
de condition moyenne fassent de petites fortunes ; elles ne sont pas autant
méprisées qu’en Europe. Une d’elles, dernièrement, mourant dans un âge
avancé, institua la ville héritière de son bien, un demi-lack ( i a 5,ooo fr. ) ,
exprimant le désir que cette somme fût employée à quelque ouvrage d’utilité
publique. M. J. Prinsep a construit un puits magnifique dans le quartier
qui en avait le plus besoin, et a consacré par une inscription la mémoire de
la donatrice.
Il y a à Bénarès comme à Calcutta quelques centaines de Levantins, la
plupart par descendance seulement. Ce sont des Arméniens principalement,
des Juifs, quelques Nestoriens, je crois, et quelques Grecs. Presque tous
trafiquent. Un de ces derniers cependant est venu à Bénarès, il y a une vingtaine
d’années, avec une petite fortune, dans le seul but d’étudier les langues
indiennes. Il est devenu un habile sanscritiste, et fort pauvre en même temps;
l’étude néanmoins continue d’être sa seule occupation. Ces gens sont, pour
la société anglaise, exactement comme s’ils n’existaient pas ; c’est M. J. Prinsep
qui les a découverts en faisant le recensement de la ville.
Dans les districts d’alentour, il y a aussi des Indigotiers français : on dit
qu’ils ne font pas de moins bonnes affaires que lés Anglais; ils travaillent
d’ailleurs aux mêmes conditions de protection par le Gouvernement et ne
paraissent nullement jalousés.
Les Indigoteries ne sont pas ici d’aussi grandes entreprises que dans le
Bengale, entre l’IIougli et le Burrampoutre, dans le pays de Jessore et de
Dacca. Leur établissement ne coûte que 3o,ooo à 4o?ooo roup. ( 76,000 à
100,000 fr. ) , au lieu de 2 ou 3 lacks ( 5oo,ooo à 760,000 fr. ). Proportionnellement
aux capitaux qui y sont engagés, elles ne rapportent jamais les
mêmes produits extraordinaires; mais, en revanche, les mauvaises années
couvrent les frais, tandis qu’une seule suffit à la ruine d’un Indigotier à
Dacca. Ici ce sont des entreprises beaucoup moins brillantes, mais beaucoup
plus sûres. Il est rare qu’après 12 ou 15 ans de travail, les Indigotiers du
nord ne se retirent pas avec une fortune modérée, tandis qu’après 4 ou 5 ans
au Bengale, ils sont millionnaires ou débiteurs insolvables.
S’il y a dans l’Inde un lieu où les Européens semblent devoir plus aisément
se mêler aux Indiens, c’est assurément Bénarès. Un grand nombre de
natifs y possèdent ce que les Anglais estiment si haut, de 1a. naissance et
de la fortune ; et de plus, c’est chez eux qu’on trouve tout le savoir de l’Asie.
Cependant les relations sociales entre la ville indienne et les cantonnements
européens sont absolument nulles; depuis 5o ans il n’y a point un pas de
fait. Il ne faut pas s’en étonner : les Anglais, entre eux, ne se réunissent jamais
sans un repas; ils ont si peu de conversation, qu’ils ne sauraient bientôt
que faire entre eux, sans le souper qui les tire d’embarras; leur excessive
réserve redouble vis-à-vis des étrangers, et généralement ils ne trouvent pa&
un mot à leur dire. Ici, les sujets possibles de conversation seraient excessi-.
vement limités, à cause, il faut le dire, de la prodigieuse ignorance des natifs
les plus instruits; et la ressource de boire et de manger ne saurait exister,
puisque les Hindous ne peuvent boire un verre d’eau chez un Européen.
On parle quelquefois en Europe de l’inaptitude des Turcs à la civilisation;
que faut-il donc dire des Hindous ?
Sous la dynastie mogole, il était d’usage que l’Empereur eût parmi ses
femmes la fille d’un des princes indiens les plus puissants ; et il semble que
ces alliances politiques furent toujours consenties avec empressement par ces
derniers, nonobstant l’apostasie obligée de leurs filles, qui devenaient out-
cast en même temps que Reines. Aujourd’hui, je crois, elles seraient impossibles.
Malgré le peu de cas que les Indiens font d’une femme, je doute qu’ils
consentissent à sacrifier une de leurs filles pour servir leur ambition; l’infamie
de sa dégradation rejaillirait plus sur eux que l’éclat de son alliance.
Étaient-ils plus ambitieux jadis ? ou étaient-ils moins religieux ?
A l’exception de la coterie des Pundits qui cultivent la science sans autre
but que de l’acquérir, les négociants , les banquiers natifs sont la seule
classe à laquelle ses occupations font entrer de force quelques idées dans la
tête. Les grands seigneurs riches passent leur vie à fumer (ou à chiquer,
s’ils sont Brahmanes) et à s’abrutir dans leur sérail. Lactivité, 1 intelligence
au moins, sont nécessaires aux gens de commerce, sous peine de ruine certaine.
Ils n’ont pas l’indolence stupide des plus hautes classes, ni leur rigorisme
religieux : ils se visitent davantage les uns les autres,O ' O se donnent entre
eux des fêtes où l’on cause d’affaires, de théologie (sujet qui n’est pas si
austère, là où il est imposé par le manque d’autres), et souvent l’on*termine
en partie fine avec les Nautch-Girls que l’on a commandées pour chanter
et danser. — Le capitaine Thoresby me mena dans une espèce de maison de
plaisance, destinée à ces sortes de réunions plutôt q u à servir de demeure
habituelle à son maître, et qui appartient à un négociant de sa connaissance,
Hindou de religion. Deux jeunes gens, ses neveux, dont l’aîné sera son héritier
, nous y reçurent. L’entrée en est misérable, pour ne pas dire plus : il faut
traverser une étable qui conduit, par des passages étroits et tortueux, à une
petite cour carrée remplie de fleurs, sur laquelle s’ouvrent les appartements
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