
tuel de satisfaction grave ; la vue du bonheur repose l'ame ; mais élevé dans
une société tout autrement organisée et dont le mauvais gouvernement a créé
une classe d'oisifs, savante, spirituelle, élégante, les plaisirs raffinés, dont j’ai
joui long-temps, sont devenus pour moi des besoins que la société américaine
ne peut satisfaire; je l’admire, mais je ne puis l’aimer pour moi. J’y serais seul.
Ram-Mohun connaît cette peine de l ’isolement. Il s’est élevé dans une région
d’idées et de sentiments supérieure à celle où vivent les hommes de son pays;
il vit seul : et quoiqu’il doive trouver, dans la conscience du bien qu’il fait,;
une jouissance habituelle, il y a dans son air grave de la tristesse et de la mélancolie.
Calcutta, le a juillet .1829.
S o c ié t é a s ia t iq u e d e C a l c u t t a . Fondée en 1 7 8 4 , et présidée alors par un
homme très-savant, sir William Jones, elle est composée, comme'la Société
royale de Londres et toutes les Sociétés scientifiques et littéraires de la Grande-
Rretagne, d’hommeshabiles en petit nombre qui y sont assez peu considérés,
et d’hommes riches ou puissants, mais inhabiles, qui y jouisçeiÿfc de tous les
honneurs. Les membres du Conseil des Indes et ceux de la Cour Suprême sont
les présidents et vice-présidents nés. Les secrétaires sont: M. Wilson, pour le
comité ou classe de littérature, et M. Ross pour les sciences physiques.
Cette Société a , comme celle de Madras et de Bombay, un grand nombre
de membres, la plupart employés civils ou militaires du Gouvernement. Ils
ont dans l’Inde le haut du pavé ; les négociants les plus riches n’obtiennent
plus les mêmes distinctions. Il en était tout autrement autrefois, lorsque la
Compagnie était réellement une société de marchands, et non pas seulement,
comme aujourd’h u i, le pouvoir, le gouvernement d’un empire.
La Société se réunit une fois tous les deux mois. Trois jours après mon
arrivée à Calcutta, j’assistai à une de -ses séances. Il y en avait une autre
hier : on l’appela très-nombreuse ; nous étions une vingtaine.
La proposition de membres nouveaux, et l’élection de personnes précédemment
proposées, occupèrent, après l’inévitable lecture du procès-verbal de
la dernière, séance, une bonne demi-heure; après quoi le secrétaire, M. Wilson,
lut les titres des ouvrages présentés à la Société. Le président, comme
de raison, sir Charles Grey, ordonne qu’on remercie leurs auteurs.
Le roi d’Oude fait don à la Société de 20,000 roupies ( 5o,ooo fr.)s, et son
premier ministre de 5,000 (i2,5oo fr.). Sa Majesté et Son Excellence seront
remerciées.
La partie niaise de la pièce étant achevée, M. Wilson donne lecture d’une
lettre très-longue, mais assez piquante, écrite de ITIimalaya sur ce savant philologue
hongrois dont j ’avais entendu parler en Europe comme ayant visité le
plateau du Thibet et presque toutes les parties inaccessibles de l’Asie ; il est
maintenant dans un village situé à 9000 pieds anglais (2740“ ) au dessus de la
mer, sur le versant anglais des montagnes, mais à très-peu de distance des
frontières du Thibet. Il a passé l’hiver avec un très-savant Lama, ou Mounschi,
thibétain, dans une chambre dont la température se tenait habituellement
au dessous de zéro du thermomètre de Fahrenheit (17°" 78 au dessous de zéro).
Enveloppé dans les peaux les plus chaudes, il a pu travailler tout ce temps,
et il semble qu’il l’ait fait avec une ardeur incroyable. Le compte de ses dépenses
est singulier :
Pour la maison qu’il habite.............................. 1 roupie (2f.5o) par mois.
Un domestique................................ .................. . 4 id. id.
Son Lama.............. .................................................. A 5 id. ^ 6 2 f.5o) id.
Sa nourriture, qu’il doit faire venir de 200
milles f ’8o lieues), et qui consiste surtout en
thé bouilli avec du riz et de la graisse.............. 20 id. (5of.oo) id.
Avec 40 roupies (100 fr.) de plus par mois, i l s e trouverait très-riche et
pourrait faire venir de Lassa les plus habiles Lamas' pour lire avec eux les
livres de leur pays. Ce savant original n’a jamais voulu accep'ter de secours
d’un particulier; mais il en demande à la Société, et il ne refuserait pas ceux
du Gouvernement, si l’on croit ses efforts utiles aux sciences. On vote en sa
faveur, par acclamation, une allocation de 100 roupies (,25o fi1.) par m'ois,
afin qu’il soit tout à fait riche.
La lithographie est connue depuis très-long-temps au Thibet : une pierre
lithographique et une petite impression lithographique accompagnaient la
lettre que lut M. Wilson.
Cinq ou six natifs, membres de la Société asiatique, assistaient à la séance.
On les appelle Babou ou Monsieur; et parlant d’eux, on dit Gentlemen; a
native Gentleman. Ce n’est pas leur caste qui leur vaut cette appellation polie,
c’est leur fortune et leur manière de vivre, moins éloignée des Européens ; ils
sont tous Hindous.
Ram-Mohun-Roy, qui est sans aucune comparaison le plus instruit de tous
les natifs, qui est le plus respectable, qui était Brahme, et qui a cessé d’être
idolâtre pour devenir philosophe, Ram-Mohun-Roy n’est pas membre de la
Société asiatique de Calcutta. Ce n’est pas qu’il ait refusé d’en faire partie,