
dans son orangerie, un arbuste dont le seul mérite, à ses yeux, est d’être rare
et cher. Le pin d’Italie ( pi nus pinea) a été planté, dans la ville, partout où le
chêne eût refusé de croître ou du moins de prospérer. Il n’y végète lui-même
qu’assez tristement. Battue parles vents dominants du S .E ., sa cime défigurée,
au lieu de s’évaser noblement vers le ciel, penche vers le N . O. Son port en
est tellement changé que je fus quelque temps à le reconnaître ; et ce ne fut
même qu’en voyant ses cônes, que je distinguai sûrement son espèce. Autour
de la ville, cet arbre, comme le chêne, se ressème de lui-même depuis longtemps.
Je l’ai vu, dans quelques lieux plus abrités,'avec toute la noblesse et
l’élégance de la forme qu’il affecte sur les bords de la Méditerranée. Le Champ-
de-Mars, où l’on entre en débarquant, est entouré d’une double allée de
ces arbres. Groupés ainsi, leur aspect est triste et plat.
Le Français qui débarque au Cap, surtout après une relâche à Rio-Janeiro,
ne peut manquer d’être frappé vivement de la propreté, de l’ordre, du soin,
de l’entretien, dont il voit partout l’image autour de lui, dès qu’il pose le pied à
terre. En Italie, le vestibule, l’escalier même d’un palais magnifique, dans lequel
il y a une galerie de tableaux qui vaut plus d’un million, ne sont souvent
qu’un cloaque infect où l’on jette les immondices, parce que c’est le lieu
le plus près. A ses marbres, sont adossées de honteuses échoppes. Un espace
vague et négligé s’étend à l’entour. Entre cette saleté, entre cette barbarie et la
recherche soigneuse, la propreté de toutes les parties d’une maison anglaise et
de ses alentours, la France occupe tout au plus une place moyenne. Nous sommes
bien barbares encore. Il y a au Cap de grandes et belles maisons. Il y en a
de fort petites et de très-modestes. Quelques-unes, très-anciennes sans doute,
ont conservé même leurs toits de chaume; mais toutes sont également bien
entretenues. Aucune n’est délabrée ni ne sent la misère. Elles donnent toutes
envie de demeurer, de vivre dedans. Il semble que ceux qui les habitent doivent
s’y plaire.
La population de cette ville est extrêmement mêlée. Elle se compose de Hollandais,
en très-grand nombre, d'Anglais, en nombre assez grand déjà. Puis
de Nègres Hottentots, de Nègres Cafres et Mozambiques, de Madécasses, de
Malais, et de Métis de toutes ces races.
Les Hollandais possèdent le sol. Presque tous les biens immeubles leur
appartiennent. Ce sont des gens riches sans beaucoup de revenus. Depuis plus
de deux siècles qu’ils sont transplantés sous ce ciel chaud et brûlant, ils ont
conservé leurs cheveux blonds, leurs yeux bleus, leur carnation claire ou
blafarde. On voit encore qu’ils ont été long-temps les seigneurs du pays : il y
a, au travers de leur simplicité souvent bourgeoise, quelque chose de noble
et de grand. Autrefois, l’opulence dont ils jouissaient rehaussait le ton de
leurs moeurs, de leur hospitalité, qui ne sont plus que patriarcales.
Les Anglais, conquérants de la colonie depuis la rupture du traité d’Amiens,
font leur métier de conquérants modernes : ils gouvernent. Cette industrie,
qu’ils exercent d’ailleurs sans violence et avec toutes les apparences des formes
légales, amène en leurs mains une grande partie des revenus du pays. Ce sont
eux qui, à la ville, habitent les plus belles maisons, les plus somptueuses, qui
se promènent dans les plus belles voitures, et que l’on voit, à la promenade,
montés sur les plus magnifiques chevaux. Quelques-uns d’entre eux, cependant
, ne doivent pas à leur qualité de gouvernants la possession de ces avantages
: ce sont des négociants ; ils ne sont redevables de leur richesse qu’à
leur supériorité d’habileté commerciale.
Les Hottentots, aborigènes de cette extrémité de l’Afrique, ont une foule
de traits physiques qui, malgré la dissemblance de la couleur de leur peau,
les doivent faire considérer comme une variété de la race Nègre ou Ethiopienne.
Ils sont d’un jaune olivâtre, livide. Leurs cheveux sont noirs et laineux.
Ils n’ont de barbe qu’au menton : elle est laineuse aussi. Leur face n’a
pas le grand développement que prend la face des Nègres aux dépens de leur
crâne. Elle est au contraire plus petite, il me semble, que celle des Européens.
Leur nez est très-court en même temps qu’aplati ; leurs yeux sont petits et noirs
avec la sclérotique jaunâtre; leur bouche saillante comme celle des Noirs;
leurs lèvres épaisses et la mâchoire inférieure également très-grande et; très-
forte. Ces traits donnent à leur physionomie une expression de malaise et de
timidité. Il me semble que l’odeur de leur transpiration est très-différente de
celle des Noirs, sans être moins forte, ni moins désagréable. Les proportions
de leur corps sont d’ailleurs fort variables; mais je crois que, dans aucune
race humaine, l’homme ne diffère autant de la femme. J’ai vu beaucoup de
jeunes Hottentots nus, monter à cheval. Ils étaient parfaitement bien faits ;
et les heureuses proportions de leur corps leur permettaient presqu a tous de
déployer la plus rare adresse dans cet exercice difficile. Leur taille était svelte,
extrêmement souple sur leurs hanches. Leurs fesses n’étaient pas même fortes,
leurs cuisses bien arrondies en dehors, le genou petit, le mollet prononcé, C’étaient
, à l’exception du misérable et ignoble profil de cette tête penchée légèrement
sur le cou du cheval, les modèles des cavaliers nus dans les bas-reliefs antiques.
Ces hommes se déforment, il me semble, bien plus que nous ¡par l’âge, et
bien plus promptement. Mais il est vrai que la misère doit concourir puissamment