
Je leur ai vu pousser la méfiance jusqu’à casser des ceufs que
nous avions apportés de Batavia, pour-s’assurer si l’on n’y avoit
rien caché. Ils visitent quelquefois même dans le chapeau des
Européens, qui ne peuvent'recevoir des lettres cachetées; il
faut qu’elles soient lues par un interprète, qui est-également
chargé d’examiner les autres manuscrits. Quoique les ouvrages
relatifs au christianisme soient sévèrement prohibés ,,sur-tout
ceux ornés d’estampes , on permet aux Européens un certain
nombre de livres pour leur amusement : les livres latins, fran-
çois, suédois et allemands passent plus aisément que les autres,
parce que les interprètes ne les entendent pas.
■ Les friponneries des Européens, leurs ruses pour introduire
des marchandises de contrebande, justifient à certains égards
là méfiance et les'précautions des Japonois. Joignez à cela les
impertinences et les procédés indécens de certains officiers ;
leur ton altier et leur sourire ironique ont encore augmente la
haine et le mépris que leur conduite doit naturellement inspirer
aux.étrangers. Car cèux-ci s’ apperçoivent bien de la grossièreté
de ces officiers entre eux, et de la maniéré brutale .dont ils
traitent les matelots qui leur sont subordonnés.
Cette conduite aussi impolitique qu’indécente, a considérablement
restreint le "commerce des Hollàndois et augmenté d e
plùs'en plus la méfiance des Japonois ; car il seroit maintenant
bien difficile de tromper la vigilance de leurs visiteurs :
de peur qu’ils ne fassent' connoissance et ne s’apprivoisent trop
avec lès étrangers , on a soin de les changer de tems en
teins. ■
Mais toutes ces entraves ne sont établies que pour empêcher
la contrebande ; car. le; commerce des marchandises permises
est absolument libre. On peut même passer pour soi les marchandises
dont le Gouvernement défend le débit, pourvu toutefois
que vous n’ayez.point l’air d e ..vouloir, y mettre du.mystère.
Les particuliers ne peuvent point acheter de camphre ni
d’écailles de tortues", la Compagnie s’ é ta n t exclusivement réservé
ces deux articles.
Ôn ne se borne pas à faire passer en contrebande, les 'marchandises
absolument prohibées.; mais, on en fait de meme
pour'celles qui ne doivent être vendues qu’à.la. folle enchère,
parce que ces espèces de ventes ne se font que par échangé , et
les Européens sont obligés de recevoir en paiement, des porcelaines
ou des ouvrages en lack , qu’on transporte annuellement
en si grande quantité à Batavia , qu’il faut souvent les donner
au dessous de ce qu’ils ont coûte ; tandis que les marchandises
vendues secrètement se paient en or , et beaucoup plus
cher.
Il y a quelques années que la contrebande etoit très-considérable*;
et; alors elle se faisoit, en grande partie, par les interprètes
, qui paSsoient les marchandises de la factorerie à la ville :
on,. en.jettoit aussi beaucoup par-dessus les murs de Desima .
des barques japonoises venoient recevoir les ballots : mais un
grand nombre de naturels et d’interprètes ont été surpris, et la
. plupart punis de mort.
Les Hollàndois pris en fraude , paient des amendes considérables
, qui ont été augmentées depuis peu ; on les a portées a
deux cents catches de .cuivre, et le délinquant est banni du
royaume à perpétuité ; et si la fraude ne se découvre qu apres
le départ du bâtiment, on défalque dix mille catches de cuivre
sur le compte de la Compagnie : le capitaine et le chef en
paient chacun deux cents (1).
On ne visite point les marchandises de la Compagnie à leur
arrivée mais on les conduit aussi-tôt dans le magasin où les
ti) Voyez la notice des rnarchan- histoire du Japon, édit, in-12. Note du
dises prohibées au Japon du tems de rédacteur.
Koempfer, t. I I , p, 226 et 280 de son