
cents mètres ( i ). On escalade pour y monter deux Sierras* ( serres dans le
lan^aoe des montagnards auvergnats) séparées l’une de l’autre par un espace
assez uni : les pentes sont longues et roides, horriblement déchirées de crevasses,
et d’une excessive âpreté. On dirait deux énormes cascades de laves. Ce relief
est plutôt celui des masses basaltiques que celui dés produits des volcans
modernes. Cependant nulle part je n’observe la structure colonnaire des basaltes ;
et si je trouve quelques fragments de roches porphyroïdes, qui ressemblent
à celles de cet âge antique, la masse de toutes celles que je vois en place est
huileuse, scoriacée, et me’ semble être le chapeau d’énormes coidées de laves
modernes. On les voit entamées en plusieurs lieux, autour de Sainte-Croix, par
des torrents qui sont à sec dans cette saison. Leur masse intérieure, mise à nu,
s’y montre plus dense et parsemée, comme les scories ; de noeuds abondants de
Pe'ridot; elle se divise en blocs de forme irrégulière,-coupée par des plans qui se
croisent sous des angles divers. lime s'êmble en avoir vu qui se décomposaient
en boules concentriques : mode de décomposition qui appartient aux produits
volcaniques de tous les âges. L’aspect des parties intérieures, déjà décomposées,
est plus ferreux que pierreux : caradtère des laves modernes.
Nulle part je n’ai vu de roches primitives, calcaires ou arenacées, sortir de
dessous celle-là. Je n’en ai vu même aucun débris empâté.
Le sol du vallon de Laguna ressemble aux descriptions que j ’ai lues de celui
de la campagne de Naples. Il est également fertile , malgré son aspect âpre et
brûlé 1 on y cultive du blé et du maïs. La ville est irrégulièrement bâtie; mais
il y a quelques édifices et plusieurs habitations particulières d’un style un peu
lourd, mais assez magnifique, qui lui donnent tout-à-fait bonne mine et l’air
d'une sorte d’ancienneté. Elle est la résidence de quelques familles nobles et
opulentes, qui y vivent dans le Véritable système de la vieille nationalité espagnole
, du revenu des terres de la partie opposée de Ténériffe où sont lessgrandes
cultures de vignes. Laguna est, en quelque sorte, à Sainte-Croix * ce qu’est une
ville parlementaire, Comme Aix, à une ville de commerce, comme Marseille. Il n’y
a ni mouvement ni bruit ; tout y est calme et monotone. Le costume y est ample
et grave. Les religieux, qu’on rencontre en assez grand nombre dans les rues,
sont vêtus avec la plus grande propreté ; il y a même du luxe dans le choix des
étoffes dont leur habillement est fait. La soutane noire, portée également par
les jeunes gens de l’Université, avec le chapeau à cornes en forme de claque,
me parait tout-à-fait noble et galante : elle rappelle la toge antique. La forme
presque militaire de la coiffure corrige ce que la robe a de monacal.
(i) 264 toises, d’après M. de Bucli ( Humboldt, Rel. liist., vol. IV, pag. 33o ),
Au reste, j’ai dû voir Laguna en beau, car j’y, .ai passé un dimanche, et
un dimanche fêté extraordinairement en ce pays-là. J’y entendis le matin la
grand’messe : je n’y ai pas trouvé la même pompe que chez nous, mais mes
yeux y ont été séduits par beaucoup plus d’éclat. A quoi bon la pompe, la
décence, la gravité souvent parfaitement jouée, du culte cathobque en France ?
Cela ne dit rien au bas peuple, encore trop grossier, encore trop dépourvu
de toutes idées spiritualistes, pour comprendre ce mensonge austère ; et les
classes élevées n’en sont plus dupes. Les prêtres devraient peut-être renoncer
tout-à-fait à la domination des gens comme il faut, et se rabattre exclusivement
sur la canaille (expressions de ces messieurs). D'elle, peut-être, il y aurait encore
quelque parti à tirer ; mais ils devraient pour cela imiter l’Eghse d’Espagne et
d’Italie, multipher les chapelles, les madones, les fêtes, les pratiques religieuses,
les superstitions de toute espèce. Et encore, avec tout cela, réussiraient-ils en
France ?. Je me flatte que non.
Les femmes du petit peuple de la ville et des campagnes environnantes
étaient vêtues entièrement de laine blanche. Elles occupaient tout le milieu de
l’église, à genoux ou accroupies. Les hommes étaient debout, tout autour, le
long des murs, endimanchés, propres et pittoresques. Les fashionables de la
ville, en habit noir européen, et leurs femmes, en toilette espagnole, vêtues
de soie noire, avec une coiffure en cheveux, et un grand voile noir attaché au
sommet de la tête, retombant avec grâce tout autour du corps jusqu’aux
genoux, étaient assis sur des bancs privilégiés, avec des prie-Dieu devant eux.
Cette portion de l’assistance n’avait aucunement l’air dévot ni recueilli : cependant
son maintien était déçent et ne semblait pas ennuyé. Un parterre qui
s’amuse de la pièce qu’on lui joue, présente chez nous le même aspect.
Le soir, il y eut, à je ne sais quel propos, en faveur de la Vierge, une procession.
Elle était fort belle. Une cinquantaine de vigoureux dévots, en habits de
pénitents, portaient sur leurs épaules un véritable autel, massif, doré, chargé
de reliques, de madones, de fleurs et de cierges allumés. Cela me plut comme
le kaléidoscope. Le clergé, la cour et la ville présidaient ou suivaient ce plat
d'architecture catholique, devant lequel chacun se mettait à genoux, sans qu’il
y eût besoin de gendarmes, comme à Paris, pour l’y contraindre. Les femmes
de la bourgeoisie seules jouaient un rôle actif dans cette pièce, en robe blanche,
un cierge à la main ou tenant les cordons de la bannière. Les grandes dames,
en grande parure, suivaient le cortège, mais comme-pour le voir plutôt que
pour le grossir : plusieurs donnaient le bras à des hommes en uniforme, en
frac, ou même en soutane. Ceux-ci étaient, ou des ecclésiastiques âgés, ou
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