
réclamations , le directeur , peu scrupuleux , dit qu’un pareil
individu n’est pas assez relevé pour refuser de servir la compagnie.
La direction a donc toutes les facilités possibles de réprimer
ces actes aussi violens qu’illégaux, en prenant des informations
bien exactes au moment où se fait la revue à bord. Souvent
on entend ces malheureux se plaindre d’avoir été volés-par
le marchand d’hommes , qui leur prend leurs habits’ et autres
effets, et qui, les dédommage par deux ou trois paires de’bas
de laine, un pantalon et une jaquette de toile à voiles, seize
livres de tabac,.et un petit barrif d’eau-de-vie. A leur arrivée
dans le bâtiment, on leur vole la moitié de ce petit butin , qui
ne doit pourtant pas exciter l’envie. Alors ils-;sont obligés de
rester, dans les plus grands froids, tête et pieds nusts, sans avoir
à peine de quoi se nourrir.
L ’-équipage , -ainsi mal habillé et découragé , forcé-, dans' des
occasions peu importantes , à un travail pénible, doit-naturellement
être exposé à des maladies de-toute espèce-; aussi dès Jes
commencemens même de la navigation , la plupart des matelots
et des soldats sont-ils déjà hors de service, ce qui cause de
grandes pertes à la compagnie. Elle pourroit éviter,,cet inconvénient
en établissant, auprès de son chantier, une espèce-d’auberge,
où les pauvres qui,voudraient ; entrer à son. service,
seraient nourris et entretenus , jusqu’au moment du départ des
vaisseaux ; ils acquitteroient ces petites avances , moyennant
une retenue sur leur paie, -et l’on n’enrichiroit.pas des scélérats
qui violent toutes les loix -de l’humanité,
-Je ne connois pas d’endroits où l’on vole aussi fréquemment
et d’une manière plus audacieuse, que sur les navires de la compagnie
des Indes, pendant qu’ils sont au TeXel. On force les
coffres pendant la n u it, et l’on n’y laisse rien , au point que
le propriétaire n’a rien pour changer. On vole les hamacs et les
matelas , les souliers , les bonnets de nuit à ceux qui dorment;
certains malades ont perdu leurs culottes et leurs bas, sur
lesquels ils étoient cependant couchés. Quand ils se.lèvent, ou
qu’ils se rétablissent, ils sont obligés de marcher la tête decouverte
, sans souliers, et à demi-nuds, quelquefois meme de
coucher sur le pont, quand on leur a pris leur lit.
Tant que l’on est à l’ancre dans la rade duTexel, on ne touche
pas aux médicamens , parce que la ville fournit tous les remedes
dont on peut avoir besoin, et les malades sont entre les deux
ponts, sur l’avant du vaisseau ; mais des qu’on a gagné au
large , on les transporte sous le premier pont, parce.qu alors le
cabestan ne sert plus pour l’ ancre. D’un cote , on attache fortement
les* coffres’ à remèdes ; de l’autre, on fait un lit de planches
pour ceux qui n’ont pas de hamac ; il dure tout le voyage.
Le médecin delà compagnie des Indes,orientales, M: Famars ,
âvoit bien recommandé , pour prévenir la communication des
maladies .sur les bâtimens , que les gardes-malades eussent toujours
devant la bouche une éponge humectée de vinaigre , qu’ils
s.e-lavassent avec de là même liqueur , et que ceux qui se por-
toient bien, bussent de l’eau de tamarin, et se servissent d’esprit
de cochlearia, q u e les. convalescens prissent de la teinture
de squine (1) , et mangeassent du mouton frais ; que. l’on arrosât
de vinaigre les cloisons de séparation du vaisseau. Il avoit encore
prescrit une fôul-e d’autres précautions qui furent insuffisantes
pour arrêter l’épidémie , qui ne cessa, qù’après avoir attaqué
plus ou moins fort les malheureuses victimes de l ’avidité des
marchands de chair humaine.
Le 3o décembre , à trois heures après-midi, nous partîmes
du Texel , avec un bon vent d’est , qui cqntinuoit en augmentant
depuis vingt-quatre heures. Le capitaine Morland , qui
montoit le vaisseau commandant Bovenlcerker -polder , donna
le signal de lever la première et la.dernière ancre. Notre flotte
étoit .composée, d’un grand nombre de bâtimens de la compagnie
f i) Smilax china,