
nous ne nous approchons d’eux qu’avec méfiance. Voilà comme les Colons en
usent avec le vulgaire de leurs Esclaves.
La justice, il est vrai, donne, je crois, 200 piastres (1,000 francs) d’indemnité
aux propriétaires des Esclaves qu’elle condamne à mort ; mais ce n’est
pas assez pour satisfaire leur avarice. Au reste, si la plupart des Esclaves encourent,
par leurs vols continuels, la peine des galères, les tentatives de crimes
que la loi punit de m o r t, celles dirigées contre les personnes, sont excessivement
rares. Il n’y a parmi eux aucun esprit de révolte; et comme ils ne
possèdent rien, ils n’ont pas de vols à se fairg entre eux qui vaillent la peine
d’un meurtre. La jalousie est la cause habituelle des violences qu’ils exercent
rarement d’ailleurs les uns contre les autres.
Quoique issus de l’Afrique occidentale, les Noirs qui forment le peuple
d'Haïti ressemblent beaucoup à ces Malgaches et à ces Cafres de Bourbon.
Peut-être'ceux-ci ne seraient-ils pas capables des longs efforts de courage dont
les Haïtiens ont fait preuve? Ççpendant les Haïtiens, à froid,, sont timides,
doux, rieurs, indolents comme ,eux; ce n ’est que le désespoir ¡qui les nend
redqutables. Peut-être que ces gens7ci, poussés à bout, feraient ccttnme eux?’
.»C’est la chose que les Créoles de Bourbon craignent le moins. Leur sécurité
est entière et fondée ; leur Ile est trop petite pour offrir des retraites à
des. Esclaves fugitifs et révoltés (1).,Les centres d’établissements où les Blançs
(1) Souvent, pour éviter un châtiaient, quand ils ont commis une faute et qu’ils savent
qu’èllè vient d’être découverte, ils se sauvent, Marrons comme on dit, dans les montagnes où
dans les lieux les plus sauvages, où ils vivent misérablement de racines de fougère, et de ce qu’ils
volent sur les habitations de la plaine. Il y a des Libres et des Petits-Blancs qui n’ont d’autre
métier que celui de chasseurs de Marrons. Ils battent ét fouillent tous les recoins les plus cachés,
et ramènent les fugitifs à leurs maîtres qui Ieùr donnent une petite récompense pécuniaire.
Dans une habitation qui possède 100 NoiVs, il y a communément 2 ou 3 Marrons. La proportion
des Marrons est toujours plus grande dans les habitations où le régime est très-sévèrel 11 y #
quelques maîtres. débonnaires qui n’en ont presque jamais.
Ce n’est pas seulement la crainte d’un châtiment prochain qui fait déserter les Noirs. Il y en a
pour lesquels la vie vagabonde, le marronnàge, a, malgré ses misères, un attrait irrésistible 0et
qu’on ne peut fixer sur clés habitations qu’en les y tenant toujours à la chaîne. C’est un penchant
qui se manifesté dès le plus bas .âge.
Cependant, l’ennui et la-curiosité d’une position nouvelle sont les causes les plus fréquentes,de la
désertion des Noirs. Gpux-là reviennent souvent d’eux-mêmes chez leurs maîtres, trouvant que
le riz, Je maïs et le çpup d’arack quotidiens, sont préférables à la liberté avec la faim dans les
montagnes. Le métier de yoleür est un des plus pénibles, en effet. Le manoeuvre chez nous fatigue
moins : l’EsclâVe même a peut-être moins. de mal. Ces malheureux reviennent au bout de quél-
ques jours dans un étât de maigreur effroyable.'' Il y a des maîtres qui les font battre pour lés
sont en grand nombre, les Quartiers, sont trop voisins les uns des autres sur
tout le littoral, pour ne pas contenir les Noirs des campagnes qui les séparent;
mais ce qui fait surtout leur sûreté, c’est qu’ils les tiennent tous dans
l’ignorance la plus grande. Ils savent très-bien que l’Esclave qui raisonne est
le plus dangereux de tous ; et comme on ne pourrait leur donner d’instruction
religieuse sans qu’un peu d’instruction morale ne passât avec, ils n’en reçoivent
aucune. Les Esclaves nés dans la Colonie, sont baptisés, voilà tout. Ceux qui
veulent mourir chrétiennement, appellent leur commandeur quand ils se
sentent près de leur fin. Le commandeur est ordinairement un homme âgé;
il les expédie chrétiennement dans l’autre monde avec quelques prières qu’il
débite près d’eux.
Le mariage religieux était accordé autrefois, ainsi que le mariage civil, aux
Esclaves ; tous deux leur sont maintenant refusés. Ils sont extrêmement inconstants
en amour ; les unions n’avaient aucune durée,
y Les Libres sont admis comme les Blancs à l’une et à l’autre cérémonie; mais
ils ne peuvent Se marier qu’entre eux. Les enfants illégitimes suivent, comme
dé -raison, la condition dé leur mèrèi
D e l a T r a i t e e t d e l ’E s c l a v a g e . L’administration coloniale, dans l’Essai
statistique qu elle a publié il y a un an, avoue trouver annuellement, environ
4,000 Noirs au-delà du nombre de ceux déclarés l’année précédente, diminué
du nombre des décédés, et augmenté de celui des naissances déclarées/1 Elle
les porte impudemment dans ses tableaux parmi les naissances annuelles, sous
le titre de naissances non déclarées.
punir, et qui les envoient passer un mois à la chaîne'ries galériens. D’autres, plus humains et
plus raisonnables, ne lés battent pas et les mettent à l’hôpital pour se refaire, avant de les renvoyer
âù travail. Les Noirs traités ainsi redeviennent bien rarement Marrons. Les Noirs créoles, qui
sont beaucoup plus adroits que les Africains, ne sont pas assez sots pour sè réfugier dans les
montagnes, où, pour subsister seulement, il faut d’incroyables efforts d’industrie. Au lieu d’aller
se cacher dans les déserts, ils se confondent dans la foule des Quartiers ; ils arrachent de l’herbe
ou cdüpent dû bois dans les environs, et viennent lé vendre au marché le matin ; ils gagnent
ainsi facilement de quoi vivre, et échappent souvent plusieurs mois à toutes les recherchés.
LesPMarrons des montagnes sont trop peu nombreux pour être ¡redoutables; ils sont timides
et sans resolution; ils se laissent toujours arrêter sans résistance; ils vont isolés ou en très-petites
bandes.
Dans une Ile plus grande et mon tueuse, le marronnage serait impossible à réprimer comme à
Bourbon. Haïti avait ses montagnes Bleues, comme la Jamaïque. Cuba a les siennes. Dans lès
colonies du Continent, jusqu’où les Noirs esclaves°ne peuvent-ils pas s’enfuir?