
Je trouvai plusieurs causes à cette épidémie : lé tems etoit
épais, humide et nébuleux à un tel point, que personne n’osoit
aller d’un bâtiment à un autre sans boussole , parce qu il n y
avoit ni lanterne, ni fanal dont la lumière fût capable de percer
le brouillard ; de plus il règne un grand désordre dans l’intérieur
du vaisseau , avant qu’il mette à la voile ; mais ce qui contribue
plus que tout le reste à augmenter le nombre des malades, c’est
incontestablement la prodigieuse quantité de soldats à_. demi-
morts de faim, scorbutiques et mal constitués , que les Vendeurs
de chair humaine entassent dans le navire. Ces malheureux,
non accoutumés à la vie qu’on mène à bord> ct à l’air
froid et humide de la mer, ne tardent pas à être attaqués de
fièvres putrides , et les communiquent à tout l’équipage. Le
défaut d’habits et l’ ennui, accélèrent encore les progrès de la
maladie.
Gomme ces infâmes marchands d’hommes font le malheur des
étrangers nouvellement arrivés , en les attirant chez eux , et en
les vendant ensuite pour les Indes orientales, j’ai cru devoir en
dire deux mots, pour les faire connoître à ceux qui se proposent
de voyager en Hollande. Ce sont des bourgeois , qu’on nomme
Kostkoudsrs, et qui ont le droit de donner à manger et à loger,
au prix courant. Cette espèce de commerce leur sert à en couvrir
un autre bien criminel. Leurs cruautés ne parviennent
jamais à la eoimoissance du gouvernement, ou au moins ne sont
jamais punies. Non-seulement ils ont des valets qui épient les
nouveaux débarqués, mais ils mettent dans leurs intérêts , les
charretiers qui transportent les effets de l’étranger, du navire
dans une de ces auberges, où il se trouve à l’instant enfermé
dans une chambre, avec une quantité d’autres infortunés comme
lui. Ils sont quelquefois plus de c en t, mal nourris, vendus pour
servir comme soldats de la compagnie des Indes , et conduits à
bord au moment où le vaisseau va mettre à la voile. Le marchand
reçoit deux mois de leur paie, et un effet nommé transport,
de la somme de 100, i 5o ou 200 florins. Pendant les deux
ou trois mois que les pauvres étrangers passent chez lui en captivité
, ils gagnent le scorbut, la consomption, et tombent dans
une profonde mélancolie, ce qui se reconnoît aisément quand
ils sont à bord, par leurs visages pâles, leurs lèvres bleues-, et
leurs jambes enflées; on les distingue sans peine des hommes
frais et sains. On nomme transport ou billets d’avances, les bons
que la compagnie des Indes orientales donne pour une certaine
somme à quiconque s’engage à son service , pour pouvoir s’équiper;
mais la Compagnie ne paie aucune somme qui n’ ait été préalablement
bien gagnée : ainsi, quand le porteur d’un pareil billet
meurt avant d’en avoir gagné le montant, il n’y en a qu’une
partie de payée, le reste est perdu. C’ est pourquoi on ne les
négocie qu’avec un désavantage proportionné à la mauvaise santé
du propriétaire. Il faut ordinairement sacrifier la moitié- de la
somme.
C’est ainsi qu’une foule d’innocens et même de personnes bien
pées , tombent dans les mains de ces marchands de chair humaine,
et se trouvent contraintes de partir comme soldats , pour
les Indes orientales ou occidentales. Leur engagement est pour
le moins de cinq ans. A la vérité, tous les soldats de la compagnie
ne sont pas recrutés par surprise : quelques-uns contraints faute
d’occupations ou de moyens de subsister, vont de leur plein
gré chez ces enrôleurs, qui les nourrissent et les logent, maïs
en même tems les enferment pour s’assurer de leur personne,
jusqu’à ce qu’ils puissent être conduits à bord. Au reste, il n’en
est pas moins vrai qu’une foule de malheureux sont victimes de
leur inexpérience , et que , sans- autoriser proprement ces h6rJ
reurs , le Gouvernement ne laisse pas d’en profiter. Les directeurs
de la compagnie sur-tout, ne peuvent se disculper de
l’approbation tacite qu’ils y donnent, en feignant d’ignorer«de
quelle manière les vendeurs d’hommes leur en procurent. Au
moment de la revue, si quelqu’un de ces recrues veut faire ses
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