
i774. • R Ë T O U R A U C A P .
C H A P I T R E I L
R e t o u r au Cap du 3 au iG mai.
L e 3 au matin nous nous disposâmes à quitter cet endroit
vraiment glacial, et à descendre la montagne. Nous aurions
bien désiré pénétrer plus avant dans le Rogge-Veld; mais nos
boeufs de trait étoient absolument épuisés : leur maigreur exci-
toitla compassion, et plusieurs avoient les pieds si mal-traités
qu’il leur auroit été impossible de marcher plus long-tems sur
cette montagne parsemée de cailloux tranchans.
Au moment de notre départ il y avoit encore de la glace épaisse
comme un écu sur le sommet de la montagne.
On descend par un chemin pratiqué sur des éminences plus
o u moins escarpées : non-seulement il fallut enrayer les roues; de
derrière avec des chaînes de fer , mais nos Hottentots retinrent
nos voitures avec des cordes, pour les empêcher de verser o.u
de rouler sur le dos des boeufs. La première descente ou colline ,
qui est la plus escarpée , se nomme Uit-Kijk ( î ) , et l’autre
Hauteur de Maurice. ■
Sur la cime de la montagne nous avions éprouvé un froid
très-vif • mais" il diminuoit à mesure que nous descendions :
après trois heures de marche , arrivés dans la plaine de Carro ,
la chaleur nous parut insupportable.
R nous fallut traverser une plaine vaste et stérile avant de
- trouver un endroit habité. Mais-nous avions eu soin, à la dernière
ferme , de prendre des provisions en conséquence. Nous
continuâmes notre marché à travers un désert brûlant et dans
lequel un moineau n’auroit pas trouvé de quoi appaiser sa soif.
(i) Tour, ou pilutét belvedère.
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Nous n’y vîmes d’autre être vivant que quelques rats cachés
dans des trous, qui probablement n’avoient pour toute nourriture
que les feuilles juteuses de certains buissons.
Les terriers de ces rats s’enfoncent obliquement dans la terre,
et l’ouverture est toujours tournée du côté de l’orient ; ils en
sortent au lever du soleil : nous en vîmes plusieurs qui avan-
çoient la tête hors de leur trou. J’essayai de les tirer avec nos
meilleurs fusils ; mais ils se cachoient avec tant d’agilité, en
appercevant le feu de l’amorce , que la'balle n’avoit pas le
tems de les atteindre. Dépité de brûler inutilement ma poudre ,
et sur-tout très-curieux de me procurer un échantillon de
ces petits quadrupèdes , je m’avisai d’un expédient très-simple
qui mit toute leur agilité en défaut} ce fut d’adapter un morceau
de papier devant le bassinet de mon fusil : je m’en procurai
glors autant que j’en voulus.
Le 4 nous partîmes de l’habitation de Meyhurg, située au
pied de la montagne, et arrivâmes au défilé de Goud-
Bloem (t).
Le 5 à Ongeluks-rivier (2), en traversant de petites vallées
de montagnes. Cette rivière doit son nom à la mort tragique
d’un villageois entièrement dévoré sur ses bords par un lion.
Nous attendîmes deux jours un colon qui se proposoit d’aller
au Cap , et qui nous avoit promis le secours de ses boeufs pour
aider les nôtres à traverser la pénible campagne de Carro, que
nous avions alors pour perspective. Fatigués de l’attendre dans
un endroit où les hommes et les bestiaux couroient risque de
périr de faim et de soif, nous nous décidâmes à entreprendre
sans aucun secours étranger , une marche aussi longue que
pénible : elle dura depuis onze heures du soir jusqu’au lendemain
matin , que nous arrivâmes à un petit ruisseau qui coule
(1) Fleur d’or. (2) Rivière du malheur.
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