
à leur caserne, et dont les chevaux manquent de s’abattre à chaque instant sur
un pavé inégal et glissant.
Rio compte i 5o,ooo habitants, je crois, dont 100,000 sont des Noirs esclaves,
et parmi lesquels il n’y a pas plus de 20,000 Blan.cs, si même ce nombre y
existe ; le reste se compose de gens de couleur, libres ou esclaves. Les Blancs,
ce sont des Portugais, la plupart petits, olivâtres, d’un physique misérable. Il y
en a beaucoup dont les traits font suspecter l’origine : le type nègre s’y montre.
L’empereur don Pédro les appelle des macaques. Cette insulte grossière n’est
qu’une vérité. Il y a du singe dans les Brésiliens. Us ont du singe au dehors et
au dedans. Quelques centaines, trois ou quatre cents d’entre eux, sont des
marquis, des vicomtes, des barons, couverts de plaques et de rubans dès l’âge
de i 5 à 16 ans, qui vivent avec faste au dehors, sans opulence au dedans, qui
11e vont pas à pied, qui ne jouent que gros jeu, qui portent des diamants, des
habits aussi magnifiques que le permettent les modes européennes qu’ils suivent
à la lettre, et qui affectent, avec plus ou moins de succès, les grands
airs de cour, et l’air ennuyé, excédé des dandys de Regent’s Street, ou du
balcon des Italiens. Voilà l’aristocratie du pays; voilà la matière première des
hommes d’état brésiliens. Il n’y a guère que les Brésiliens de cette classe qui
viennent en Europe.
Ces gens vivent du revenu des terres qu’ils possèdent à proximité ou à distance
de Rio, et qui sont cultivées par des esclaves nègres qu’on renouvelle souvent,
suivant les besoins de la culture. La monarchie constitutionnelle de don Pédro
est aussi la raison suffisante de l’existence de plusieurs d’entre eux, qui, dans
un ordre politique réglé avec équité, auraient grand’peine à gagner leur pain,
et qui sont actuellement très-largement rétribués, à des titres divers, pour
la plus grande gloire de l’empire. Ce peuple d’importants babite des campagnes
charmantes aux alentours de la capitale, et vient tous les matins à la ville en
chaise de poste pour vaquer aux hauts emplois ..qu’il occupe. La plupart assurément
ne sont propres qu’à tailler des plumes et ne viennent que pour cela ;
mais tous au fond de leurs voitures paraissent absorbés dans les plus profondes
méditations. Un nègre en livrée et en grosses bottes les conduit en postillon.
Les Blancs, du rang au-dessous de ces privilégiés, sont des gens de loi, des
médecins, des professeurs, dans ce qu’on appelle ridiculement le haut enseignement,
et les employés supérieurs des administrations. Cette classe, qui
ressemble tant bien que mal à l’ancienne bourgeoisie de France, fournit aussi
quelques négociants. Elle a des croix, comme l’aristocratie a des plaques ; car
tout ce qui est fonctionnaire public est décoré de plusieurs façons. J’ignore
si le don implique nécessairement la noblesse de celui qui le porte, mais il me
semble que tous ces gens-ci le prennent. Au reste, ils sont aptes à être faits
vicomtes, marquis, chambellans; l’empereur récompense avec ces titres et
les honneurs qui y sont presque toujours attachés, les services administratifs
qu’ils peuvent avoir rendus, et leur complaisance personnelle pour lui. Par
exemple, ceux qui lui prêtent leurs femmes, ou qui lui procurent une maîtresse
en la partageant avec lui, ou en la lui abandonnant tout-à-fait, parviennent à
tout. Les vieilles traditions monarchiques à cet égard sont toutes puissantes
au Brésil. Chaque homme a dans sa bassesse une chance de fortune que le
hasard peut faire sortir. L’empereur peut jeter les yeux sur lui pour lui faire
épouser une fille grosse de Sa Majesté, ou pour marchander avec un autre le
prix de sa femme, pour lui acheter, c’est-à-dire, pour lui louer la sienne
propre. Ces promotions de bourgeois que l’empereur élève de temps en temps
à la plus haute classe, entretiennent parmi eux une grande émulation pour le
servir, et, parmi les plus vils, assez d’attachement à un ordre de choses qui
peut leur faire obtenir de brillants avantages.
Le commerce de détail et quelques professions peu libérales, mais assez
lucratives, sont aux mains d’une troisième classe de Blancs, de Mulâtres et
de Noirs libres, qui sont considérés, il me semble, à l’égal les uns des autres,
et qui méritent tous fort peu de l’être. Puis vient le peuple innombrable des
Esclaves.
Est-ce une nation que cela ! quel avenir social et politique peut-il y avoir
pour un pays qui ne possède que de tels éléments de population ! et n’en est-il
pas à peu près ainsi de tout le continent de l’Amérique équinoxiale ?
Qu’importent les entraves à ceux qui veulent ne pas remuer ? qu’importe la
liberté d’agir et de penser à ceux qui ne pensent ni n’agissent ? Le gouvernement
colonial de l’Espagne et du Portugal gênait, dit-on, dans le développement de
leur industrie, ses sujets d’Amérique. Mais n’était-ce pas surtout leur lâche
indolence qui leur interdisait toute espèce de travail? A présent qu’ils sont
affranchis, qu’ils se gouvernent eux-mêmes, y a-t-il dans ce pays plus de travail,
plus de richesse? Aperçoit-on dans ces sociétés politiques naissantes les moindres
marques de cette prospérité, si rapidement croissante, vers laquelle s’élancèrent
à pas de géants les États-Unis de l’Amérique septentrionale, aussitôt qu’ils
furent libres? Non; l’empire du Brésil est industriellement ce qu’était la province
coloniale du Bréôil, et rien de plus. Quelques mots ont été changés,
quelques modifications ont eu lieu dans l’inutile état-major de la société, mais
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