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des Indes , et de vaisseaux marchands. Après que le pilote-
côtier et les visiteurs eurent quitté nos navires , et que nous
eûmes dépassé la troisième balise, on tira le canon, et nous
nous souhaitâmes réciproquement un bon voyage.
Le 3i après-midi, nous traversâmes le canal qui sépare la
France de l’Angleterre.
Le 3 janvier 1772 , nous nous trouvâmes dans les mers d’Espagne
, et l’eau, qui jusques-là avoit paru verte , prit un ton bleu
obscur ; nous commençâmes aussi à nous appercevoir qu’il fai-
soit plus chaud.
Le 4 , au repas du soir, on servit sur la table des officiers, des
crêpes, espèces d’omelettes faites avec de la farine et des oeufs.
L ’ aumônier ( 1 ), en qualité de maître pâtissier, avoit fourni la
farine au maîtfe-d’hôte l, et soit par mégarde ou par bêtise, il
y avoit mêlé presque la moitié de blanc de céruse , réservé dans
une cruche pour peindre le vaisseau, et enfermé dans.l’ armoire
à la farine. Le poids seul devoit suffire pour empêcher une
pareille méprise. Les crêpes étoient minces et brûlées dans diffé-
rens endroits , et sur-tout d’un côté, en outre aussi blanches
et aussi sèches, que si l’on n’y avoit pas mis de beurre. On
accusa le cuisinier de lésinerie; il fut âppellé et fortement
réprimandé. Cependant la plus grande partie des officiers se
partagèrent une crêpe, à laquelle on trouva un goût très-doux,
Sans aucun indice de pcàson. Le reste fut distribué entre le
maxtre-d’hôte'l et les mousses. Enfin, vingt personnes en mangèrent;
elles agirent différemment sur les individus. Les mousses,
par exemple , les rendirent tout de suite., comme ayant sans
doute les nerfs plus délicats et plus faciles à irriter ; quelques-
uns pendant la nuit, et les autres pendant tout le jour suivant. Le
blanc de céruse, d’un gris obscur, déposoit au fond des pots. 1
(1) L’atiffiotiier deg Mtirffens liol- quails nomment Damme, Note du re~
lajadois eat uji ministre protestant , dacteur.
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Quoiqu’on attribuât ces indispositions au v e r t-d e -g r is de
quelques casserolles et au mal de mer , la vue du sédiment
m’inspira l'idée de faire une épreuve. J’en mis donc un peu
sur des charbons ardens, que j’animai encore avec le soufflet.
Je ne tardai pas à voir du plomb fondu ; ceci me rappella que le
vinaigre de France , dont nous nous étions servis à table, nous
avoit paru très-doux en mangeant les crêpes, ce qui ne se pou-
voit attribuer à la légère dose de sucre dont elles étoient saupoudrées.
Il fallait donc qu’on y eût employé un ingrédient
imprégné de plomb. L’ expérience me prouva la vérité de mes
soupçons. Ceux qui vomirent dès le soir, furent complètement
guéris, comme les jeunes enrôlés et quelques officiers , qui, 11e
ressentirent plus aucun mal-aise. Sans doute qu’ils avoient
mangé les premières crêpes qui oontenoient moins de blanc de
céruse que les dernières. Quelques-uns qui furent plus maltraités,
méritant un détail particulier.-
Le capitaine , après avoir vomi, se porta bien pendant deux
jours ; mais il eut ensuite une colique , qu’aucun émollient
externe , ni les tisanes , ni les remèdes ne purent calmer. Elle
dura deux jours ; il n’y eut qu’une dose d’opium liquide qui
l’en délivra. Il é ta it, pour ainsi dire, tombé en éfhysie , et
sa toux dura plusieurs jours.
Mais l’aumônier du vaisseau, et moi, fûmes les plus maltraités.
Le 5 au matin , mon vomissement commença, et me prit trente
ou quarante fois dans la journée. Je rendis environ cinq cuillerées
d’un sédiment brun. J’avois mangé une des premières crêpes
du plat, conséquemment une des dernières faites, qui contenoit
bien plus de blanc de céruse que celles de dessous. Je ressentais
en même .tems un mai de tête et des coliques , peu fortes
à la vérité. Le même jour mes gencives enflèrent de la partie
inférieure à la supérieure , il y vint même de petites bosses qui
renfermoient sans doute du blanc de .céruse ; elles étoient fort
sensibles. Les glandes de la bouche'enflèrent comme celles du