
Jehanabâd est un village fermé de portes, avec des faubourgs ouverts. On
appelle Serai la partie fermée. Lorsque de petits partis armés parcouraient
les campagnes et rançonnaient les voyageurs qu’ils y trouvaient, les séraïs
étaient fort utiles. Ils me paraissent maintenant la place la plus sûre pour
être, volé. Impossible d’échapper, vous êtes enfermé avec les voleurs! Comme
ou ne parle que d’eux, je vais camper loin du village, au milieu des champs,
là où lu n suppose qu’ils abondent; et le soir je fais charger les fusils de ma
garde,et défends de laisser approcher qui que ce soit. J’avais chassé auparavant
les Tchokedars et les Burkondaz que les sipahis ont coutume de requérir pour
veiller la n u it, et qui sont de vrais loups introduits dans la bergerie ; et cette
fois on n’a pris à aucun de mes gens son bonnet sur sa tête.
Un faquir hindou passa, il y a quelques années, à Jehanabâd, gueux
comme les autres, mais beau parleur. Il séduisit les habitants qui ne le voulurent
pas laisser partir. On le retint; les riches et les pauvres du village ét de
tous les villages voisins, accourus sur le bruit de ses discours, se cotisèrent,
et il vit comme un évêque dans ces cantons. Je l’ai vu de loin le soir sur un
éléphant très-décemment caparaçonné, et suivi de nombreux domestiques;
il venait de faire une tournée religieuse et financière dans les cantons qui se
sont donnés spirituellement à lui, et corporellement aussi quelque peu. C’est
un Brahmane.
Les princes musulmans avaient bâti, sur la petite rivière de Goifréâh, entre
Saseram et Jehanabâd, un pont de pierre massif comme les édifices de cette
ville; mais, comme eux, ce n’est plus qu’une ruine. Le Gouréah, presqu’à sec
maintenant, est encaissé entre des bords élevés, et coule lentement; la pente
des eaux est bien douce jusqu’au Gange.
Le 28 décembre 1829.— Camp à Monir, 7 § cos. ( 4 \ 1. ) de Jehanabâd.
Mêmes aspects monotones. Tous les villages que la route traverse- ont un
quartier fermé. Les campagnes sont toutes percées de puits d’où des boeufs
tirent de le au pour arroser les blés. La sécheresse est telle, que la terre est
dure comme si elle était gelée profondément, et toute crevassée, comme il
arrive souvent en Europe dans Tété. Cependant le sol est un sable argileux.
Au Bengale, la terre rapporte tous les ans deux récoltes de Riz : ici, deux
récoltes aussi, mais une seule de Riz qui occupe le sol depuis le mois de juin
jusquà celui de novembre; l’autre de blé ou de plantes légumineuses ou
oléifères qui ne demandent pas à être inondées, et mûrissent leurs grains
pendant les bot winds. Ce sont les moissons dont la terre est couverte maintenant.
J’ignore ce quelles deviendront en mûrissant, mais elles sont bien
chétives dans leur jeunesse. Comment en serait-il autrement ? le sol froid et
maigre ne reçoit jamais d’engrais. Ici leur usage est aussi inconnu qu’au Bengale,
où les eaux du Gange débordé les rendent inutiles et les remplacent
par la couche de limon qu elles déposent sur les terres; mais ici l’inondation
de l’été ne vient que du ciel, elle ne laisse rien après elle.
Son éventualité expose chaque année, aux horreurs de la famine, d’immenses
populations. Il n’en est pas du Riz comme des autres cultures; nulle
n’est si exigeante sur les conditions de sa réussite. Quand le cours de la saison
lui est absolument contraire, sa récolte est, non mauvaise, mais nulle. Les
malheureux habitants vivent alors exclusivement des graines grossières des
1, . , ; & &
1égumineuses que l’on donne d’ordinaire aux chevaux et aux boeufs, et que
les plus pauvres ont coutume de n’associer à leur Riz que pour une petite
proportion.
Le 29 décembre 1829 Camp à Sadrazah, 9 cos. (5 ^ I. ) de Monir.
La rivière de Durgouty est, comme le Gouréah, tout à fait insignifiante;
Mais celle de Caramnassa, que l’on passe ensuite, et qui descend au Nord
des environs de Rotasghur, est beaucoup plus large. La profondeur de son
l it , actuellement presqu’à sec, y a fait établir, sans difficulté, ce qu’on appelle
ridiculement dans l’Inde un Shakspearian-Bridge, ou pont suspendu pour les
piétons, auquel on travaille à substituer un pont de pierre. On le bâtit d’un
grès fort dur, très-fin, légèrement rougeâtre, tiré des collines qui se prolongent
à l’Ouest de Saseram, et qui appartiennent à la même formation.
Le 3o décembre 1829. — A.Douléïpour, 8 £ cos. (5 1. ) de Sadrazah.
La fréquentation de la route annonce le voisinage de la grande ville dont
je ne suis plus qu’à 3 lieues. Les villages sont de plus en plus considérables, et,
quoique bâties exclusivement de terre, leurs maisons paraissent solides et durables:
tous ont un séraï. A Sadrazah, c’est un ancien Fort qui en tient lieu, bien
bâti en briques, carré et flanqué de petits bastions. Ce lieu dut être autrefois
de quelque importance. Quoiqu’il en soit bien déchu, l’aspect du pays alentour
n’est pas celui de la décadence. Toutes les terres sont cultivées, et je vois de
j eunes arbres plantés avec soin pour remplacer les groupes antiques dont
chaque année éclaircit l’ombrage.
Les nuits sont moins froides, et l’air, quoique v if et frais à l’ombre, ne
peut faire supporter sans quelque fatigue la chaleur extrême du soleil entre