
9 4 H i s t o i r e E c c l es i a s t i q j j e .
Ton audience avec les prefens feulement. Que deviendront
donc les lettres de notre maître ? dit l ’ambaffa-
d eu r je an . N eft-ce pas principalement pour les apporter
que je fuis venu, & pour réfuter les blafphêmes
contenus dans celle de votre roi ? L’évêque répondit:
I l faut s accommoder au temps & à la condition où
nous lommes réduits pour nos pechez. L ’Apôtre nous
deiend de refifter aux puiffances, & nous devons d’autant
moins le faire ici,qu’on nous permet de vivre félon
nos loix. Les Arabes efliment même ceux d’entre
nous qu ils voient fideles à obferver notre religion &
mangent volontiers avec eu x , au lieu qu’ils s’éloignent
des Juifs avec horreur. Nous tenons donc pour ma^
xime , d’avoir de la complaifance pour eux en tout ce
qui ne nuit point à la religion. C ’eft pourquoi vous
devez plutôt fuppnmer cette lettre , que de vous attirer
de mauvais traitemens fans neceffité. L'ambaifa-
deur répondit avec quelque émotion : Ce difeours conviendrait
mieux à un autre qu’à vous qui paroiifez
eveque, & q u i en cette qualité devez enfeigner & défendre
la fo i. Un chrétien doit plûtôt fouffrir la faim
que de manger avec les infidèles au fcandale des autres.
J apprends d’ailleurs que vous vous circoncifez
comme eu x ,& que vous vous abftenez par complaifan-
ce des memes viandes qu’eux contre les défenfes expref-
de l ’A p o treÆ ’évêquc répondit : La neceffité nous y
contraint, parce qu’autrement nous n’aurions pas la liberté
de demeurer a v e c eu x ;& nous tenons cet ufage de
nos ancêtres. Je n’approuverai jamais, reprit l’ambafla-
d eur, que par crainte ou par refpeôt humain , on vio le
les ordonnances d. s apôtres. Et puifque vous avouez
que je ne fuis point dans cette neceffité, je fuis réfolu
L i v r e c i n q u a n t e - c i n q u i è m e .
de ne me point écarter des ordres que j’ai reçûs du roi
mon maître. Je n’irai donc à l ’audience de votre roi
q u ’avec la lettre du mien, fans en ôter un feul trait *
& s’il dit quelque chofe contre la fo i catholique, je
lui refiilerai en face , quand il m’en devrait coûter la
vie.
T o u t cela fut rapporté en fecret à Abderame , &
comme c’étoit le plus rufé de tous les hommes, il em-
ploïa toutes fortes d'artifices pour ébranler l’ambaffa-
deur. On ne lui permettoit d’aller à l’églife que les d imanches
& les principales fê te s , & on le menoit à la
plus proche dediee a S. Martin,en vironné de douze gardes.
Un dimanche donc comme il y a llo it, on lui apporta
une lettre du roi contenant quantité de menaces
& enfin celle-ci : Si tu m’obliges à te faire m ou r ir , je
ne.Iaiffierai pas un chrétien en vie dans toute iT fp a gn e -
penfe de combien de vies tu répondras devant Dieu ,
s ils perilïent par ton obftination. Jean répondit par
une le ttre , qui l exécuterait fidelement les ordres de
ion maître. Quand vous d e v r ie z , difoit-il,me faire démembrer
peu à peu , me couper aujourd’hui un d om
demain un autre puis un bras, un pied, une jambe ;
& ainli du relie de jour en jo u r , vous ne mebranlerez
pas.^ Que fi vous faites mourir à caufe de moi les autres
chrétiens, ce ne fera point à moi que Dieu l’imputera
mais a votre cruauté, qui nous procurera par ce moïen
une meilleure vie.
j Cette lettre, loin d’irriter le roi l ’appaifa. Car il
etoit bien informé de la puiffiance d’O tto n , & ne vou loir
pas s’attirer un tel ennemi. Il fit donc dire à Jean S
q u il dit lui-même ce qu’il jugeôit à propos défaire :
Jean répondit : A la fin vous avez pris le bon parti : fi
XLIX.
S n it e d e
b a lla d e .