
De Rrakatama-Valley nous descendîmes jusqu’au rivage de
la mer, qui est couvert d’une immense quantité de buissons et
même de bois de haute-futaie, habités-par des troupeaux de
buffles , qui paissent l ’herbe des environs.
Après-midi, dès que la grande chaleur fut passée, nous fîmes
une chasse avec quelques-uns de nos Hottentots, pour tuer les
buffles nécessaires à l’approvisionnement de notre nombreuse
suite. Un troupeau composé de cinq à six cents bêtes (i jpaissoit
à peu de distance dubois : comme ils avoient la tête baissée en
mangeant, nous n’étions plus à trois cents pas d’eux quand ils
la levèrent et nous fixèrent : il falloit être déjà un peu familiarisé
avec ces animaux pour ne pas -craindre de ‘trop fixer
leur attention : afin de ne point les effrayer , -nous Testâmes un
moment tranquilles ; ils se remirent paisiblement à brouter :
nous profitâmes de leur insouciance pour mous en approcher
davantage : à la distance de quarante pas ils nous regardèrent
encore'd’un air fier et intrépide. Nous crûmes qu’il étoit tems
de les mettre en joùe : six seulement de notre bande, les trois
Européens et trois Hottentots , étoient armés de fusils ; -les
autres Hottentots n’avoient que des javelots. Nous fîmes feu
tous à-la-dbi's, et à l’instant le troupeau étonné d-u bruit et du
feu , tourna le dos et s’ enfuit vers le bois.‘Cette’ déroute offroit
un spectacle qu’il est plus aisé de se représenter que de peindre.
Les buffles blessés se séparèrent du reste'de la bande et prirent
une autre route-. Un vieux taureau qui -avoit reçu un coup de
fe u , vint droit sur nous : il auroit été inutile de-vouloir l’éviter
par la vitesse des jambes , mais il y a un moyen plus sûr quand
on a le cbamp libre; c’est de se jetter de côté : car le buffle,
malgré la grosseur de sa tête., n’ayant que de très-petits yeux ne
voit guère que devant-lui,, epperd de vue son ennemi , dès que
celui-ci se voyant-serré de près, se met à plat-ventre d’un côté 1
(1) Bos cajfer. Le zébu ou le petit boeuf de Béton. Buff,
OU
eu de l’autre : nous employâmes la même ruse pour nous soustraire
aux poursuites du taureau furieux. H passa très-près de
nous sans nous voir, et tomba avant d’avoir gagné un petit bois,
peu éloigné.
Cependant nos autres Hottentots suivoient de leur côté une
femelle mortellement blessée ; ils avoient tué un veau avec leurs
javelots'. -
Eu- revenant de leur course , ils trouvèrent notre vieux buffle
abattu ; la balle étoit entrée dans la poitrine et avoit pénétré très-
avant dans le corps , ce qui ne l’avoit pas empêché de galopper
Fespac.e d’une centaine.de pas. Il étoit d’un gris noirâtre, sans
un seul de ces poils noirs que l’on voit aux jeunes.. Je ne pouvois
enjamber par-dessus son corps ; il,falloit. que je sautasse. Dès
que nos conducteurs eurent, commencé à le dépecer , .nous cherchâmes
les morceaux les plus charnus pour les. saler , et fîmes
un excellent repas sur le lien même. Je m’attendois à lui trouver
une chair coriace et dure; mais je-fus.' étonné de sa délicatesse
et de. son bon goût; il étoit aussi tendre; qu’un jeune buffle.
Nous abandonnâmes les restes, la vache et le veau à nos Hottentots
, qui se les partagèrent. Ils allumèrent un grand feu pour
y faire rôtir différens morceaux , d’abord les jarrets et les os. des,
cuisses qui lenrfirent un repas délicieux; ils-pendirent les boyaux
et des morceaux de viande aux branches des arbres yoisins , et
avoient ainsi l’ air d’être aumilieu d’une boucherie. Vers la chute
du jour, mon camarade & moi, nous regagnâmes, nos voitures.
En route , nous rencontrâmes cinq lions, qui 11’étoient pas à.cent
pas de nous; ils nous fixèrent et voulurent bien se retirer
paisiblement dans le bois.
Après avoir attaché nos boeufs aux roues de nos chariots , tiré
deux coups de fusil et allumé différens feux autour de notre
campement, pour éloigner les éléphans et les lions, nous nous
couchâmes avec un fusil chargé de chaque côté, et reposâmes
sous la protection7 de l’Être suprême,
Tome I . P p