
il n’y a pas eu le moindre changement, la moindre amélioration dans les
existences individuelles. ■
Il n’y a guère de travail au Brésil que par les Noirs esclaves. A l’exception
des villes, où le service domestique et quelques métiers en occupent un assez
grand nombre, tous les autres sont employés à la culture des terres, et, dans
quelques provinces de l’intérieur, à l’exploitation des mines. Ces travaux les
dévorent, et, pour réparer les pertes de la grande mortalité qu’ils entraînent, la
traite se fait avec fureur. Les traités avec le gouvernement anglais l’interdiront
dans deux ans. Alors je ne sais ce que deviendra le Brésil, s’ils s’exécutent ; car
il se trouvera sans travail. La proximité de ce terme, qui s’avance, fait renchérir
déjà les Noirs, malgré le nombre immense que les négriers en amènent.
C’est au Sud de l’équateur seulement et sur la côte de l’Atlantique que la
traite est permise aux Brésiliens.
Comme ce commerce est encore licite, il se fait avec moins d’horreur que
là où il est proscrit par les lois. Les horreurs viendront dans deux ans; car
tant que le gouvernement brésilien ne s’unira point sincèrement au gouvernement
anglais pour réprimer l'introduction des nouveaux esclaves dans ses
possessions, les croisières anglaises, si nombreuses et si actives qu’elles puissent
être, ne feront jamais que la gêner, sans la détruire; et jamais le gouvernement
du Brésil ne sera fidèle à l'exécution de ce traité, car elle entraînerait sa ruine
totale.
J’ai ouï dire que 3o,ooo Noirs étaient débarqués, annuellement à Rio-
Janeiro. Pendant notre séjour sur la rade, plusieurs bâtiments négriers y
entrèrent chargés. Un d’eux passa à notre poupe, le soir de notre arrivée.
C’était un grand navire de 400 tonneaux. Sans doute il avait fait un heureux
voyage, car il était paré comme en un jour de fête. J’accourus sur la
dunette de notre corvette pour le voir passer. Son entrepont et son pont,
depuis la proue jusqu’au mât d’artimon, étaient couverts de Noirs enchaînés
et disposés, sur le pont, en lignes interrompues, de façon à ne pas gêner la
manoeuvre. Ces pauvres gens, absolument nus, à l’exception d’une calotte rouge
sur la tête et d’un langoutis de toile bleue, avaient l’air' assez gais de voir la
terre, des arbres et un changement prochain de misères: Sur un roufle en
arrière dumât d’artimon, était le capitaine avec ses officiers; vêtu avec élégance,
et commandant d'un air nonchalant. Tout naïvement, il me fit horreur, et
je ne me serais fait absolument aucun scrupule de lui envoyer un coup de fusil.
Les Noirs sont débarqués aussitôt après la visite et l’autorisation de la santé
du port. On les parque dans la ville, dans de grandes et misérables maisons
du quartier le plus mal habité : femmes, hommes et enfants sont séparés. Ils passent
là les jours et les nuits assis sur des bancs où ils sont enchaînés, et symétriquement
encombrés comme des écoliers en classe. On les rase, on les oblige
à quelques soins de propreté, on les frictionne avec des onguents mercuriels et
soufrés pour les guérir des affections maladives qui gâtent leur peau. Je suis
entré deux fois dans ces salles de vente. Le chagrin stupide, ennuyé, de ces
malheureux, le spectacle dégoûtant et pitoyable de leurs maladies, de leur
affreuse maigreur, me laissèrent une impression d’horreur que n’avaient pas
produite sur moi les bâtiments négriers.
Un homme se vend de 200 à 250 piastres. Une femme se vend moins cher :
un jeune garçon autant qu’une femme.
Presque tous ces Noirs sont tatoués d’une façon particulière aux peuples de
l’Afrique. La plupart ont sur le nez et le front une ligne droite d’excroissances
charnues, en forme de pois, qui les défigurent horriblement, quand elles sont
grosses, et alors, un peu espacées. Quelquefois ces excroissances n’ont que la
grosseur d'un grain de mil, et elles semblent ne former qu’une couture relevée
en bosse. Les enfants de sept et huit ans portent souvent déjà ces marques.
On les frit au moyen d’une série de courtes incisions longitudinales de la peau,
entre les lèvres de laquelle on tire les chairs sous-jacentes que l’on fait tuméfier
par l’application de certains sucs végétaux.
Beaucoup de Noirs ont en outre sur les joues, sur les tempes, sur la poitrine,
sur le ventre, sur le dos, des lignes plates, entrecroisées régulièrement. Elles
paraissent n’être que les cicatrices de simples incisions des téguments.
Les divers dessins de ce tatouage distinguent entre elles les tribus diverses
de l'Afrique. Car tous ces Noirs de la côte occidentale de ce continent, pour
appartenir à la race éthiopienne, et sans mélange probablement, ne sont pas
moins de nations différentes, presque toujours ennemies entre elles, et parlant
des langues très-distinctes.
Parmi les différences nationales qui les distinguent physiquement, l’espèce
laineuse des cheveux et de tout le poil du corps, la couleur de la pèau
et celle des yeux; l’odeur de leur transpiration peut-être aussi, sont les seuls
caractères invariables. Car tous lés autres, qu’on regarde généralement comme
propres aussi à la race éthiopienne, admettent diverses modifications , et quelquefois
même manquent entièrement. Ainsi, il est très-vrai que ces Nègres ont
presque tous le front étroit, déprimé et fuyant, et la partie postérieure de la
tête plus développée ; presque tous ont l’oeil rond et placé à fleur de tête; le nez
épaté, et tout le système maxillaire très-puissant, le museau proéminent, les
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