
^94 H i s t o i r e E c c l e s i a s t i q u e .
Mais confideranc combien il eft va in de chercher I efli-
mc des créatures , il réfolut de chercher uniquement
de plaire à D ie u , & voulut même éviter les lieux où il
y avoir des g ens de lettres , qui pourroient lui rendre
honneur. •
Cependant comme il alloit à R o u en , fur la fin du
jour paflant par une forçt au-delà de la riv iere de Rifle ,
il rencontra des vo leu rs , qui lui ayant o tc tout ceq u il
a v o it , lui lièrent les mains derrière le dos, lui co u v r irent
les yeux du capuee de fa chape , 1 éloignant du
chemin &c le laifferent dans les brouilailles epaiffes. En
cette e x trçm ité , ne Cachant que devenir , il plaignoit
jon infortune. Quand la nuit fut v e n u e , étant rentre
en lu i-m êm e , il voulut chanter les louanges de Dieu,
&c ne p û t , parce qu'il ne l’a voit point appris. Alors il
dit : Se igneur , j’ai tant employé de tems a 1 etude, j y
ai ufé mon corps 8c mon e ip r it, 8c je ne fai pas encore
comment je dois vous prier. Dé livrez-moi de ce péril
; 8c avec vo tre fecours je réglerai ma v ie d f telle
fo r te , que je puiffe vous fervir. Au point du jour il.oüie
des voyageurs qui paiToienc, 8c fe m it a crier pour leur
demander du fecours. D'abord ils eurent peur, puis remarquant
que C’étoit la vo ix d’un h omm e , ils s’approchèrent,
& ayant appris qui il é t ô i t , ils le délièrent 8C
le ramenèrent dans le chemin, il les pria de lui montrer
le plus pauvre monaftere qu’ ils connuifent dans le
pais. Ils lui rép ond iren t’.N o u s n’en connoiifons point
de plus pauvre que celui qu’un certain homme de Dieu
b â tit ic i proche , 8c lui en ayant montré le chemin, ils
fe retirèrent.
C ’étoit l’abbaye du Bec commencée fept ans auparavant
par le yenerahle Hellouin. Quand Lanfranc y
1
L i vre c in q u a n t e -n e u v i è m e , j g j
a rr iv a , il trouva ce bon abbé occupé à bâtir un four où
il rravailloit de fes mains. Après s’être iàluez, l’abbé
lui demanda s’il étoit Lombard, le reconnoilfant apparemment
à fon langage. O u i , répondit Lanfranc, je
le fuis. Q ue defirez-vousi dit Helloüin. Je veux être
moine , répondit-il. Alors l’abbé commanda à un moine
nommé Roger, qui travailloit de fon côté, de.lui
donner le livre de la regle, comme fàint Benoît ordonne
de la faire lire aux poftulans.Lanfranc l’àiant lûë
toute entiere, dit, qu avec l’aide de Dieu ,il oblèrveroit
volontiers tout ce qu’elle contenoit ; après quoi l’abbé
lâchant qui il étoit & d ’o ù il y en o it,lu i accorda là demande.
Il fe profterna fur le vifage, & baifa les pieds de
l ’abbé dont il admiroit dès-lors rhumilité & la gravité.
Helloüin, oucommeon difôitalorsHerluin;étoit rxxin .
un gentilhomme du pais. Son pere Anfgot defeendoit “ “ 3bbé
des premiers Normans qui vinrent de Danemarc; fà Vita f&c• 6» Ben•
mere Heloïfe étoit parente des comtes de Flandres. W '
Helloüin fut élevé par Giflebert comte de Briône, petit
fils du duc Richard premier, & de tous les lèigneurs
d e là c o u r , c’étoit lui qu’il cheriiïoit le plus; car il
paifoit pour un des plus braves & des plus adroits aux
armes de toute la Normandie ; Ion mérité étoit connu
du duc Robert & des princesiétrangers. Il avoit déjà
trente-fèpt ans, & v iv o it dans l'état le plus agréable félon
le monde, quand il commença à s’en dégoûter & à
rentrer en lui-même. Il alloit plu s fouvent à l’églifé, où
il.prioit avec larmes & y paflbit quelquefois les nuits.
Il venoit plus rarement àl^cour du comte de Brione:
ce ü .etoit plys la meme application aux armes ; la même
propreté en lés habits; tout ion extérieur étoit. négligé.
Souvent il jeûnoit tout le jo u r , & mangeant à la table
Torne X I I . ‘ F F f f