
où le jour incertain laisse à l’imagination émue le soin de limiter les formes
des objets. Les derniers rayons du soleil mourant éclairaient d’une lu m i è r e
rougeâtre et menaçante leurs fantastiques figures, et allaient se perdre à
l’horizon sur les têtes élancées de quelques palmiers.
Deux Eléphants richement caparaçonnés se tenaient presque aux pieds d’une
des idoles : ils portaient le Gouverneur-général et lady William Bentinck.
Bientôt une vive fusillade s’engagea dans le fo r t, contre lequel un simulacre
d attaque était dirigé, et ces terribles animaux, pacifiques jusque là au milieu
de la foule et du bruit lointain de quelques fusées, commencèrent à s’agiter.
Leurs conducteurs les continrent cependant, et malgré la crainte qu’ils ont
du feu, la seule chose qui les effraie dans l’état sauvage, ils les obligèrent à demeurer
au milieu du feu d’artifice tiré presque à leurs pieds. Au grognement
épouvantable qu ils faisaient entendre, la foule consternée regardait aux
moyens de fuir. Nous étions près d’eux, et notre cocher n’avait pas v ou lu ,
comme les autres, dételer ses chevaux : je craignais à chaque instant que les
cris des Eléphants ne leur fissent prendre l’épouvante, ou que ceux-ci ne se-
chapassent à la fin d'unes fête si peu de leur goût : ils nous eussent écrasés
les premiers. Quelques hommes renversés deviennent un obstacle qui arrête
les chevaux les plus impétueux ; mais il m’y a pas d’obstacle pour un
Éléphant en fureur : il marche librement sur la multitude qu’il écrase, il
arrache, il enfonce tout devant lu i, il s’avance irrésistiblement comme une
masse inerte mue par la nature, comme un corps grave qui tombe..
Quoiquil y eût beaucoup de Musulmans dans la foule, elle prenait à la
fête un intérêt que le peuple en Europe ne porte pas aux spectacles qu'on lui
donne. Le carnaval est sans doute une allégorie mythologique , mais dont le
sens mythologique, et par conséquent très-froid, même s’il était compris, est
absolument ignoré du peuple. Mais il. y a trois siècles, lorsqu’il était dévot,
il devait se passionner à la représentation des mystères , il devait applaudir
Jésus, eonfurore, et siffler à outrance Ponce-Pilate et Judas.
Et cette fête de Ram-Lila est plus encore que les représentations d’un
mystère, c’en est la célébration religieuse elle-même.
L armée de Ram-Lila, ses chevaux, ses sipahis, ses éléphants sautaient
en l’air successivement à la grande satisfaction de la multitude, et de leurs
débris enflammés s'élevait une fumée épaisse d’où sortaient seules les grandes
figures blanches des idoles. Au moment, où la foule regardait de toutes
parts laquelle éclaterait la première, on vit de loin s’avancer cinq Éléphants.;
c était lord Combermere et sa suite qui les montaient ; ils se pressaient d’arriver.
Je n’ai jamais vu entrée si glorieuse. Nous allions nous trouver entre
eux et ceux du Gouverneur-général, quand aux premières fusées lancées d’une
des idoles, le superbe animal que montait lord Combermere, et qui guidait
les autres, s’arrêta tout à coup, poussa des cris horribles, et s’échappa loin
de nous. Les autres, plus dociles, se tinrent à quelque distance, noblement
rangés en bataille près d’une idole enflammée, et sous une pluie de feu qui
tombait lentement du c ie l, où les artifices crevaient avec fracas en gerbes magnifiques
et en étoiles d’azur, d’or et d’argent.
Ces pompes de l'idolâtrie ; ce peuple drapé, plutôt que v ê tu , avec une
simplicité sévère et pittoresque; ces spectateurs montés sur des chars attelés
de boeufs ; ces palmiers, ces Eléphants, formaient une scène étrange, admirable.
C ’était l’Asie telle que l'imagination se la représente.
Nous quittâmes la grandeur de cette fête populaire pour l’élégance froide
d’un amusement européen. Une table somptueuse était dressée chez M***;
un nombreux orchestre invita ses convives à la danse après le repas. Il lui
en coûta plus sans doute pour amuser une trentaine d’Européens, que n’avait
coûté la fête de Ram-Lila, où plus de 3o,ooo spectateurs avaient assisté.
L e c a m p d e B a r r a c k p o u r L e s j e u n e s o f f i c i e r s .— Quelques régiments
d’infanterie native occupent constamment cette station, et sont placés sous
le commandement exclusif du Gouverneur-général. Le camp est situé au nord
et à l’est des jardins du Gouvernement. Il se compose de 3 ou 4,000 chaumières,
légèrement mais proprement bâties de nattes, soutenues, comme les
murs d’une tente, par des pieux. Elles sont alignées par quartiers, entourés
de petits fossés d’assèchement. Chaque sipahi en occupe une; il est rare que
deux hommes vivent dans la même. Le ménage d’un chacun se compose d’un
fort filet tendu sur un cadre, c’est son lit; d’un panier pour garder ses vêtements,
et de deux ou trois ustensiles de cuisine.
Hors des heures de service (et pendant huit mois de l’année le service,
pour la très-grande majorité, finit à 7 heures du matin), les sipahis quittent
leur uniforme. Un étranger qui se promènerait pendant le jour dans le camp
de Barrackpour, soupçonnerait difficilement qu’il est au milieu d’une caserne.
Les sipahis, dans leur loisir, vont la poitrine et les pieds nus comme les gens
du peuple, ils dorment et fument de même : ceux-ci ont tout autant de moustache
qu’eux; d’armes entre leurs mains dans le jou r, on n’en peut voir,
elles sont déposées après l’exercice dans de petits magasins, où un Lascar
est chargé de leur entretien. Ce n’est pas de la part des officiers défiance