
3g8 1773. S E C O N D V O Y A G E
Ces précautions sont indispensables quand il s'agit de bivouaquer
au milieu de ces campagnes, dont les sauvages et les
bêtes féroces, semblent s’être partagé l’empire ; les premiers
pendant le jour, et les autres pendant la nuit.
Le i 5 au matin, je m’avançai dans, la forêt pour voir-si les
différentes espèces de bois qui la composent portoient des fleurs ;
mais la saison n’étoit pas encore assez avancée. Je trouvai la
forêt si épineuse et si épaisse , qu’il n’y avoit pas moyen de s’y
frayer un chemin : ses babitans ne contribuoient pas a la rendre
très-sûre. Nous vîmes, auprès des mares, des traces toutes
fraîches des pieds des buffles, de la fiente d’éléphans, de
licornes et autres animaux.
Les zèbres, les couagas, les condomas et les gazelles (1)
restent dans la plaine et vont par grandes troupes.
Nous continuâmes de marcher jusqu’à Swarts-Kops-rivier,
à peu de distance de la chaudière à sel ; nous y restâmes pendant
la- plus grande chaleur du jour. Nous jouîmes ici d’une
des plus belles vues du monde.
La chaudière à sel de Swart-lvop etoit alors plus belle que
pendant tout le reste de l’année. C’est une vallée longue d’un
quart de mille suédois, large d’un demi-quart. L ’eau , dans le
milieu avoit à peine- deux aunes suédoises de profondeur. Des
bois garnissent les hords de cette vallée , qui est plus ovale que
ronde. Je mis une demi-heure à tourner tout autour en marchant
très-vîte. Le terrain du voisinage est sablonneux , mais au-delà
on trouve différentes portions composées d’une ardoise pâle,
feuilletée.
Cette chaudière , comme je l’ai déjà observé , n’est pas très-
profonde; une couche unie de. sel en tapisse le fond ; la surface
ressemble à un étang couvert d’une glace claire au milieu
de l’ été et sous des climats brûlans. L ’eau a une salure dépouillée 1
(1) Equus zebra , equus zvagg'a, capra Soreas, capra strepsiceros.
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de toute espèce d’amertume : à mesure que, la chaleur du jour
la fait évaporer , un sel fin se cristallise sur sa surface, et forme
des espèces d’écaillës qui tombent ensuite- au fond. Le vent
les pousse quelquefois 'sur les bâtésj et si on les recueilloit, on
auroit un sel extrêmement fin et pur.
Cette chaudière commence à être à sec du côté du nord-est ;
elle est un peu plus pleine vers le sud-ouest , parce qu’elle
penche de ce côté. A l’ouest elle s’alonge en s’étrécissant comme
un long canal.
Les naturalistes ne seront pas moins étonnés que nous-mêmes
de trouver un étang aussi grand et aussi riche en s e l, à une
grande distance de la mer et sur une hauteur considérable
relativement au niveau de celle-ci. Ce sel ne provient donc pas
de l’eau ded’Océan , mais de la pluie qui tombe au prinLems,
et qui s’évapore dans l’été. Tout le fond du pays' est salé; la
pluie entraîne ce sel du haut des éminences voisines, et l’eau
se rassemble dans la vallée inférieure. Elle s’évapore d’autant
plus lentement, qu’elle est plus imprégnée de sel. C’est ici
le magasin de tous les colons qui habitent Lange-Kloof, Kam-
debo, Kankoa et les environs.
On m’a encore parlé de deux autres chaudières à sel peu
éloignées d’ic i, mais qui ne produisent rien avant d’être- entièrement
desséchées. ■
Différens insectes s’étoient noyés dans cette eau salée : je
recueillis ceux' que je n’avois pu me procurer vivans sur les
buissons. Nous ne restâmes là que peu de tems , car nous craignions
sans cesse de.voir sortir de ces taillis quelque lion incivil
, et plus friand qu’ami des savans.
Nous avions laissé en partant quelques Hottentots pour
garder nos boeufs tandis qu’ils paissoient : à notre arrivée ces
fidèles gardiens dormoient : profondément , aussi peu inquiets
pour eux-mêmes que pour les bestiaux.-
Nous fîmes encore un petit bout de chemin avant la chute
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