
des crosses et des bâtons d’argent, des hallebardes; quelques soldats en habit
rouge, que je suppose, à leur galon, les dignes havildars du factionnaire décrit
plus h au t, couraient parmi cette valetaille, le sabre à la main. Derrière eux
venait le Rajah, monté sur un cheval blanc, suivi des grands officiers de
sa maison, tous bien montés et armés de lances.
Le spectacle de son arrivée parut gratifier la curiosité des gens qui m’entouraient
: chacun se dressa sur la pointe des pieds pour mieux voir pardessus
la tête de son voisin; mais je ne saurais dire si le silence qu’on garda
était du respect ou de la froideur.
Laissant derrière lui l’infanterie de sa suite, le Rajah fit lentement le tour
de tous les groupes de spectateurs , gouvernant avec adresse et aisance
un superbe cheval arabe, le plus fort que j ’aie vu. Il était vêtu d’une robe
fort jus te , mordorée, et portait; un turban et une ceinture écarlate. C’est un
homme de moyen âge et de fort bonne mine, Chattri de caste. Au bas de
sa selle, de couleur éclatante, pendaient des queues de vaches du Thibet,
pour chasser les mouches sous le ventre du cheval. Le cheval, blanc, presque
fleur de pêcher, avait l’extrémité de sa longue queue peinte en rouge clair, et
une annelure plus claire encore un peu au-dessus; une chaîne d’argent lui
servait de martingale et semblait seule le contenir; le tout ensemble était
non - seulement magnifique, mais gracieux; et les figures européennes qui
trottent à l’anglaise tous les matins à Calcutta, en frac serré, de couleur
sombre, en bottes à revers, sur une petite selle que l’on ne voit pas, ne
sont pas plus élégantes que magnifiques.
Le Prince semblait un peu préoccupé de l’instabilité de sa petite cour qui
le suivait en caracolant, mais se prenait souvent à la selle dans des moments
critiques. Un jeune homme, d’une charmante figure, s’approchait souvent de
lui, entendait un mot, et semblait le rapporter au reste de l’escorte; c’était,
je n’en doute pas, la recommandation pour chacun de se tenir bien ferme,
sur sa bête et de ne pas trop risquer. Je demandai qui était ce joli enfant,
♦ et ne pus obtenir de réponse très-satisfaisante. Je tremble pour les moeurs du
Rajah. On ne pend personne ici pour cela.
La foule ne faisant aucun signe de salut au Rajah, comme il passait devant
e lle , je gardai mon chapeau quand il arriva devant moi. Mon habillement,
blanc de la tête aux pieds, me rendait très-remarquable dans la foule, et il
me regarda longtemps avec autant de curiosité que je le regardais. Si j ’avais
été sûr qu’il m’eût rendu intégralement ma politesse, je l’aurais salué le premier
très-volontiers.
Il était presque nuit quand, après avoir passé en revue tous les habitants
de sa capitale, le Prince donna le signal de la guerre que j ’attendais. Deux
éléphants, montés seulement de leur conducteur, coururent l’un contre l’autre
en poussant de grands cris, la bouche ouverte, et la trompe droite et relevée.
J’ignore ce qui se serait passé entre eux s’ils avaient été d’égal courage; mais
l’un d’eux tourna au moment de joindre, et s’enfuit, jetant dans la foule un
très-juste effroi. Son adversaire le poursuivit, et le Rajah, charmé, partit au
galop pour observer de près l’issue du combat, que les arbres et l’obscurité me
cachèrent. Je vis revenir bientôt les deux animaux d’un air fort tranquille.
Leurs camarades, près de la ligne desquels j ’étais placé, s’étaient ébranlés
tous à la fois pour donner la chasse au fuyard, et avaient épouvanté un moment
la foule, qu’ils eussent écrasée par centaines, s’ils n’avaient été contenus.
La confiance avec laquelle on les approche, on les entoure, est la preuve
de leur docilité ; ils ne font que peur quelquefois. Ils semblent avoir l’instinct
d’éviter de faire du mal, à moins que leurs conducteurs ne les y excitent.
Le Rajah s’en retourna aux flambeaux, de l’air d’un homme fort satisfait de
sa petite représentation, où, parmi deux mille spectateurs, je présume, il n y
avait pas une femme.
Les femmes ne vont nulle part qu’au marché, je dis celles des pauvres gens,
et toutes à la rivière pour faire leurs ablutions, devoir de piété ; mais pour
leur plaisir, pour leur amusement, jamais elles ne sortent. Elles ne participent à
aucune récréation des hommes. Ceux-ci semblent les considérer comme des
créatures si impures, que je m’étonne comment le dégoût ne réprime pas
en eux le penchant de la nature qui les rapproche d elles.
j ’ai rencontré sur les routes, depuis deux mois, beaucoup de pauvres
familles en voyage. Si affamées quelles paraissent, si nues quelles soient,
dans les derniers degrés de la misère et du dénument, le mari marche
silencieux devant; la femme le suit à quelques pas, portant un enfant en
bas âge, à cheval sur la hanche du côté gauche. J ai suivi quelquefois de
ces tristes figures l’espace de plusieurs lieues, sans les voir se joindre ni se
dire un mot.
Quand plusieurs familles voyagent en commun, tous les hommes vont
ensemble; les femmes, réunies, les suivent à une distance respectueuse.
J’ai souvent croisé quelques-uns de ces groupes de femmes : la plupart
d’entre elles, les jeunes surtout, s’arrêtaient et tournaient le dos quand j approchais
, ou bien se couvraient le visage pour passer près de moi. J étais entouré
de quelques-uns de mes gens, tous jeunes, assez mauvais sujets, je pense, dans
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