
cienne. Mais la campagne que traverse la route qui y mène, est parsemée de
ruines considérables, restes des palais et des villas des grands seigneurs de la
Cour mogole. Quelques dattiers au travers de cette scène désolée manquent à
l’effet pittoresque, où le Pipul n ajoute rien. Un arbrisseau épineux, de l’aspect
le plus n u , le plus misérable, couvre leurs murs éboulés et la place où leurs
parterres brillèrent jadis de l’éclat de mille fleurs diverses : c’est un Câprier (i),
dont les rameaux anguleux ne portent que des épines et des fleurs d’un rouge
sombre. Je ne sais ce qu’il y a de particulier dans ces ruines ; mais elles ne semblent
être les restes que d’une grandeur éphémère ; et en effet, la prospérité de
l’empire mogol déclina après un siècle d’éclat. Il n’est pas un de ces débris si
modernes dont on sache l ’histoire ; pas un titre ne reste qui établisse le droit
d’un natif à leur possession : l’Etat s’en est emparé, et vend chaque année,
pour servir à de nouvelles constructions, quelque partie de leurs décombres-
Akbar ( si j ’en crois mon cicerone, très-versé dans la littérature persane et
l’histoire de l’Inde, le docteur Duncan ) s’amusa à se bâtir lui-même son tombeau.
Il le fit magnifique et riant. Ce monument s’élève au milieu d’une vaste
enceinte carrée, percée de quatre portes semblables, et dont chacune est, par
ses grandes dimensions, un ouvrage très-remarquable. La terrasse qui termine
l’énorme massif très-orné, dans l’épaisseur duquel chaque porte est percée,
est surmontée du dôme renflé des mosquées et flanquée de deux minarets
élevés. Des inscriptions arabes, en marbre noir, incrusté dans des tablettes de
marbre blanc, et des dessins de marqueterie, formés avec ces deux espèces
de marbres, décorent le portail et les minarets, bâtis de grès rouge. Une de
ces portes, celle de l’ouest, est assez bien conservée; les autres sont en ruine. Le
monument lui-même est une sorte de pyramide quadrangulaire tronquée, composée
de cinq étages décroissants. Chacun de ces étages se termine enterrasse,
sur le milieu de laquelle s’élève l ’étage supérieur, comme le représente le plan
et l’élévation, Pl. X X , fig. 8. A tous les angles, et entre eux, sur la balustrade
qui borde chaque terrasse, il y a des kiosques qui vont en diminuant comme
toutes les parties de l’édifice, à mesure que l’on monte d’un étage. La voûte
de ces kiosques est portée sur six colonnes légères, et leur grand nombre, joint
à l’inégale distance où chacun s’élève du centré de l’édifice dans le même
étage, déroute l ’oeil dans la recherche de lignes horizontales, et l’oblige à
(i) Capparis Aphylla, De. Prod. Frutex 1 -2 metralis, diffusus ramis aphyllis, angulato-
flexuosis, stipulis spinosis, flor. parvulis obscure rubris. Circà Agram, Muttram, etc. , etc., in
siccis arenosis sylvestribusque vulgatissima.
monter jusqu’au sommet et à se reposer sur l’amortissement uni du dernier
étage. Celui-ci est entièrement bâti en marbre blanc, découpé à jour.
Il est tout ouvert au ciel, à l’exception d’une petite galerie qui règne tout autour,
le long de son enceinte de dentelle : rien de si joli. Au milieu est la
tombe.
Le pavé est? carrelé de marbre blanc, de marbre noir et d’une lumachelle
ocreuse, peu susceptible de poli. Mais, d’ailleurs, ni les colonnes qui portent
la galerie, ni ses arcades, ni ses voûtes, ne sont incrustées de mosaïques. La
tombe elle-même n’est qu’un immense bloc de marbre blanc, d’une forme
simple, pure, sévère. Elle est magnifiquement sculptée de fleurs, d’arabesques
et d’inscriptions arabes. Ce sont les titres du Très-Haut. Ici le Très-Grand, là
le Très-Haut, le Très- Miséricordieux, puis Dieu ( Allah ), le faiseur de la possi*
bilitè{f), VEternel, VInfini, etc., etc. Le corps d’Akbar ne repose pas sous
cette pierre, il est déposé au centre de l’édifice, pareillement dans un caveau
et sous un marbre sans ornements.
Malgré la solitude du site, les ruines dont il est entouré de toute p a rt, et les
majestueux ombrages des Mangos et des Tamarins séculaires, semés dans l’enceinte
de Secundrah, cet édifice n’a aucune expression de tristesse. Ici comme
à la Perle des Mosquées, l’absence de détails très-ornés dans l’architecture,
laisse l ’âme jouir tranquillement de l’impression de sérénité douce qu’inspire
l’ensemble. Je l’ai visité deux fois, et m’y suis plu tellement, que j ’y ai oublié
mon métier de voyageur. Le temps conspirait merveilleusement à en rendre
le charme plus puissant. C’était, chaque fois, une superbe après-midi : et le
dernier jour je ne pus le quitter qu’au coucher du soleil.
La Jumna coule à peu de distance vers l’Est. Vers le Sud, la coupôle de neige
du Tadje s’appuie sur l’horizon, à la distance de trois lieues au moins. La campagne
est si unie que ses aspects changent considérablement selon qu’on s’élève
plus ou moins pour la contempler. Les dégradations de la lumière, vers la
chute du jou r, ajoutaient à cette variété celle de leurs effets. Je suis ^depuis
ce jour-là, plein de partialité pour Akbar.
L e D juma Mosjéd. — Les édifices précédents que les Européens, depuis
leur conquête, ont placés sous leur protection, et dont ils s’efforcent de retarder
(1) Couramment, on traduirait par Tout-Puissant, et ce serait inexact. Il n’y a qu’une
traduction barbarement littérale qui puisse être fidèle. Le tour de la pensée est si différent, qu’elle
ne peut se traduire dans les langues européennes par des expressions équivalentes, toutes faites.
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