
de 1 Ile, devint si forte, que les Navires mouillés sur ses rades étaient exposés
à être chavirés ou emmenés avec leurs ancres , et démolis par elle à la côte.
Ce phénomène singulier, et inexpliqué jusqu’ici, cette furie de la mer sur de
certaines côtes sans cause apparente, s’appelle Ras de marée. On fit, à Saint-
Dénis, le signal d’appareillage à tous les bâtiments de la rade; il y en avait
une vingtaine; à 8 heures du matin, tous avaient gagné le large et s’y élevaient
facilement avec la brise du S . E .
Je suivais, a cette heure-là, le rivage, allant à Sainte-Marie. Les bâtiments
mouillés sur cette rade étaient aussi partis, filant leurs câbles : et la petite
rivière de Sainte-Marie, refoulée dans son lit par la mer qui s’élevait au-dessus
de son niveau accoutumé, était devenue, près de son embouchure, où ses
eaux coulent habituellement entre des cailloux , un fleuve dormant et profond.
Je parcourus ce jour-là l’habitation de M. Martin de Flaeourt a vec son fils. Il
plut dans les montagnes, mais peu; le temps se ressuya vers midi; la mer, au
large, ne semblait pas grossir, mais la Barre battait la côte avec une violence
croissante. Je consultai le6 anciens de Sainte-Marie sur la terminaison probable
du Ras de marée; aucun n’augurait mal du temps, auquel je ne trouvais moi-
même aucun aspect menaçant; tout le monde s’attendait à voir la Barre tomber
dans la nuit, et les navires revenir le lendemain.
A 4 heures du soir, j étais de retour à Saint-Denis. Il faisait encore beau;
mais vers 5 heures le ciel se couvrit, le vent fraîchit beaucoup, sa force augmenta
à la tombée de la nuit, il amena de la pluie. Sa violence s’accrut dès
lois constamment; on ne prévoyait pas cependant encore à quel degré
elle monterait : au contraire, on se coucha sans craindre de coup de vent..
A i heures du matin, le i o , tout le monde fut éveillé par sa furie ; ses effets
commencèrent dès lors à être désastreux.
Cette terrible bourrasque souffla pendant 24 heures. Des torrents tombaient
du ciel quand sa violence s apaisait un peu, et, quand elle redoublait, quelques
gouttes deau seulement étaient emportées en l’air; la mer était monstrueuse.
Elle arracha tous les ponts de débarquement et la jetée en pierre qui
en protégeait plusieurs à Saint-Denis; tout ce qui était bâti sur cette jetée fut
emporté. La consternation était dans le Quartier, dont les parties les plus
basses, voisines de 1 embouchure de la rivière, commençaient à être atteintes
par quelques hautes vagues, et inondées par les eaux de la rivière que la
mer refoulait et élevait de plusieurs mètres au-dessus de leur niveau accoutumé.
Le vent était très-fort, mais ses ravages étaient bien moindres que ceux de
la mer, car il ne renversait dans la ville que les constructions les plus légères |
il ne rompait ou ne déracinait que les arbres les plus fragiles, et les plus
faibles; sa violence était assez égale, ce nétait quune suite non interrompue
de rafales plus ou moins impétueuses ; mais elle laissait toujours à redouter
un redoublement de fureur, tandis que, vers la chute du jour, celle de la mer
était montée à un point qu’on ne croyait plus pouvoir être dépassé. Le matin,
toute la population consternée s’était portée en foule sur le rivage, pour contempler
les premiers désastres , et pour sauver tous les objets contenus dans
les magasins que la mer commençait à menacer, et qui , en effet, n avaient pas
tardé à être renversés. Le soir, la plage était déserte et couverte de débris; il
n’y avait plus rien à détruire, la furie de la mer ne pouvait plus désormais
s’exercer que sur des ruines. La pluie tombait par torrents : j étais seul au
milieu de eette scène désolée. J’y cherchais de la poésie, de la grandeur... . „
de la beauté ! Je venais pour éprouver les sensations dun poète, et je ne pus
cesser d’être un observateur. G’était une horreur très-laide et non pas une
belle horreur que je contemplais. La réalité des misères humaines s offrait à
mon esprit dans cette convulsion de la nature, j étais entouré des détails les
plus prosaïques de ces effets; je revins triste, mais sans mélancolie.
Le coup de vent cessa le 1 1 , à 2 heures du matin : il se termina comme il
s’était déclaré, graduellement. La mer fut deux jours à tomber; elle resta
énorme toute la journée du n . Le baromètre était descendu à 27* 5 , la température
étant de 25 ou 26 degrés centésimaux; on n avait jamais vu le baromètre
si bas.
Une tempête affreuse battait pendant ce temps-là les navires déradés. Ils
furent obligés de fuir sous le vent ; tous firent des avaries, plusieurs de très-
gravès; et seize; jours après le désastre, des 5o bâtiments mouillés sur les diverses
rades de l'Ile, il y en avait encore 20 dont on attendait le retour, non
sans les, plus grandes inquiétudes sur leur sort.
Je parcourus le Nord de l’Ile jusqu’à la rivière du M ât, et la partie sous le
vent jusqu’à celle des Galets, peu de jours après le coup de vent.
J’ai vu en France des orages marquer leur passage par des désastres beaucoup
plus grands. J’ai vu, dans les derniers jours du mois de juillet 1819, de
gros arbres, des Châtaigniers de 80 ou de 100 ans, tordus quelques jours auparavant
par le tronc et rompus à im,5 de hauteur, sur la route de Montargis
à la Commodité. Le vent, capable de cet effort, était bien plus violent assurément
que celui du 10 février 1829, à Bourbon.
Ce dernier couçha des Cannes, renversa presque tous les Bananiers que
leurs larges feuilles et leurs faibles racines rendent si faciles à arracher ; il cassa
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