
Après la musique vint la danse, digne tout à fait d’un tel précédent. Elle
se réduisit à quelques contorsions des doigts et des mains, et à un faible
mouvemeut de progression obtenu probablement par les efforts les plus pénibles.
Je suppose à leur attitude quand elles bougent, que le mérite des
nymphes indiennes consiste à marcher sur les talons seulement, avec la pointe
des pieds tournée en dedans; en se traînant de la sorte, elles ramènent quelquefois
sur leur tête un des bords de leur ample vêtement, comme pour
s’essuyer le iront. C’est là le type de ce qu’à l’Opéra on appelle le pas du schall.
On dit que de ces cent aunes de mousseline, les Nautch-Girls n’en gardent
pas une seule pour danser devant les Indiens, après que tous les Européens
sont retirés, des danses plus significatives.
Il fut encore plus difficile de sortir de cette maison qu’il n’avait été d’y
entrer. Les menaces, de notre cocher, appuyées de quelques légers coups de
fouet, ouvrirent cependant la foule devant nous , et nous arrivâmes sans accident
devant la maison du Rajah. Les avenues en étaient gardées par les
gardes-du-corps du Gouverneur-général, et une troupe nombreuse de sipahis
contenait tout autour le plus gros de la populace. Cet extérieur de décence,
après l’horrible cohue d’où nous venions d’échapper, nous plut beaucoup,
mais je cherchais vainement de la magnificence. Nous entrâmes ici sans obstacle
, et fûmes conduits à la salle formée dans la cour. Elle était presque
obscure, presque déserte. Lord William Bentinck, en frac, sans ruban,
lady William, en toilette du matin, et leur maison en tenue ordinaire,
lord Combermere et son état-major, étaient assis au fond de cette immense
tente, entourés de lumières et de la famille du Rajah. Le Gouverneur-général
avait derrière lui quelques-uns de ses gardes, et le Rajah avait mis sur pied
le petit nombre de pions armés que son titre lui permet d’entretenir. C’était
une demi-douzaine de grands diables déguenillés, armés d’une longue lance
et d’un petit bouclier, copiés en tout sur les comparses de l’Opéra. Nous allâmes
nous asseoir près de ce groupe, devant lequel deux Nautch-Girls déployaient
exactement, comme nous venions de le voir dans notre précédente
visite, la grâce de la danse et de la musique indiennes. Un très-riche canapé,
au centre d’un demi-cercle de sièges disposés de chaque cô té , était occupé
par lord et lady W illiam Bentinck. Des meubles d’emprunt, les plus communs et
les plus vulgaires, représentaient d’ailleurs les pompes de l’Orient. Comme
dans la maison que nous venions de visiter, il n’y avait d’autre tapis qu’une
toile blanche grossière, mais le Rajah avait concentré sur lui et sa famille tout
l’éclat de son exhibition. Il était magnifiquement vêtu. Une large ceinture
d’or et de perles serrait avec grâce autour de sa taille une robe de magnifique
mousseline blanche. Il avait plusieurs riches colliers, et son turban,
d’une forme particulière et tout à fait galante, était chargé de pierreries et
surmonté d’une aigrette. Une demi-douzaine de marmots étaient vêtus exactement
de même ; c’étaient ses enfants. Ils étaient passablement sérieux dans leur
habit de cérémonie qui sans doute les gênait beaucoup. Le Rajah fut quelque
temps assis sur une chaise près de lord William, et deux ou trois bambins
sur des coussins, aux pieds de milady. Plusieurs Européens, gens de bonne
compagnie, grossissaient la suite du Gouverneur - général ; d’autres erraient
dans cette immense salle. Les Portugais et quelques Indiens de mine passable
occupaient silencieusement des rangs de sièges placés à une distance respectueuse
du premier cercle. Quand on eut assez de la danse et de la musique, on
alla faire une visite à Vischnou et à sa suite, près de laquelle deux sipahis,
pieds nus, montaient la garde pour empêcher les profanes d’approcher sans
ôter leurs souliers. Lord et lady W illiam passèrent outre sans que les pauvres
sentinelles osassent s’apercevoir du sacrilège, et leur compagnie les suivit sans
éprouver plus d’obstacle; mais quand le Gouverneur-général fut sorti, ces
pauvres diables se vengèrent sur les premiers qui se présentèrent, et exécutèrent
rigoureusement © leur consig©ne.
Rien n’était si froid, si inanimé, si p la t, si bête, si manqué, que ce
Nautch.
Nous suivîmes de près le Gouverneur-général, qui ne quitta la maison du
Rajah que pour entrer dans la maison opposée, chez un des parents de celui
ci, riche Babou, très-coquin, négociant maintenant auprès du Gouvernement
l’acquisition du même titre ; on supposait qu’il devait offrir au Gouverneur
une fête superbe. Ic i, la cour avait été abandonnée au public, et cétait dans
un des appartements supérieurs que lord William fut reçu. Rien de si misérable
que les maisons de ces natifs; de longues pièces, étroites et basses,
ouvertes sur la cour intérieure, tout autour de laquelle, et au devant de ces
appartements, règne une étroite galerie supportée par des piliers en bois.
Çà et là on y trouve quelques meubles dispendieux mais de mauvais gout, et
tout auprès des vieilleries qu’on ne souffrirait pas dans la plus modeste maison
européenne. Les boiseries des plafonds sont sculptées; mais il n y a pas une
porte qui joigne, ni une fenêtre qui ferme; ce qui sert au bien-etre réel,
à la commodité, est entièrement négligé;: et au défaut du nécessaire qui
manque partout en toutes choses, un superflu hizarre se montre par intervalles.
L ’esprit d’entretien et de conservation est entièrement inconnu
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