
colère céleste; car c’était pour les amateurs du voisinage que tous ces sièges
avaient été préparés. J’allai m’asseoir su r'le plus près de l’officiant, afin de
mieux entendre.
Le révérend archidiacre jouit de la réputation d’être ennuyeux; il la mérite
: ce que j ’entendis de son sermon, après l’interminable service anglican ,
ne me permit pas d’écouter le reste ; un sommeil bienfaisant, dont je cachai
le scandale avec ma main placée sur mes yeux . . . . . .
-Après le déjeuner, lady William m’emmena chez elle. Il était naturel de
dire-quelques mots du sermon du matin; mais ce malencontreux sujet nous
amena bientôt à causer de religion. Or je savais que lady William Bentinck
avait de la dévotion : comment faire? 'Je crus en Dieu le plus fermement
que je pus, afin de lui paraître moins abominable, et je lui laissai voir toutes
les infirmités de ma croyance. Elle ne se montra pas trop scandalisée : ayant
passé sa vie dans le grand monde, elle sait vivre avec l’irréligion. Il y a bien
des années, lady William voyageait avec madame de Staël en Italie; c’était
un dimanche. Madame de Staël enviait la dévotion du peuple qu elles rencontraient
sur la route, et parlait avec amour de la religion. « Mais,» disait-
elle, «c’est une passion malheureuse pour moi; je fais tout ce que je puis
«pour en avoir, je frappe sans cesse à cette porte, mais elle ne s’ouvre pas. »
Le soir, nous eûmes une prière commune, avec un petit appareil de pupitre
pour le ministre : mais c’était en famille; lord et lady William n’étaient
point séparés du reste de la compagnie, il n’y avait de distinction qu’en faveur
d’une demi-douzaine de femmes de chambre de-lady William, lesquelles avaient
leurs chaises derrière les nôtres.
Ces prières sont bien longues , et pour deux ou trois phrases touchantes
qui s’y trouvent, elles sont remplies de platitudes dogmatiques : c’est une
chose assez inutile dans L’Inde, où le climat provoque au sommeil.
Le Gouverneur-général de l’Inde s’est résérvë'.exclusivement plusieurs des
privilèges dont les princes souverains jouissent seuls en Asie : de temps en
temps il tient un lever ou une cour, comme les princes natifs tiennent leur
durbar, et il reçoit les étrangers avec l’étiquette royale asiatique; nul que lui
n’a le droit de dîner en musique; etc., etc. Cette étiquette est abandonnée à
Barrackpour, où cependant il ne réside pas sans gardes; mais en revanche il
y entretient une petite armée d’Eléphants, ce qui est exclusivement princier. Ces
animaux sont prohibés dans la ville , à cause des accidents résultats de la peur
qu’ils font aux chevaux. Il y en a une dizaine à Barrackpour, et quand le
château est habité, ils viennent un peu avant le lever et le coucher du soleil,
tout sellés, sé ranger en bataille sur la pelouse. Les nouveaux venus les
préfèrent toujours aux -voitures, dont ils ont également le choix pour faire
leur promenade. Je fus très-tenté d’agir en nouveau venu, lorsque je vis le
premier jour ces singuliers animaux venir docilement s’offrir à nous promener;
mais lady William m’avait dit qu’elle voulait que je fisse avec elle ma première
expérience en ce genre, et je regardai stoïquement plusieurs Eléphants
s’en retourner à v ide, sans tentation, sans faiblesse. M. Hézéta prit mon
bras, et nous allâmes à pied faire une visite au Rhinocéros.
C’est un individu adulte, de l’espèce Unicornis; il vient des montagnes au-
delà du Gange, où l’on m’assure que l’espèce est employée aux travaux, de
l’agriculture, comme le Buffle en beaucoup de contrées. Sa taille est celle de
l ’individu empaillé que possède le Muséum de Paris. Il a les cuisses, et les
.jambes couvertes par les plis de sa peau qui disparaissent sur les flancs. Sa
tête n’est pas sans quelque ressemblance avec celle du chameau ; l’oeil est
fort petit ; il a l’air beaucoup plus stupide que féroce. Attaché par le pied avec
une longue chaîne à un arbre voisin d’un étang, il se tient des heures entières
immobile dans l’eau, la tête élevée, regardant stupidement devant lui.
En hiver, il se baigne rarement, et la fraîcheur qu’occasionnent en été plusieurs
jours de pluie, suffit pour l’en empêcher. I l ne vit que d’herbes.
L ’homme qui le soigne l’approche sans défiance ; il le frotte souvent avec de
l ’huile pour assouplir sa peau, qu’il broie dans l’état sauvage, en passant au
travers des jungles et en se frottant contre les arbres. Il fait peu d’attention
aux étrangers qui viennent près de lui sans démonstrations hostiles. Sa stupidité
cependant ne permet pas de s’approcher trop sans danger. Deux fois
il s’échappa en rompant sa chaîne; on craignait qu’il ne sortît du parc dont
la faible clôture ne pouvait être un obstacle pour lui; mais les Eléphants avertis
vinrent à temps ; ils l’entourèrent et le réduisirent facilement : battu par eux
et démoralisé, on en fit tout ce qu’on voulut. Je crois qu’il ne cédait qu au
nombre, et que, sur un seul, il eût pu avoir l’avantage, à moins que ce ne
fût un mâle armé de grandes défenses. La construction de l’Eléphant est
presque frêle auprès de ce monstrueux animal; les jambes du Rhinocéros,
proportionnellement à la masse de son corps, me paraissent encore plus
petites que celles de l’Éléphant ; sa stabilité doit être encore plus grande, e t,
sur cet inébranlable point d’appui, il fait mouvoir une arme terrible.
Un Tigre royal, des Lions d’Afrique, plusieurs#Guépards (fe lis jubata )
dressés à la chasse, que possédait la ménagerie de Barrackpour, ont été
donnés en présent à des Rajahs : elle est fort déserte maintenant. J’y ai yu
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