
tombent. Quelque perfectionnés, quelque savants que soient leurs procédés,
elles ne peuvent lutter à armes égales avec les Sucreries de . Cannes.
Cependant, parmi ces derniers établissements,1 il y en a qui travaillent plus
chèrement que tous les autres.v?Ce sont ceux des Colonies françaises. Elles
seraient donc abandonnées aussi, comme les Sucreries nationales de Betteraves,
si tous les Sucres pouvaient entrer librement en France.
- L ’impôt actuel de 4° francs par quintal sur le Sucre étranger, défend
contre la concurrence étrangère le Sucre colonial français qui n’est imposé
qu’à 20 francs. C’est le privilège relatif, de payer le demi-droit seulement,
qui fait vivre nos Colonies. C’est le privilège de n’en payer aucun qui fait subsister
les Sucreries de Betteraves.
Si la France ne possédait pas sur son territoire de fabriques ide Sucre auxquelles
elle crût devoir protection, elle pourrait bien un jou r, lassée de payer
si cher les denrées coloniales, ,mettre les produits des Colonies françaises sur le
même pied que ceux des Colonies étrangères, par l’égalité des droits et leur
diminution ; elle ruinerait par là ses Colonies. Mais les Colonies sont odieuses
à la nation. Cet acte fiscal serait en même temps un acte politique qui agréerait
la majorité des Français.
Mais les Sucreries nationales de Betteraves, dont le nombre augmente chaque
année, et qui deviennent rapidement une des branches les plus importantes de
notre industrie agricole, la plus populaire de toutes dans tous les pays, seraient
ruinées en même temps par labolition ou par la diminution seulement,
des droits sur les Sucres étrangers. Cette industrie factice n’a pu se,développer
que sous un régime exorbitant d’abus, et elle n’a existé et prospéré çà ët là depuis
que sous la continuation de Ce régime un peu tempéré. Si on le tempérait
davantage, si la douane devenait moins onéreuse aux Sucres étrangers, et si
leur p rix , conséquemment, venait à baisser en France, il faudrait renoncer au
Sucre de Betteraves. On ne le fera jamais. On ne consentira jamais au sacrifice
d’une industrie devenue nationale par force, par violence, dans des jours
de nécessité, et que le rétablissement de la paix en Europe aurait dû étouffer
dans son berceau.
L ’industrie de Planteur est rarement séparée à Bourbon de celle de Sucrier.
En général, chacun manipule les Cannes qu’il récolle sur ses terres. Dans quelques
cantons très-fertiles et où la propriété territoriale est très-divisée, comme
dans la partie du Vent de l ’Ile, entre la Rivière de Sainte-Marie et cèlle de l’Est,
mais surtout dans les Quartiers de Sainte-Su/,anne et de Saint-André, il y a un
grand nombre de petits propriétaires qui ne veulènt pas vendre leur bien et
qui n’ont pas cependant les moyens de l’exploiter. Ceux-là font manipuler leurs
Cannes par un riche voisin. Un Propriétaire qui habite au centre de ce canton
si divisé, où il possède néanmoins d’assez grandes terres, vient de former en
association ùn énorme établissement pour la manipulation des récoltes de ses
petits voisins. Ils lui livrent leurs Cannes coupées et bottelées sur le chemin
vicinal, ! au bord de la plantation. Le charroyage jusqu’aux ateliers est à ses
frais: Il fait tous ceux de la manipulation et garde, pour s’en indemniser, la ’
moitié du produit brut. Il compte, à ces conditions, faire de grands bénéfices ;
mais j’ai vu bien des gens, plus timides il est vrai, mais plus instruits peut-être
dans les .spéculations coloniales, douter qu’il retire de cette entreprise de très--
grands avantages. Si la culture des Cannes est très-dispendieuse par la valeur
loeàtive ou par l’intérêt du capital du terrain, et par le travail des Noirs qu’elle
exigé, les dépenses d’une Sucrerie sont énormes.
Ce propriétaire compte fabriquer cette année 3,5oo,ooo, livres de Sucre; ce
séra-.-lé triple de ce que font les plus gros Sucriers. Il en est peu dont la fabrication;
dépasse. 3oo à 400 milliers. Je pense qu’il y en a également très-peu qui
restent au-dessous de 200 à 25o milliers.
L ’introduction de la culture des Cannes à Bourbon y a fait une grande révo-'
lution dans les moeurs. Doit-on s’en applaudir ou s’en affliger? Je ne sais: les
industriels par excellence, les industrialistes, ceux qui font consister presque ex--
clusivement le bonheur humain dans le travail et la richesse, la regarderont
sans hésiter.comme un immense progrès ; mais ceux qui prêtent au bonheur de
l’homme, surtout dans les classes élevéesde la’ société, une forme moins matérielle,
peuvent au moins en douter. Rien ne ressemble moins à la vie opulente, patriarcale,
indolente, des anciens Colons, que 1 existence dès Colons actuels. C'est-
un énfèr que la vie d’un riche Sucrier ; plus itë s t riche, plus il travaille ; plus il
me semble à moi qu’il est malheureux. La terre lui est si précieuse qu’il n’en;
garde pas pour lui-mçme de quoi semer quelques fleùrs, de quoi planter, quelques
bosquets poui orner les alentours d e son .habitation. Les Cannes commencent
à sa porte et s’étendent jusqu’aux limites cultivables de sa propriété.-
Il a sous lui de nombreux surveillants, mais qu’il doit surveiller lui-même sans
cesse ; càr. il doit craindre leur mollesse, leur négligence à faire travailler ses,
esclaves. Leur trop grande sévérité, leur brutalité, lui seraient également pré-
judiçiables : les Noirs dépérissent, meurent, et se tuent quelquefois, quand ils
sont surchargés sans pitié. Pour tenir sa bande au complet, pour laugmenter
s'il, étend sa culture, il a besoin d’argent, car les Esclaves ne se vendent qu’au -
comptant ; il en emprunte donc, et tantôt pour un objet, tantôt pour un autre,