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surprenante fidélité l’aspect de la mer après la tempête. C’est un effet très-
naturel des pluies solsticiales. Sujet à des dégradations annuelles, ce site
est stérile. K a lp i, grand et riche village qu’on appelle une ville, est bati
aux confins de ce petit désert sur les bords de la Jumna.
C’était jadis une place considérable sous le rapport militaire, et un des
gouvernements importants des empereurs de Dehli. Le Fort subsiste encore,
dominant la Jumna, assis sur ses bords, escarpés là verticalement de 46“ de
hauteur; il est isolé du village et des campagnes par des ravines très-profondes,
et naturellement élevé d’une dizaine de mètres au-dessus d’elles. Il y a environ
26 ans ( i 8o3 ) que les Pindarris, qui s’y étaient établis les derniers,
en ont été chassés par la Compagnie. Elle y entretient deux compagnies
d’invalides commandés par un officier européen. Us suffisent de reste à la
garde d’un trésor souvent considérable, i 5 ou 20 millions de francs, et dune
couple de prisonniers, appelés, je ne sais pourquoi, prisonniers d’Etat, partisans,
brigands qui tentèrent, il y a quelques années, d’assaillir la place
pour en ravir le trésor. L ’un d’eux est, je crois, un H a lf-Ca s t, impliqué
aussi dans une tentative contre une somme énorme que le Gouvernement
faisait voyager; l ’autre est un hindou de bonne caste, Zémindar assez riche
de quelques terres dans le Bundelkund, q u i, ayant armé ses paysans et
enrôlé quelques bandes de Pindarris, se présenta de nuit sous les murs du
château. Il y perdit une bonne partie de sa petite armée, et lui-mêmé fut fait
prisonnier. Au lieu de le pendre immédiatement, comme il appartient de
droit à tout brigand, le Gouvernement le considéra comme un prince qui
lui faisait la guerre, et se contenta de l’enfermer dans le Fort qu’il avait
voulu prendre. On partagea sa fortune entre ses héritiers, et on lui accorda
une pension alimentaire fort peu royale, une douzaine de roupies ( 3o f r . )
par mois. Il vit fort décemment avec cela dans une partie du bâtiment
inhabitée, dont il s’amuse à couvrir les murailles de peintures grotesques;
p-ardé à vue par deux soldats, mais libre dans tout l’intérieur du Fort. Il cuit
son riz et pétrit son pain à la fumée des trésors qu’il convoitait. Le commandant
du Fort me mena à son quartier, où le prisonnier nous reçut avec la
noble politesse d’un Européen. C’est un très-bel homme, dont la physionomie
ne ressemble pas mal à une tête de Christ, mais en mieux. Il nous expliqua
avec gaieté les fresques qu’il s’amuse à peindre, association burlesque des divinités
hindoues, quelques-unes peu décemment amoureuses, de portraits
d’Européens et de copies de caricatures anglaises. Il dort, fume, vague, le temps
qu’il ne peint pas. On lui a offert sa liberté sous serment de ne plus guerroyer
à l’avenir contre les convois de la Compagnie; mais il est si honnête homme,
qu’à cette condition il n’a pas cru pouvoir l’accepter, sentant sa faiblesse et
son penchant à la récidive:
Un agent commercial de la Compagnie (M. Saunders) réside à K a lp i,
et y fait pour elle des achats de coton. Ce coton provient des cultures
du voisinage immédiat et des provinces d’alentour, du Douâb surtout, et
des Etats de Scindia ( G o u a l io rM . Saunders en a acheté cette année
pour 19 lacks de roupies, 4>7fi°?GO° francs ( le prix du mand, pesant ici
90 livres, est de 16 roupies, ce qui fait un franc le kilogramme). On le
presse, sous son inspection, en balles du poids de 3oo livres, dans un immense
atelier, et on l’expédie à Calcutta par la rivière. La Compagnie; le
transporte à la Chine sur ses vaisseaux, et le vend en échange du thé. C’est
de la même manière qu elle achète l’opium dans l’Inde et le salpêtre pour
les vendre en Chine. Comme elle n’est pas une maison de commerce, mai:
un Gouvernement, et un des plus grands qui existent, il va sans dire que
les frais de gestion de son trafic sont énormes. Ses agents commerciaux son
payés proportionnellement aux sommes qu’ils dépensent pour son compte ,
et le rapport était te l, qu’ils gagnaient généralement de 1 à 2 laks, 2Ôo à
5oo mille francs par an. Lord William Bentinek a établi récemment une
échelle nouvelle de commission (per centage ) , qui fixe à 60,000 roupies,
15o,ooo f r ., le maximum possible de leurs bénéfices; et, année commune,
leurs profits atteindront cette limite.
D’ici et de tous les autres marchés à Calcutta, où la Compagnie embarque
ces denrées pour la Chine, elle a les frais et les risques du transport
à supporter; o r , un négociant trouverait aisément, pour moins de 60,000 roupies,
i 5o,ooo f r ., par an, pour 12,000 roupies, 3o,ooo fr. peut-être, des agents
aussi capables que ceux de la Compagnie, s’il voulait acheter dans les marchés
de l’intérieur; mais il y a toujours plus d’économie pour lui à laisser les
productions indigènes courir les risques du transport à Calcutta, et à acheter
l à , lui-même.
Aucunes terres d’ailleurs ne sont cultivées pour le compte de la Compagnie.
Les améliorations que ses agents se vantent d’avoir introduites dans
la production des denrées qu’ils achètent, ce sont des conseils, sans doutf
peu lumineux, et des distributions de graines meilleures que le Gouvernement
tire des contrées étrangères. C’est ainsi qu’autour de Kalpi, me dit
M. Saunders, la graine de coton a été renouvelée de l’espèce célèbre de Géorgie
et de la Caroline méridionale.