
et iïasillard de capucin italien ; il fut remplacé par un homme de 4o ans > à
grands traits, à longue barbe, à voix grave et puissante, gutturale, concentrée.
Celui-là ne s’épargna pas pour émouvoir son monde, et de temps
en temps j ’entendis des soupirs, des gémissements équivoques sortir de la
foule. Après lui parut un homme plus jeune, mais d’extérieur extrêmement
grave et respectable, avec une figure de fanatique ou d’hypocrite. Il parla
et chanta successivement; son action était violente comme son accent; son
chant, bizarrement contracté, mais parfaitement ju s te , rappelait par intervalles
le chant grégorien. Des sons gutturaux opposés à des sons buccaux,
formés les uns et les. autres avec une netteté dont je ne croyais pas les prer
miers susceptibles, étaient un artifice musical nouveau pour moi, comme
cette langue que j ’entendais pour la première fois, le persan. L’assistance
répondait, comme chez les catholiques, Am en , et les dernières paroles de
l’officiant. Ce choeur bruyant était d’une abominable fausseté.
Ce n’étaient pas des soupirs d’attendrissement et de douleur, au récit des
souffrances de leur saint martyr, que ces gens exhalaient; l’affliction de l’ame
ne se peignait pas sur leurs figures; elles n’exprimaient, comme leurs gémissements
et leurs c ris, que la douleur physique. L’expression de celle-ci manque
presque toujours de noblesse, elle est l’écueil de beaucoup de bons acteurs
sur la scène. Chaque blessure nouvelle que recevait Hosein leur arrachait
les lâches gémissements et les cris de détresse que la souffrance physique arrache
à la faiblesse vulgaire. Ils semblaient s’appliquer à jouer la pantomime
et l’action d’Hosein, au récit de sa mort, plutôt qu’à paraître s’affliger sur cette
mort Que la douleur des saintes femmes au pied de la croix est belle ! qu’elle
est pure ! qu’elle est touchante !
Quel que soit le vulgaire contresens des dévots persans dans la forme qu’ils
donnent à leur douleur, il n’en est pas moins évident pour moi que la marche
du récit tragique de la mort d’Hosein est noble et touchante. Aux derniers
soupirs du héros expirant, le prêtre se frappe la poitrine comme les chrétiens
de l’église romaine lorsqu’ils s’accusent de leurs péchés, et s’humilient,
se contristent pour en mériter et en recevoir le pardon. L ’assistancè répète
en choeur lés paroles du prêtre et se frappe la poitrine avec lui ; cette mortification
se répète dès lors continuellement, et l’on n’entend plus que le cri
de Hosein ! Hosein ! et le bruit retentissant des coups que chacun se donne.
On organisa dans la cour cette pénitence corporelle. Le peuple qui s’y ruait
fut formé en diverses bandes par les prêtres qui y étaient descendus, et alors
commença, sous.l’invocation d’Hosein, un véritable exercice de gymnastique
aussi bruyant que les applaudissements de nos parterres; de la galerie où
nous étions placés, on eût dit une troupe de diables se démenant dans
l’enfer. Chacun avait découvert sa poitrine, et c’était à qui frapperait le plus
fort. Il n’était plus question de paraître affligé ; cette fou le , passablement
hideuse, sautait lourdement en cadence, excitée par les prêtres, dont plusieurs
riaient presque et ménageaient fort leur peau. L ’A g a , pour congédier
ces enragés, passait dans leurs groupes et leur jetait de l’eau de roses. V ê tu ,
pour cette cérémonie, aussi simplement que ses serviteurs, d’une longue tunique
noire de coton, la tête couverte d’une étoffe pareille, il ne recevait
aucun de" ces égards que sait exiger en Europe un maître de maison, lorsqu'on
néglige de les lui rendre. Il était pressé, poussé, heurté souvent, et
ne se plaignait pas. Nous ignorons cette humble et vraie simplicité.
A minuit, nous nous levâmes pour nous retirer; il nous semblait que le
plus chaud de l’action était passé..L’Aga, qui ne nous perdait jamais de vue,
fut à l’instant près de nous; il avait à la main une petite boite en fer-blanc,
e t , en nous disant adieu, il en tira une fiole d’essence de roses pour chacun
de nous ; tous les autres Européens reçurent la même politesse ; nous le
retrouvâmes à la porte, qui nous réitéra ses salutations quand nous montâmes
en voiture.
Cette fête. ,q 11 i dura plusieurs jo u r s , coûte à l’Aga plusieurs milliers de roupies
; c’est par vanité plutôt que par dévotion qu’il la fait célébrer chez lui ;
il est le plus riche Persan de Calcutta, et doit soutenir son rang en toute
occasion. C’est ainsi que, par orgueil bien plus que par bienséance, à la
mort de leurs parents et au mariage de leurs enfants, les Hindous d’un rang
élevé font des aumônes qui les ruinent quelquefois.
Cette première exhibition que j ’ai vue du culte musulman est moins choquante
pour la raison que plusieurs de nos cérémonies. Aucune image,
aucune personnification de la divinité ; ces gens se réunissaient pour entendre
le récit de la mort touchante et glorieuse d’un homme juste v d'un
patriote, d’un saint des anciens jours, du petit-fils de Mahomet : pourquoi
n’auraient-ils-pas pleuré ? Et si leur douleur eût été cruelle, pourquoi le
désespoir ne les eût-il pas emportés à ses excès accoutumés?
Il en était sans doute ainsi dans les premières assemblées de Musulmans
qui ;sg réunirent pour porter le deuil et célébrer le triste anniversaire de
la mort d’Hosein; mais, peu à peu, à l’esprit d’une véritable piété succéda,
comme dans toutes les religions, une farce grossière et une manifestation
automatique, mensongère, d’une douleur exagérée.— Faites de Jésus un
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