélant du mépris pour nos myftères. Sa mère, dévotement
irritée, lui donna un foufflet. Françoife,
qui favoit l’ évangile, préfenta l’autre joue. Frapp
e z , dit-elle : il eft doux de fouftrir pour fa religion.
C ’eft pourtant cette même madame de Main-
tenon q u i, dans la fuite, contraignit d’aller à la
méfié la petite de Ville tte , petite-fille de madame
de Villette fa tante & fa bienfaitrice j mais en entraînant
ainfî de force la petite-fille au parti de la
vérité, elle comptoit s’acquitter envers l’aïeule,
qui ne l’avoit élevée elle-même dans l’erreur que
par tendrefle.
File n’oublia jamais les bienfaits de madame de
Ville tte, & , lorfque déjà plus d o c ile , elle s’ inf-
truifoit des dogmes de la foi catholique, & qu’elle
commençoit à s’en rapprocher : « J’admettrai
m tout, difoit-elle, pourvu qu’on ne m’oblige pas
» à croire que ma tante de \ illette fera damnée. «
En effet, les. terribles eonféquences du dogme,
Hors de l'églife point de falut, font ce qui répugne
le plus aux âmes douces & tendres.
Elle confentit enfin à faire fa première communion
î mais elle n’entroit pas bien encore dans l’ ef-
prit de ce redoutable myftère. En approchant de
la fainte. table elle dit à fon frère, en lui donnant
un coup de pied : « Et to i, n’es-tu pas afièz vieux
» pour communier aufli ? »9
Une autre parente, madame de Neuillant, mère
de la maréchale de Navailles, la prit aufti chez
M A I
e lle , mais la traita bien moins en parente qu’en
domeftique. Françoife fut chargée des plus vils
details delà maifon. « Je commandois dans la bafle-
» cour, 99 a-t-elle fouvent dit depuis $ « c’eft par ce
»a gouvernement que mon règne a commence. >®
« Tous les matins 3 dit M. de la Beaumelle, un
» loup fur le vifage pour conferver le plus beau
» teint du monde, un chapeau de paille fur la tête,
9® un panier dans la main, une gaule dans l’ autre,
99 Françoife alloit garderies dindons, avec ordre
99 de ne toucher au panier où étoit le déjeuné,
|jj Qu’après avoir appris cinq quatrains de Pibrac :
C ’étoit le plan d’éducation de Gorgibus dans
Molière :
P rene z -moi tous les jo u r s , au lieu de ces fo rnette s ,
Les quatrains de Pibrac & les doétes tablettes
D u con feiller Ma thieu ; l ’o u v ra g e eft de v a le u r ,
E t plein de beaux didtons à réciter par coeur.
Les Urfulines de Niort la gardèrent quelque
tems par charité, puis fe refroidirent, îfc la rendirent
à fa mère. Madame de Maintenon ne fe fou-
vint que du bienfait, & ne fongea qu’à s’acquitter
par des bienfaits envers ces religieufes. Mes en-
fans , difoit-elle à ce fujet aux élèves de Saint-
C y r , faifons toujours le bien : il eft rarement perdu
devant les hommes, & jamais devant Dieu.
Non-feulement dans fa puiflance & dans fa grandeur
elle ne rougit jamais de l’état d’humiliation
ou la pauvreté l’avoit mife autrefois, mais elle ai-
moit a en rappeler le fouvenir, & trouvoit bon
qu’on le lui rappelât.
« Il parut un jour dans fon antichambre un
99 homme qui fendit la fou le , & q u i, l’abordant
>9 avec une refpettueufe hardiefle, lui dit : Il y a
9® quarante ans, Madame, que je ne vous ai vue,
»9 & vous ne pouvez me reconnoître} mais vous
» ne pouvez m’ avoir entièrement oublié. Vous
99 fouvient-il qu’ à votre retour des îles vous vous
99 rendiez tous les jours à la porte des Jéfuites de
®9 la Rochelle, où......les jeunes Pères diftribuoient
99 de la foupe aux pauvres...... Je vous diftinguai
9® dans la foule des mendians...... Je fus frappé de
99 la noblefle de votre phyfionomie : vous ne me
®9 parûtes point faite pour un état fi vil : j’obfervai
9® votre embarras a vouspréfenter pour avoirpart
>9 a 1 aumône , & j’en eus pitié. C ’eft donc vous ,
9® Monfîeur, lui dit madame de Maintenon, qui
99 pour m’épargner la honte d’être confondue avec
99 ces infortunés, fîtes apporter la foupe chez moi,
99 en me témoignant tant de regret,d’être borné à
99 un fi médiocre fecours ! Vous me fauvâtes dou-
99 blsment la v ie , & en me donnant cette nour-
9> riture, & en compâtiftant à ce que je fouffrois
*> d’être obligée de mendier publiquement. 99
Elle lui demanda ce qu’elle pourroit faire pour
lui 9 & le fit entrer dans fon cabinet afin de lui
épargner à fon tour l’humiliation d’expofer tout
haut fes befoins. C et homme, alors maître d’é cole
de village, lui demanda une cure. Madame
de Maintenon, toujours jufte & pietfie dans fa
reconnoiflance, lui dit : « Je ne me mêle point
99 de la difpenfation des bénéfices, & je ne puis
99 juger fi vous êtes propre à être curé 5 je fais
99 feulement que vous avez,une des vertus de cet
99 état, la charité. ®» L’ entretien finit par le don
qu’elle lui fit d’une bourfe de cent piftoles, &
par la promette de la remplir chaque année d’une
pareille fomme, fans lui ôter d’ ailleurs l’efpoir
d’ obtenir l’objet de fa demande.
Le Roi entra chez elle. Sire , lui dit - e lle ,
voilà mon père nourricier j elle lui conta cette
a v e n t u r e f in i t fon récit par ce mot : « J’ai été
99 pauvre & orpheline, vous ne ferez pas furpris,
93 Sire, que je vous importune quelquefois en fa-
»3 veur des pauvres & des orphelins. 33
Tout ce qui étoit dans l’antichambre & qui
avoit entendu à quel titre cet homme avoit réclamé
les fouvenirs de madame de Maintenon
avant d’être introduit dans le cabinet , « fut fur-
33 pris de n’àppercevoir ni honte , ni oftentation,
33 ni chagrin fur le vifage de cette Dame, & ma-
•9 dame de Maintenon le fut fans doute de ce lâche '
99 étonnement : il n’eft rien de grand pour les grands
*3 coeurs. 39
C ’eft ici de la déclamation & de l’ enflure : l’é- !
tonnement de l’aflïftance étoit fort naturel & n’a-
voitrien de lâche. L’étonnement, en pareil cas,ne
prouve pas néceffairement qu’ on fe fente incapable
de la même vertu ; il peut prouver feulement
qu’on fait qu’elle eft rare & difficile dans de certaines
circonftances. Mais madame de Maintenon
n’ étoit pas tout-à-fait dans ces circonftances qui
rendent fi amer à un parvenu, à un fils de la fortune
le fouvenir de fa première baffeffe. La petite-fille
de Théodore-Agrippa d’Àubigné, tombée dès le
berceau dans la pauvreté, réduite à la mendicité,
devient par ce contrafte même un grand objet
d’intérêt, & cet intérêt ennoblit tout.
. Madame de Maintenon fe reffouvint d’elle-
même, dans fa grandeur, qu’ un jour où , pauvre
encore, mais déjà répandue dans le monde, elle
devoit recevoir chez elle quelques femmes de
qualité, une blanchiffeufe lui avoit loué des meubles
& avoit refufé le paiement du loyer. Hon-
teufe de s’en reflouvenir fi tard, elle fait chercher
cette femme. On la trouve avec peine dans un
galetas, accablée de vieillette & d’ infirmités,
prête à vendre fa dernière chaife pour avoir un
dernier morceau de pain. Madame de Maintenon
v a ja voir : « Je ne fouffrirai pas, d it - e lle , que
33 celle qui m’ a fi généreufement prêté fes meu-
99 blés , foit réduite à vendre ce qui lui en relie. 33
Elle lui allure une penfion dont elle a grand foin
de lui avancer le premier quartier. Ses bienfaits
alloient fouvent chercher ainfi dans les réduits
obfcurs des malheureux furpris de n’être pas oubliés.
Tels étoient les plaifirs qui la confoloient
de la grandeur.
, « j ’ allai un jou r a v ec e l l e , dit une de fes é lè -
39 v e s , chez la veuve d’un major de place. Cette
39 femme, ne fachant pas que c’étoit madariie de
3® Maintenon , fe leva un inftant, & fe ralfit, lui
39 contant fes malheurs. Je lui dis : N’ avez-vous
99 pas été chercher quelques fecours auprès de
39 madame de Maintenon ? Oui, répondit-elle: un
99 valet-de-chambre m’ a promis de lui donner un
39 placet.On dit que c’ eft une Dame très-charita-
33 b lé , & qui reçoit fort bien les pauvres ; mais
33 je n'ai pu l’ aller voir : j’ ai l’eftomac rétréci pour
93 n’ avoir pas mangé depuis deux jours. Madame
39 de Maintenon ne put retenir fes larmes, lui
33 donna une bonne fomme d’ argent, & depuis
39 l’ aflifta jufqu’ à fa mort fans fe faire connoître. »
Charitable & bienfaifante lorfqu’elle n’avoit à
prendre que fur elle - même, elle n’étoit point
prodigue de fon crédit qu’elle croyoit ou affec-
toit de croire très - borné quand on le croyoit
fans bornes. Le P. de la Neuville, jéfuite, la
reconnut un jour à la modeftie avec laquelle elle
en parloit. Il témoignoit devant une femme que
le hafard lui avoit fait rencontrer dans le monde,
le defir d’obtenir une audience de madame de
Maintenon. Que lui voulez-vous ? demanda cette
femme. Je voudrois, dit-il, lui demander un emploi
pour un de mes frères. Vous vous adreffez
mal, reprit-elle ; elle demande quelquefois au
Roi des aumônes pour des indigens, mais jamais
des grâces. Elle a tant de crédit ! répliqua
le jéfuite. Pas tant que vous croyez. — Ah ! c’eft
à madame la marquife de Maintenon que j’ai
l ’honneur de parler$ elle feule peut fe defier de
fon crédit.
A Paris & à la cour on l’exagéroit, au contraire
: on fuppofoit qu’elle gouvernoit le Roi j
on difoit de lui en trois mots latins ce qui dévoie
être entendu en deux mots français : Mente non
agit. On publia des eftampes ou l’on voyoit le
Roi & madame de Maintenon fe donnant la main,
& foutenant un globe fous lequel plioient les
épaules d’Atlas , avec ces mots : Nous maintenons.
Scarron, premier mari de madame de Maintenon,
avoit avili par le burlefque un talent
affez original & un nom ancien, autrefois Fef-
peélé. Un de fes ancêtres avoit fait au douzième
fiècle, des fondations pieufes à Montcallier dans
le Piémont. Ses pères étoient depuis long-tems
dans la robe 5 fon trifaïeul eft célébré dans la
Henriade, au nombre de ces magiftrats royaliftes,
dont la vertu étoit fufpeéle & redoutable aux
Guifes & aux Seize. Son p ère, confeiller au parlement,
nuifit à fa fortune pour avoir réfifté au
cardinal de Richelieu, comme fon fils s’en plaint
dans des vers burlefques. L’enjouement de Scarron,
la gaîté de fon humeur, l ’aimable facilité
de fon caractère, la pitié même de fes maux, atti-
: roient chez lui une fociété choifie, fur laquelle
| madame Scarron s’ acquit bientôt un doux empire
■ par la nobleffe de fon ton , le charme de fes ma*