
comme j ’avais vu la veille, chez le lieutenant-colonel Murray, tout son état-
major présent.
La parfaite égalité qui règne à table entre les officiers anglais de tout grade
est fort regrettable, mais malheureusement impossible à espérer en France.
Il y a, chez les officiers anglais, une présomption d’égalité de naissance et
d’éducation qui n’existe pas chez nous, et sur laquelle se fondent les rapports
des subalternes avec leurs supérieurs.
J’ignore ce qu’il en résulte dans l’Inde pour le bien du service. La discipline
des sipahis est parfaite, mais celle des officiers à leurs chefs ne l’est pas.
Avant le marquis de Hastings, le contrôle de ceux-ci était plus puissant; ils
décidaient d’une multitude de petits différends, et, lorsqu’il ne s’agissait pas
de torts graves, les terminaient sans jugement, de leur propre autorité, ou
par une simple décision du général en chef, rendue sur un rapport. Lord
Hastings voulut que les cours martiales jugeassent de toutes les infractions à
la règle, et maintenant elles ne sont convoquées souvent que pour juger des
matières d’étiquette. L’accusation la plus fréquemment portée devant elles, devant
le procureur général de l’armée, c’est celle d’avoir compromis le caractère
d’homme comme il faut, a conduct unbecoming the caracter o f a gentleman.
Tout en approuvant la justice de leurs sentences, souvent le général en chef
fait remise de la peine. Il résulte de là que la terreur salutaire inspirée autrefois
par le seul nom des tribunaux militaires a entièrement cessé d’exister;
et, confiants dans l’indulgence du général en chef pour leur jeunesse et leur
inexpérience, les jeunes gens qui arrivent chaque année ne craignent pas de
s’exposer à cette juridiction.
Au reste, la situation de ceux qui entrent maintenant au service est fort
triste. Chaque régiment ayant été diminué de deux compagnies, les officiers
des compagnies supprimées demeurent près de leur corps, en réserve, pour y
remplir les places vacantes. Il y a des lieutenants auxiliaires, des sous-lieu-
tenants (ensigns) auxiliaires, surnuméraires. On est obligé d’inventer des dénominations
nouvelles pour désigner l’emploi des cadets qui arrivent, et ils
ont à peu près la certitude de n’être pas lieutenants avant 10 à 11 ans.
Le séjour de Calcutta perd les jeunes gens. L ’intention du Gouvernement est
quils ne débarquent du vaisseau que pour entrer au fort William, et y être
placés sous la tutelle dun officier expérimenté, jusqu’au jour de leur expédition
pour la station où on leur ordonne de se rendre; mais le choix de l’homme
rend son emploi inutile. C’est un personnage morose que ces jeunes gens fuient
autant qu il les recherche peu. Il laisse à quelques natifs le pillage de leurs
petites bourses. Échappés du collège et du vaisseau, ils usent assez mal, comme
il est naturel, de leur liberté, et se laissent séduire aisément par les extravagances
ruineuses de la vie de Calcutta. C’est là que se forment leurs idées sur
l’existence à laquelle les Européens ont droit dans l’Inde ; et c’est là que se
décide, en un mois, l’avenir misérable d’un grand nombre, soit qu’ils se
résignent à souffrir ce qu’ils appellent leur pauvreté, soit qu’ils entrent hardiment
dans la voie des dettes.
L ’insociabilité anglaise brille à Mirzapour par la distance des habitations
des Européens; ils demeurent à 2 ou 3 mil. (I ou f 1. )les uns des autres.
M. Taylor, le Magistrat, pour lequel j ’avais une lettre d’introduction écrite
au nom de lord William Bentinck, m’envoya aussitôt les gens dont j avais
besoin pour continuer ma marche, et ajouta deux de ses tchouprassis à ma garde
de sipahis. Rewah, la première ville où je vais passer, étant le chef-lieu dun
petit territoire indépendant et la résidence du Rajah de ce nom, M. Taylor
me donne un passe-port pour les autorités de ce mesquin empire, et une lettre
pour son souverain, le tout en persan, et non en hindoustani, comme je
l’attendais.
L ’Adawlut où il tient son tribunal a bien meilleure apparence que celle
de Bénarès. Elle n’est pas moins fréquentée des natifs. Les nombreuses transactions
commerciales qui se font incessamment dans une ville de 1 importance
de Mirzapour, manufacturière et commerçante comme elle, amènent
une foule de procès.
La ville native est fort grande ; deux ou trois rues longues, larges et droites
la traversent, plantées d’arbres devant les maisons, et ornées, de distance en
distance, du petit édifice que j ’ai décrit plus haut, de puits, mais dont la plateforme
circulaire est ici plus large et plus élevée. Leur ouverture esttrès-grande,
et plusieurs personnes à la fois peuvent tirer de leaii sans se gêner réciproquement.
Quelques -uns de ces puits sont de petits monuments du plus
agréable effet.
Toutes les autres rues sont étroites et souvent tortueuses, mais non pas
autant qu’à Bénarès. Mirzapour, d’ailleurs, n’a rien de 1 apparence de cité
qu’offre cette grande ville. Peu de maisons en pierre, quoique les plus belles
pierres de construction abondent dans le voisinage, d où on lés a de tout
temps fait descendre à Bénarès; ici les maisons sont de pisé pour la plupart,
et rarement ont plus de deux étages. Peu de Pagodes et de Mosquées; aucun
air d’antiquité, mais beaucoup de bruit et de mouvement. On fabrique à Mirzapour
des tapis de pied à l imitation de ceux de Turquie, qui s exportent dans di-
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