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que traité fpirituel pour les moines, il compoia fon
• échelle du c ie l, très-fameufe entre les ouvrages de
pieté;qui lui a fait donner le furnom de Climaque:
car climax en grec lignifie échelle. Elle eft cornpo-
fée de trente degrez, qui contiennent tout le progrès
de la vie intérieure : depuis la fuite du monde
jufques à l’oraifon la plus fublime , & la plus parfaite
tranquillité de famé. En parlant de l’obéif-
fan ce , il raconte les exemples qu’il avoit admirez
dans un monaftere d’Egypte près d’Alexandrie , habité
de trois cens trente moines, fous la conduite
d’un fuperieur d’une fageffe confommée. On y voïoit
des vieillards après quarante ou cinquante ans de
profeffîon, obéir avec une fimplicité d’enfans : les
railleries , les conteftations, les difcours inutiles en
étoient bannis t chacun s’étudioit à édifier fon frere.
L ’abbé maltrairoit fouvent les plus parfaits, fans aucun
autre fujet que de les exercer , les faire avancer
dans la vertu, 8c inûruire les autres par leur exern- ü
x x i v . A un mille de ce monaftere , il y en avoit un pe-
^itcns°n dcS pe" tit nommé la priion , ou s’enfermoient volontairement
ceux du grand monaftere, qui depuis leur pro-
feffion étoient tombez dans quelque péché confi-
derable. C ’étoit un üeu affreux, tenebreux, fale, in-
feeft : tdut y infpiroit la penitence & la trifteffe. On
n’y allumoit jamais de feu , on n’y ufoit ni de vin ni
d’huile , ni d’aucune autre nourriture que de pain 8c
de quelques herbes. Depuis qu’ils y étoient renfermez,
ils n’en fortoient plus jufques à ce que Dieu fît
connoître à l’abbé qu’il leur avoit pardonné : on exi-
geoit d’eux une oraifon prefque continuelle : toute-
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fois pour éviter l’ennui,on leur donnoit quantité de
feüilles de palmes à mettre en oeuvre. Ils étoient fe-
parez un à un , ou tout au plus deux à deux , &
avoient pour fuperieur particulier un homme de
vertu finguliere nommé lfaac. Saint Jean Climaque
ai’ant prié l’abbé de lui faire voir cette prifon y demeura
un m o is , 8c voici comme il en parle.
J ’en vis qui paffoient la nuit à l’air tout de bout,
forçant la nature , pour s’empêcher de dormir , 8c fe
reprochant leur lâcheté, quand le fommeil les pref-
foit. D ’autres les yeux tournez tnftement vers le ciel
demandoient du fecours , avec des gcmiifemens 8c
des foupirs. D ’autres les mains liées derrière le dos ,
8c le vifage panché vers la terre , crioient qu’ils n’é-
toient pas, dignes de regarder le c ie l, 8c n’ofoient
parler à Dieu dans leurs prières, tant ils fentoient
leur confcience troublée. Quelques-uns aihs à terre
fur un cilice 8c de la cendre , cachoient leurs vifages
entre leurs genoux, & tfrapoient la terre de leur front,
ou fe battoient la poitrine, avec des foupirs qui iem-
bloient leur 'arracher lame. Les uns trempoient le
pavé de leurs larmes, les autres fe reprochoient de,
n’en répandre pas affez. Les uns crioient , comme on
fait à la mort des perfonnes cheres : les autres rete-
noient au-dedans leurs gemiffemens. J ’en vis q u i'
paroiffoient hors d’eux-mêmes, endurcis par la douleur,
8c comme infenfibles. D ’autres alhstriftement,
les regards arrêtez à terre , branlant continuellement
la tête, 8c pouffant du fond du coeur des rugiffemens
de lions.
Lés uns pleins d’efperance , demandoient ardemment
la rémiffion de leurs pechez : les autres par un
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