
1774- V O Y A G E
de fusil des colons, et tous les animaux carnassiers qui en
dévorent cependant une grande quantité. Les bestiaux des habitations
auprès desquelles elles ont passé ne trouvent plus rien
à manger, pas même d’ eau pour boire. Les paysans sont obligés
de veiller Jour et nuit, pour défendre leurs moissons, dont elles
ne laisseroient pas un épi.
Le 24, nous campâmes et passâmes la nuit auprès d’une
fontaine, au milieu des champs.
Le 26, nous eûmes des montagnes à franchir pour aller à
Kreuts-Fonteyn, chez Paul Kerste; nous nous remîmes en che-,
min dans l’après-dînée ; mais à peine avois-je galoppé l’espace
de quelques ^portées de fusil, que lés pieds de mon cheval s’enflèrent
au point qu’il ne put bouger de place, et je fus obligé
de l’ abandonner à son malheureux sort : on me dit que probablement
il avoit été mordu d’un serpent très-venimeux, long
d’un quart d’aune suédoise : ces serpens sont très-nombreux sur
les bords d’un petit ruisseau qui coule au bas de l’habitation,
et où l’on mène boire les chevaux.
Ici commence la partie du milieu de Rogge-Veld, qui m’ est
séparée du reste de la contrée, que par quelques côtes de montagnes.
Le 26 , nous logeâmes chez Cornélius Kutsé.
Il n’y avoit pas long-tems que son fils avoit été mordu à la main
par un serpent très-venimeux; on avoit d’abord scarifié la partie
■ endommagée, et on y avoit appliqué des ventouses pour attirer le
poison; il avoit ensuite trempé sa main dans de l’ eau de vitriol
qui étoit devenue toute noire ;' on y mit successivement un
emplâtre d’oignon et une autre de sang de tortue : ce sang
caillé et sec , une fois posé sur la plaie, se liquéfie et fermente;
peut-être le venin du serpent a-t-il une action plus forte sur
le sang de tortue que sur le sang humain. : ce sang ainsi liquéfie
et subtilisé, attire à lui le venin.
Tous les colons qui passent par Rogge-Veld ou par Mosîertshoek
, pour aller au Cap , paient une somme annuelle pour
l’entretien du chemin- : le colon dont l’habitation est la plus
enfoncée dans le pays, a ordinairement peu de fortune, et
beaucoup de rétributions à pa’yer.'
Nous rencontrâmes un nouveau détachement qui avoit poursuivi
les Boschi-smans dans cette partie de Rogge-Veld; il étoit
composé de quatre-vingt-dix personnes, parmi lesquelles il
y avoit quarante-sept chrétiens ; ils avoient- tué ou pris deux
cents trente Boschismans : un colon seulement étoit, mort d’un
coup de flèche.
Le troisième détachement envoyé vers la montagne des neiges,
avoit tué quatre cents Hottentots : sept personnes de ce détachement
avoient reçu des coups de flèches , sans qu’aucune y
ait perdu la vie.
Ces expéditions sont vraiment cruelles , et d’autant plus
affreuses qu’elles ont pour but de venger quelques larcins qu’on
doit regarder comme une légère représaille de la part des Hottentots
: ils ne font réellement que suivre de bien loin les
exemples que leur ont. souvent donnés les colons. A la vérité ils
enlèvent quelquefois tout le troupeau d’un villageois , et tuent
même le berger. Ils chassent ensuite devant eux les bestiaux
volés et leur font faire des marches forcées jour et n u it, jusqu’à
ce qu’ils soient dans un lieu sûr. Ils tuent les bêtes qui ne peuvent
suivre les autres , les font rôtir et les mangent tout en fuyant.
Ils envoient des espions sur les hauteurs pour observer si on les.
poursuit. Les espions sont relevés par d’autres, et ■ viennent
rendre compte à la horde fugitive. Quand elle se .croit menacée
, elle fuit sur des rochers escarpés. Mais s’ils sont assez heureux
pour conduire leur proie dans un asyle où les colons ne
puissent les déterrer, ils y construisent des huttes ( 1 ), y forment
un kraâl ou village , et y restent jusqu’à ce qu’ils aient mangé
(1) Avec des tapis ou des buissons de masembryanthcmum.