comptâmes plus de quarante tambours dans celui du
roi de Douabin. Plus ta rd , la lueur des torches
ajouta encore à l’effet d’un spectacle aussi imposant
sous quelques rapports, tandis que sous d’autres il
était horrible et barbare. Nous nous retirâmes vers
dix heures ; nous vîmes la même foule dans toutes
les rues. Nous continuâmes à entendre le bruit des
cors , de.s tambours et des coups de lùsiU , jusqu’à
près de quatre heures du matin, moment où le roi
retourna dans son palais.
Le lendemain matin , le roi ordonna de verser
une grande quantité de rhum dans degrands bassins,
en différens endroits de la ville. La foule se pressait
à l’entour , et buvait de la manière la plus dégoûtante
: hommes libres et esclaves, femmes et enfans,
Jous se heurtaient, se poussaient, se frappaient, se
foulaient aux pieds les uns des autres , plongeaient
leur tête dans le bassin, et répandaient beaucoup
plus'de rbum qu’ils n’en buvaient. En moins d’une
heure, à l ’exception des grands personnages , il
n’y avait pas dans toute la ville un nègre qui possédât
sa raison. D ’un coté, des hommes, en s’efforçant
d’emporter sur leurs épaules un autre ivre comme
eu x , tombaient à chaque pas, et roulaient les uns sur
les autres ; d’un autre, des bandes de femmes , le
visage barbouillé de rouge , se tenaient par la main,
et en courant tombaient à terre comme des rangées
de cartes. Les derniers ouvriers , les plus vils
esclaves , déclamaient avec fureur «ur les affaires de
Tétat; la musique la plus discordante, les chansons
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les plus obscènes , des enfans des deux sexes étendus
cà et là sans connaissance,à ' { . tout contribuaiyt f àm
rendre ce spectacle révoltant. Tous les Nègres se *
taient revêtus de leurs plus beaux habits, et semblaient
faire assaut de pompe, d’ivrognerie, de saleté
et d’extravagance (1).
Vers le soir on vit cesser les scènes d’ivresse; les
cabocirs étrangers déployèrent leurs cortèges dans
toutes les directions , et, à cinq heures, il y eut une
grande procession depuis le palais jusqu’à l’extrémité
méridionale de la ville ; le roi et les grands dignitaires
portés sur leurs hamacs passaient à travers
des décharges Continuelles de mousqueterie. La
foule était immense. Le lendemain (lundi) fut
entièrèment consacré aux.affaires d’état ; le mardi, la
diète fut dissoute, et la plupart des cabocirs retournèrent
dans leurs pays respectifs.
Une centaine de nègres, la plupart étaient des condamnés
que l’on réserve pour cette occasion , furent
sacrifiés dans différens quartiers delà ville. Plusieurs
(1) Ce spectacle me rappelle la description du siège de
Madras par Voltaire ; elle pourra aider l’imagination du le c teur
: « De grands magasins de liqueurs fortes y entretenaient
l ’ivrognerie et tous les maux dont elle est le germe. Cest une
situation qu’il faut avoir vue. Les travaux, les gardes de la
trancliée étaient faits par des hommes ivres.... De là les scènes
les plus honteuses, les plus destructives de la subordination
et de la discipline. On a, vu des officiers se colleter avec des
soldats, etmille autres actions infâmes, dont le détail, r e n fermé
dans les bornes de la vérité la plus exacte , paraîtrait
une exagération monstrueuse. »