
même aucune réputation de sainteté ,^et son droit à l’exclusion de sa caste est
bien plus clair que celui de Ram-Mohun-Roy. Un Européen, le capitaine Tho-
resby, m’a dit l’avoir vu, en société européenne, faire grand honneur au Champagne
et au Xérès dont il est particulièrement amateur. Comme il me reconduisait
à la porte de sa maison, à mon départ, et y attendait avec moi que mon
éléphant fût prêt, je lui demandai si, vivant à 3 milles ( f 1.) du Gange, il
était bien sûr d’aller droit en Paradis, supposant qu’il mourût là. «Qui sait
qui y va ?» me répondit-il d’un air incrédule. — «Qui sait s’il y a un paradis ?»
ajoutai-je : énormité sur laquelle il se récria, mais fort en riant. Cultivé par
des Français, il avait assurément les plus belles dispositions d’incrédulité.
C’est le cas des gens de Calcutta ; aussi les Bengalis jouissent-ils dans la ville
sainte de la plus détestable réputation.
Un j eune homme de 14 ans, d’une charmante figure, accourut comme je
partais. Ralichun-Roeurr me le présenta comme son sixième fils : il était
richement vêtu, pour la circonstance évidemment. Je fis au père compliment
sur sa beauté, e t, ce qui sembla lui plaire autant que surprendre le jeune
homme, je donnai la main à celui-ci.
A moins que d’être stupides, les Indiens sentent la réalité de notre immense
supériorité sur eux ; et quand nous les avons affublés d’un titre pompeux
| ils ne sont pas moins flattés d’une politesse d’un English gentleman.
Les partisans de la vieille noblesse parmi les natifs se moquent un peu de
ces Rajahs du Gouverneur général ; et, chez les gens du plus haut ra n g ,
Ralichun-Roeurr ne recevrait guère plus d’égards qu’avant d’avoir reçu son titre ;
mais s’il n’est pas trop prodigué par le Gouvernement, son petit-fils lui devra
une position sociale fort brillante: L e principe de la noblesse est désormais
lé même dans l’Inde qu’en France : aucun privilège que de pure vanité, aucun
avantage matériel, aucun pouvoir n’y est attaché; elle ne peut plus être qu’une
chose de sentiment, et le fait d’un titre n’y est rien quand il n’est pas consacré
par le fait d’une grandeur et d’une illustration passée.
Deux grands dîners où j’assistai, donnés à l’occasion du nouvel an, me montrèrent
un grand nombre des figures européennes de Bénarès. Le vin de Champagne
que l’on y but plantureusement ne put fondre la glace de l’étiquette qui
présidait à ces deux réunions. Chacun, en particulier, se plaignit à moi le lendemain
de l’ennui de la veille, et, je n’en doute pas, en donnera autant à ses conviés
dans l’occasion; on ne veut rien rabattre à Bénarès des usages anglais, et
l’on s’y ennuie comme en Angleterre, sinon davantage : cela doit être. Mais,
dit-on, il faut faire comme les autres. Heureux Français que nous sommes,
nous que. l’on accuse tant de vanité, nous qu’on accuse de placer ridiculement
notre bonheur dans l’opinion des autres et la figure que nous faisons
devant eux, nous ignorons cette horrible servitude de toutes les coteries qui
nous entourent ; nous ne connaissons du fléau de la vie anglaise que son nom,
la mode.
Mais il y .a à: Bénarès un homme qui rachète à lui seul l’antisociabilité de
tous ses compatriotes ; c’est M. James Prinsep, un des sept frères de cette
famille dont j ’ai connu quatre déjà à Calcutta. Tous-sont des hommes distingués
dans les carrières les plus diverses, mais celui-ci est de tous les métiers
à la fois, et dans tout ce qu’il entreprend il réussit. Essayeur de la monnaie
( c’est *son emploi ) , il doit ses matinées aux travaux chimiques qu’il lui impose;
mais,. avant de s’y livrer, il a fait ordinairement dans la ville quelque
dessin superbe, tantôt un monument d’architecture indienne, avec les détails
minutieux dont il rend admirablement la difficile perspective, tantôt une
vue pittoresque; ou bien.il a ordonné les travaux du jour aux ateliers qu’il
dirige en architecte volontaire. Il perce des rues, ouvre des places, bâtit des
bazars, creuse des égouts, répare les ruines prêtes à tomber; compte , mesure
tous les objets dont le chiffre peut avoir de l’intérêt; fait des plans de
machines, d’établissements de tous genres pour toutes les parties.de l’Inde
d’où on le consulte ; lit tout ce qui s’imprime de remarquable en Europe dans
les sciences physiques et mathématiques; concourt quelquefois à ces publications
par le fruit de. ses recherches au fond de l’Inde; et le soir, attire avec
son violon et la musique nouvelle d’Italie, aux réunions, aux bals, aux concerts,
les membres dispersés de la station, dont il est le coeur et la tête. Organisation
riche et heureuse !
Pendant plusieurs années, M. James Prinsep, ou, comme on l’appelle très-
justement, M. Bénarès Prinsep, a tenu dans cette ville un journal météorologique
dont il ja publié , dans les Recherches asiàtiques et le Oriental* herald,
diverses séries de résultats. Un de ses objets était de déterminer barométrique-
menl, par la comparaison des moyennes de plusieurs années, la différence de
niveau de Calcutta et de Bénarès. Celui-là, il ne put l’atteindre, n’ayant pu
jamais obtenir une comparaison exacte de ses instruments et de ceux de la
capitale. Mais il a déterminé les heures des marées barométriques à Bénarès,
dans les diverses, saisons de l’année, et montré la liaison des phénomènes
quelles présentent avec la marche du thermomètre.
Des séries d’observations de l’hygromètre et de l’udomètre, ajoutées à celles
des deux premiers instruments, établissent d’une manière très-satisfaisante le