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mes qu’il gouvernoit d é jà , il commença à con-
duire des filles, avertiffant toutefois fes difciples
de ne fe pas fier à fon exemple. Outre le foin de
fes monafteres, il s’appliqnoit encore à l’inftruébon
des peuples, allant dans les v ille s , dans les bourgades,
Scies maifons particulières. Ses habits étoient
fi p auvres, 8c fon extérieur fi méprifable , q u a
moins de le connoître on ne lui auroit pas rcn" a
fon falut. Il montoit le plus méchant cheval du
monaftere, qui n’ avoit pour bride qu’un lico u , &
qüe des peaux de mouton pour felle. Il portoit lur
lui,dans des facs les livres facrez, 8c les expliquoit
par tout où il arrivoit.
Félix homme noble de la province de Nurfie, lut
dit un jour : Comment ofez-vous prêcher fans avoir
d’ordre facré , ni de permiflion de l’évêque de^ R o me
, fous qui vous v iv e z ? Saint Equice lui répondit
: J e m’en difois autant à moi-même : mais une
nuit un jeune homme très-beau m’a apparu , 8c m’a
appliqué une lancette fur la langue, en difant : J ’ai
mis mes paroles en ta bouche: vas prêcher. Depuis
ce jour-là, je ne puis m’empêcher de parler de Dieu.
Le bruit de fes prédications étant venu jufques aR o -
m e , les clercs de l’églife Romaine dirent au pape :
Qui eft cet homme ruftique, qui fe donne l’autorite
de prêcher, 8c s’attribue vos fo n d io n s , tout ig n° "
rant qu’il eft? il faut l’envoyer prendre , afin qu’il
connoiffe la vigueur de la difcipline. Le pape y con-
fe n tit , 8c envoïa Ju lie n , alors defenfeur de 1 eglile
Romaine , 6c depuis évêque de Sabine: lui ordonnant
toutefois d’amener le ferviteur de Dieu avec
beaucoup d’honneur.
L i v r e T r e n t e - D e u x i e 'm e : __ 315
Ju lien alla promptement au monaftere, où il
trouva des moines occupez à trànfcrire des livres. Il
leur demanda où étoit l’abbé : il eft, dirent-ils, dans
ce va lon , qui fauche du foin. Julien avoit un valet
iniolent, qu’il envoïa pour lui amener l’ab bé.,Il
entra promptement dans le pré , 6c regardant tous
les faucheurs, il demanda qui,étoit Equice. Mais
quand on le lui eut montré, quoi qu’il ne le v ît que
de fo in ,il commença à trembler: en forte qu’il pou-
voit à peine iè foûtenir. Il embrafla les genoux du
faint abbé , 8c lui d i t , que fon maître étoit venu le
trouver. Saint Equice lui d it: Prenez du foin pour
vos chevaux: je vous fuis, quand j ’aurai achevé le
peu d’ouvrage qui refte. Julien étonné de ce que
fon valet târdoit, le fut encore plus quand il le vit
revenir chargé de foin. J e ne t’ ai pis envoïé quérir
du fo in , lui d it-il : mais m’amener un homme.
Le voici qui v ien t , dit le valet. En effet faint Equice
a r r iv a , aïant des botines garnies de doux , 8c portant
fa faux fur fon cou. Julien le méprifa 8c fe prc-
paroit à lui parler rudement : mais quand il le v it
proche, il fut faifi d’un tel tremblement, qu’à peine
lui put-il parler pour s’acquitter de fa commif-
fion. Il courut lui embraffer les genoux, fe recommanda
à fes p rières, 8c lui dit que. le pape defiroit
le voir.
Saint Equice rendit grâces à D ieu , qui le vifitoit
par le fouverain pontife ; 8c aiant appelléfes freres,
il commanda de préparer les chevaux 8c preffa fortement
Ju lien de partir à l ’inftant. Il eft impolfible,
d it Ju lie n , je fuis trop las pour partir aujourd’hui.
Saint Equice lui dit : Vous m’affligez , mon fils ; car
R r ij