
soir, je visitais les villages indiens du voisinage. Les Européens ont peu de
curiosité; jamais je n’en ai rencontré un hors de la grande route. C’est comme
à Paris, tel a galopé mille fois dans toutes les allées du bois de Boulogne,
qui n’a jamais eu l’idée de voir ce qu’il y avait entre le bois et la rivière :
il y a cependant un lieu charmant. Aux champs, on voit peu de Brahmanes ;
mais quand on traverse un hameau, on croirait que leur caste est la plus
nombreuse. C’est qu’ils y restent oisifs quand les autres sont dehors qui travaillent.
Je ne les distingue, au reste, qu’au iil de coton pendu à leur cou. Je
dois dire aussi que je n’ai jamais observé chez eux les extrêmes de la laideur
indienne, qui se montrent surtout dans la caste des Behras, une des plus noires
aussi.
Les enfants jouent entre eu x , mais sans rire, sans se battre; presque tous ont
de lourds bracelets d’argent aux bras et aux jambes. Ces gens n’ayant point de
maisons, point de meubles qui ferment sûrement, portent leur argent sur leurs
personnes, en forme d’ornement. Mais dans certaines parties de l’Inde, il n’est
pas rare, dit-on, qu’on tue de jeunes enfants pour voler leurs bracelets. Us
sont craintifs comme des animaux sauvages; ils se sauvent, en criant, quand
ils voient venir un étranger. Les chiens partagent ici la lâcheté des hommes ;
ils fuient généralement devant un cavalier qui s’approche, et le laissent passer,
sans aboyer, devant la demeure de leur maître. Le soir, ils s’y réfugient, quand
les Jackals rôdent en hurlant à l’entour. Ces animaux cependant, quoique
assez familiers, sont eux-mêmes très-lâches ; un terrier anglais,, de la taille
d’un chat, en fait fuir une bande nombreuse.
Quelquefois, dans ces excursions, j ’ai aperçu une jeune fille bien faite, et
dun port élégant; mais pour une de cette espèce, j ’en ai vu des milliers qui
ressemblaient plus à des brutes qua des créatures humaines. Les Négresses ,
esclaves à Bourbon, sont du moins les égales des mâles de leur race disgraciée.
Ici les femmes semblent ne pas appartenir même à l’espèce abjecte de leurs
époux. Ni les Musulmans, ni les Hindous ne mangent avec elles, et les Brahmes
qui n on t quune hutte pour demeure, font coucher les leurs dehors, avec les
animaux, au temps de la menstruation. On dit qu’il y a beaucoup de libertinage
parmi ces misérables ; il se peut. Parcourant tous les soirs les lieux les
plus retirés de la campagne, je 11 ai jamais rencontré un jeune homme se promenant
avec une jeune femme et semblant avoir à lui dire des choses qui
n’admettent pas de tiers.
Quand la pluie avait tombé long-temps avec force, le ciel, quelquefois, redevenait
serein pendant quelques heures. La nuit, alors, il semblait parfaitement
pur; des essaims de mouches luisantes se jouaient sur le feuillage des Bambous
comme de brillants météores.
Au mois de septembre, les pluies sont devenues plus rares, les intervalles
de beau temps sont plus fréquents et plus longs, la température a pris de
nouveau une marche croissante. Le 1 1 de ce mois, pour la première fois,
j ’ai vu la campagne couverte de cette vapeur ondulante du matin, que déposent
chez nous les premières nuits fraîches de l’automne; mais le soleil
se leva avec splendeur, et en quelques moments elle était dissipée.
Les Européens regardent la saison des pluies comme la plus malsaine. Elle
ne l’est certainement pas pour les natifs; c’est le froid qui leur est le plus
contraire. Depuis trois jours qu’il pleut presque sans relâche, et qu’un grand
changement s’opère dans la température (elle s’est abaissée de 5° ) , je vois
ceux qui m’entourent atteints pour la plupart d’inflammations d’entrailles,
de maux de gorge, de rhumes violents et de fièvres; aucun d’eux cependant
n’a été mouillé, mais tous ont eu froid dans la nuit. Ils viennent me demander
des remèdes. C’est une maison qu’il faudrait leur donner, une couche
sèche, un vêtement chaud pour se couvrir ; et ils viennent les pieds n us, le
corps couvert d’une seule mousseline claire et grossière, et la nuit ils n ont
d’autres vêtements que ceux du jou r, et ils dorment sur une natte quils
étendent, sous un abri quelconque, sur la terre humide.
Pour mo i, je n’ai encore éprouvé, depuis mon arrivée, que les plus légères
incommodités ; et cependant je ne crois pas vivre comme il conviendrait pour
se bien porter. Il faudrait plus que de la force de volonté, il faudrait de la
bizarrerie pour être frugal, quand on vit parmi des gens qui sont à peine
sobres. Je le suis, mais je n’ai pu aller encore jusqu au système de frugalité
que je m’étais fait, et que, par goût, par raison et par nécessité, je vais
bientôt suivre, lorsque je vivrai seul, et commanderai mon dîner.
Refroidi par le courant d’air qui, pendant les hot winds, traversait dans
la nuit la chambre où je couchais, un matin je me levai avec des coliques. La
diète et l’eau chaude m eurent rétabli en 24 heures. Une autre fois, ce fut la
gorge qui fut affectée ; quelques aphthes douloureux étaient descendus de la
bouche jusque-là ; à peine pouvais-je parler ; la déglutition était devenue très-
difficile. Une douzaine de sangsues, des boissons chaudes, des bains de pied
et la diète pendant une journée, me guérirent promptement.
Le défaut d’exercice, pendant les hot winds, alors qu on ne sort que rarement
dans le jour en palanquin, et le soir en voiture pendant une heure, mais dans une
voiture si douce, et sur une route si belle, qu on ne sent aucun mouvement, et
3o.